Arménie, un génocide sans fin et le monde qui s’éteint

Société
03.10.2023

Vincent Duclert est historien, spécialiste des génocides et des processus génocidaires. L'actualité et les recherches qu'il mène depuis 2003 sur le génocide des Arméniens l'ont amené à signer un nouveau livre :  "Arménie, un génocide sans fin et le monde qui s’éteint".

 

La présentation de l'essai de Vincent Duclert commence par cette phrase : « À l’horizon de la guerre d’agression de l’Azerbaïdjan et de la Turquie contre le Haut-Karabagh, avec la mise en danger mortelle de toute la République d’Arménie, se poursuit le projet génocidaire qui s’est abattu sur les Arméniens en 1915 ». Cynisme du calendrier, si l'on peut dire, les forces armées azerbaidjanaises ont perpétré leur crime le 19 septembre, deux semaines avant que ne sorte l'ouvrage en librairie le 6 octobre.

« Le génocide des Arméniens est sur le point de connaître sa dernière phase et les génocidaires de gagner leur guerre d’extermination — une guerre de plus de cent ans — anéantissant tout ce que le monde a pu préserver de lois d’humanité et de conscience publique.

Pourquoi mentionner un crime de génocide alors que le conflit au Caucase paraît essentiellement territorial ? Il l’est à première vue. Mais s’y loge le risque de destruction de la terre arménienne sous couvert d’une opération de reconquête. Il s’agit d’en informer cette conscience publique.

L’extermination de cette grande et loyale minorité chrétienne de l’Empire ottoman n’a été ni reconnue ni jugée, mais niée et poursuivie sous d’autres formes par les puissances azerbaïdjanaise et turque. Leur avènement a dépendu fortement des conséquences démographiques, politiques et idéologiques du premier génocide du XXe siècle tandis que ses rescapés n’ont connu la survie qu’au prix d’un exil sans retour ou de la naissance d’un État en perpétuelle insécurité.

Aussi, l’offensive meurtrière des deux Etats déclenchée depuis le 27 septembre 2020 contre « ce peuple survivant du Caucase », la terreur projetée sur les combattants et les civils au milieu des ruines de leurs espoirs, et cette résistance héroïque des Arméniens alors que le monde les abandonnent, tous ces événements qui paraissent lointains et étrangers, prennent-ils d’intenses significations historiques, politiques et morales. Nul ne peut les ignorer. L’Europe, l’Amérique et le Moyen-Orient vers lesquels se sont tournés les survivants arméniens du génocide, la France qui en accueillit en nombre, ont des responsabilités de solidarité envers les Arméniens aujourd'hui en grand péril. La mobilisation internationale pour la survie des Arméniens va au-delà de ce que le monde doit entreprendre face à une guerre d'agression à laquelle se livrent l'Azerbaïdjan et son allié turc. Les Arméniens du Caucase se battent une nouvelle fois pour leur survie, luttant avec un éminent courage contre une guerre sans fin.

Le combat contre les génocides ne peut exister sans la reconnaissance de la vérité sur le sort des Arméniens depuis la fin du XIXe siècle et la répétition de la « guerre d’extermination » identifiée par Jean Jaurès dès 1897. L'histoire n'est pas seulement une mémoire ou un savoir, elle est aussi un devoir ».

La mort des Arméniens est un monde qui s’éteint, celui de l’humanité en chaque peuple, en chaque personne vivante. Il existe une conscience arménienne du monde et ce livre ambitionne de la ranimer, de l’exprimer. La détermination de son auteur, historien depuis vingt ans du premier génocide du XXe siècle, reste intacte. Contre cette guerre sans fin, rien ne peut le dissuader d’agir pour les Arméniens.

"Arménie, un génocide sans fin et le monde qui s’éteint", 144 pages est paru aux éditions des Belles Lettres.