Un accord qui scelle la fin de l’Etat nation arménien

Opinions
20.03.2025

Ainsi, l’Arménie et l’Azerbaïdjan se seraient entendues sur un traité de paix dont la teneur demeure pour des raisons évidentes non dévoilées.

 

Par Tigran Yegavian (Civilnet)

Le Siunik comme les Sudètes sont abandonnés à la loi du plus fort. Comme à Munich en 1938, les Franco-Britanniques berçaient d’illusoires espérances leurs opinions publiques en clamant avoir sauver la paix, alors qu’à peine l’encre séchée, les légions hitlériennes se précipitaient sur la Tchécoslovaquie moribonde afin de la dépecer. Toute comparaison n’est pas raison, et le parallèle avec 1938 sonne comme un anachronisme même si les contextes ne sont pas tellement différents au regard de la nature totalitaire et de l’arménophobie distillée telle un venin dans les cœurs d’un Azerbaïdjan conforté par l’hubris d’une victoire militaire qu’il entend transposer en règlement politique de « sa question arménienne ».

 

Pourquoi cet accord ne règle rien?

D’abord parce que les concessions ne sont que d’ordre unilatéral. L’Azerbaïdjan ne cède sur aucun point susceptible de rétablir une once de confiance. La question de

l’autodétermination de l’Artsakh et du statut de sa population est jetée aux orties, les

dirigeants retenus en otage ne seront pas libérés, tout comme les autres malheureux prisonniers.

Pire! Bakou exige, au surplus des revendications de réparations financières, qu’Erevan lui remette sur un plateau d’argent les anciens dirigeants de la République d’Arménie Robert Kocharian et Serge Sarkissian.

Le Groupe de Minsk de l’OSCE, seule plateforme tripartite où diplomates américains,

français et russes travaillaient tant bien que mal ensemble est appelée à se dissoudre, sans la moindre contrepartie, ni ébauche d’une nouvelle architecture de sécurité susceptible d’opérer une désescalade. Pas un mot non plus sur les quelque 250 km² d’hauteurs stratégiques que contrôle l’armée du régime de Bakou au mépris de l’intangibilité des frontières internationales. Quant aux observateurs de l’Union européenne dont le travail de cartographie n’a toujours pas été rendu public, ils sont appelés à plier bagage, du moins à se retirer des zones où les deux parties se sont déjà entendues sur le tracé frontalier.

 

Pourquoi Aliyev ne veut pas la paix ?

Signe fort, on aurait pu s’attendre que les deux diplomaties s’engagent à rédiger un

communiqué conjoint pour exposer les points de l’accord. Or, c’est l’Azerbaïdjan seule qui, par la voix de son ministre des Affaires étrangères, a la primauté d’honneur, obligeant son homologue arménien à réagir à chaud. En cela tout porte à croire que nous assistons non pas à une paix des braves censée mettre un terme à des décennies, sinon des siècles de haine mortifère, mais à une paix d’humiliation pour une Arménie exsangue dont la seule explication plausible qu’il conviendrait de suggérer ici est de voir ses dirigeants vouloir gagner du temps. Gagner du temps encore en repoussant l’hypothèse d’une agression militaire azerbaïdjanaise. Gagner du temps en se félicitant que la guerre ne se soit pas produite en 2024 et que si l’accord est respecté par Bakou, Nikol Pachinian aura remporté son pari et sera réconforté aux prochaines élections législatives à la tête du pays. Gagner du temps au prix de l’amnésie en abandonnant dans la foulée toute poursuite judiciaire contre le régime de Bakou rendu coupable pour ses nombreux crimes de guerre abondamment documentés.

Non content de ne pas se féliciter de cet accord, le dictateur Aliev a réitéré qu’il avait zéro confiance envers les Arméniens, une sortie suffisamment crédible pour comprendre qu’en l’essence faire la paix avec le bouc émissaire de tous les maux de son peuple entamera sérieusement la légitimité d’une satrapie coupable depuis des décennies des détournements de la rente pétro-gazière au profit de son clan et au mépris de sa population écrasée par une répression qui s’est durcie au fil du temps et surtout après la guerre de 2020.

 

L’Azerbaïdjan au carrefour des axes géopolitiques

Dans cette conjoncture, sortons de notre zone de confort arméno -centrée et intéressons-nous à la visite de l’envoyé spécial du président Trump, Steve Witkoff, à Moscou, à Bakou et à Tel-Aviv afin de coordonner les positions d’Israël, des Etats-Unis et de l’Azerbaïdjan.

On est en mesure de penser que la valeur boursière de la pétro dictature azerbaïdjanaise s’est renchérit à mesure que le tandem israélo – américain perçoit dans ce pays pivot, un atout majeur dans sa stratégie de containment de l’Iran. Rien d’étonnant si l’Azerbaïdjan est « invitée » à rejoindre les accords d’Abraham, en normalisant pleinement ses relations avec l’Etat hébreu alors faut-il le rappeler? Le partenariat géostratégique entre Bakou et Tel Aviv ne s’est jamais aussi bien porté depuis la défaite militaire de 2020. La diplomatie azerbaïdjanaise qui s’est distinguée depuis quelques années par son multi alignement, penchant la balance sur l’OTAN et la Russie là où ses intérêts le dictent, intéresse Washington qui a fait savoir que les Américains sont demandeurs d’une médiation azérie pour solder leurs comptes avec Moscou.

Tandis que quelques voix aventuristes en Arménie, motivées par leur ressentiment hostile à la Russie, partenaire de l’Azerbaïdjan, redoublent de ferveur euro-atlantiste, l’UE et ses principales chancelleries se sont félicitées de l’annonce de cet accord. Cette même Europe, qui toute honte bue, a feint d’ignorer les responsabilités azerbaïdjanaises du nettoyage ethnique de l’Artsakh comme les responsabilités du nouveau pouvoir syrien du massacre des Alaouites.

Isolée diplomatiquement, lâchée par les Occidentaux, en cédant sa dernière carte, l’Arménie gagne encore du temps tandis que l’Azerbaïdjan multiplie les manœuvres de désinformation en pratiquant l’inversion accusatoire, domaine où le régime des Aliev excelle, pointant du doigt l’imminence d’une agression militaire arménienne sur son territoire.

Dans ce clair-obscur, jusqu’où ira la paix à tout prix clamée par le Premier ministre

Pachinian? Si le gouvernement tente dans sa communication de justifier une modification constitutionnelle, d’aucuns s’interrogent sur les nombreuses embûches qui se fraieront sur le chemin d’un référendum. Si les partisans de ce projet parviennent à leur fin, il en sera fini de l’Etat-nation arménien. Tout au plus l’Arménie se muera en État croupion, complètement vassalisé par le tandem panturquiste.

Enterrant un Artsakh martyr dont les cendres sont encore à l’état de braise, ayant rompu tous les ponts avec les structures de la diaspora issue du génocide de 1915, Erevan a choisi d’opposer le slogan de l’Arménie réelle à celui de l’Arménie occidentale ou grande Arménie, convaincu que celui-ci sera gage de paix et de prospérité.

Dès lors, comment espérer à un sursaut pan arménien si la République d’Arménie a délibérément fait le choix de l’amputation et du renoncement?