Qu'attendre du rendez-vous de Moscou?

Opinions
24.05.2023

C'est la question que pose le politologue Suren Sargsyan dans les colonnes de l' "Armenian Mirror-Spectator", à la veille de la rencontre tripartite qui doit avoir lieu demain 25 mai entre les chefs d'État azerbaïdjanais, russe et arménien.

 

Quel qu'il soit, l'accord entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan concernant le statut du Haut-Karabakh n'a aucune importance, car Moscou a ses propres intérêts à promouvoir dans la région du Caucase du Sud.  Si Moscou a pu perdre la Géorgie dans le passé et du en retirer ses forces, cela ne signifie pas que cela se produira dans le cas de l'Arménie - ni, techniquement, en Azerbaïdjan, puisque le contingent russe de maintien de la paix est placé en Artsakh, que le Premier ministre arménien a accepté de reconnaître comme territoire azerbaïdjanais.  La Russie n'est donc plus physiquement présente que dans un seul pays du Caucase du Sud, mais dans deux. Très probablement, la position de la Russie sera présentée aux parties concernées lors de la prochaine rencontre entre Aliyev, Poutine et Pashinyan à Moscou ce jeudi.

La position de Moscou peut être caractérisée de la manière suivante : « vous pouvez être d'accord sur n'importe quoi sur l'avenir de l'Artsakh, mais nous avons nos intérêts à défendre dans la région et nous n'allons pas les abandonner. » Moscou comprend parfaitement que la politique de l'Occident est de pousser la Russie hors de la région du Caucase du Sud, et Moscou fera naturellement tout pour empêcher que cela ne se produise.  C'est une lutte géopolitique tout à fait normale qui existe depuis l'effondrement de l'URSS.

Est-il même possible qu'Erevan et Bakou puissent décliner les demandes de Moscou ou ne pas prendre en considération les intérêts de la Russie ?  Probablement pas.  Bien que les principaux moyens militaires et diplomatiques de la Russie soient dirigés vers l'Ukraine où la Russie mène difficilement ses opérations militaires, il serait faux de penser que la Russie puisse renoncer à sa "sphère d'influence historique" où elle est présente depuis des siècles. 

Comme déjà mentionné, il existe une opinion en Occident selon laquelle il existe aujourd'hui une bonne occasion pour réduire l'influence de la Russie dans le Caucase du Sud au profit d'un reequilibrage par l'influence turque.

La même stratégie était évidente juste après l'effondrement de l'URSS, quand une opinion largement partagée estimait la Russie trop faible et fragmentée pour être à même de maintenir ses sphères d'influence.  Cependant, ce scénario ne s'est pas produit et la Russie a continué à maintenir son influence, bien qu'au prix de considérables difficultés.  Un autre exemple est celui des suites de la Seconde Guerre mondiale.  À la fin de la Seconde Guerre mondiale, il y avait une opinion similaire selon laquelle, bien que vainqueur de la guerre, l'Union soviétique avait en fait subi des pertes excessives.  Devenue économiquement et socialement extrêmement faible, elle ne pouvait maintenir ses zones d'influence autour de l'Eurasie et du monde.  Cependant, cela ne s'est pas produit non plus et les Soviétiques ont conservé leur sphère d'influence et l'ont même élargie.

La question demeure : la Russie est-elle dans une position si faible aujourd'hui qu'elle n'a aucun levier pour poursuivre ses intérêts dans la région du Caucase du Sud ?  Cela ne semble pas probable.  Bien que focalisée sur la guerre ukrainienne, elle essaie toujours de servir ses intérêts dans le Caucase du Sud, et son objectif reste d'y maintenir sa présence.  Par conséquent, lors de la prochaine réunion à Moscou, quel que soit l'accord auquel parviendront l'Arménie et l'Azerbaïdjan concernant le statut du Haut-Karabakh et les relations bilatérales, il serait naïf de penser que la Russie ne présentera pas ses intérêts aux parties, ce qu'Erevan et Bakou ne peuvent tout simplement pas ignorer.

La Russie conserve une influence significative sur la politique intérieure et étrangère de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan.  Outre les outils d'influence "standard", il existe d'autres facteurs extrêmement importants.  Selon certains calculs, il y a plus d'Arméniens vivant en Russie qu'en Arménie.  Ils jouissent de moyens financiers importantes et donc d'une énorme influence en Arménie.  La Russie abrite également de riches hommes d'affaires azerbaïdjanais qui dépendent totalement du Kremlin plutôt que du régime Aliyev.  Autant d'éléments que la Russie peut utiliser pour influencer de manière significative la vie politique intérieure des deux États.

Source : The Armenian Mirror-Spectator