En complément à l'intervention de l'ancien procureur de la Cour pénale internationale, Luis Moreno Ocampo, le 10 novembre à la mairie de Paris, le député européen François-Xavier Bellamy a également lancé un appel en faveur de la libération des prisonniers d'Artsakh, « otages de Bakou ». Tant qu'elle ne sera pas effective, il dénie à Bruxelles le droit d'autoriser une médiation entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan .
Monsieur le Procureur général, il y a deux jours nous étions ensemble à Bruxelles pour parler de ces conséquences terribles de l'agression inqualifiable lancée par Aliyev contre l'Artsakh et vous représentez ici la justice internationale. L'alerte que vous avez lancée il y a quelques mois, malheureusement, n'a pas été entendue. Pourtant, vos mots étaient forts : vous annonciez le risque d'un génocide. Notre Union européenne qui s'est construite sur une promesse, celle de « plus jamais un génocide », n'a pas été à la hauteur. Aujourd'hui le risque est grand que dans le monde occidental, dans le monde des démocraties, beaucoup de dirigeants peut-être se reposent sur une forme de lâche soulagement à l'idée que la question est résolue, pour reprendre les mots d'Aliyev, à l'idée que maintenant, finalement, le problème est derrière nous et que nous pouvons recommencer à discuter comme si de rien n'était, comme si rien ne s'était passé. Une chose doit nous en empêcher bien sûr : la nécessité d'agir aujourd'hui pour les réfugiés d' Artsakh.
Je crois, Madame la maire, que vous l'avez dit : ce combat est fondamental. Ces réfugiés sont déracinés, ils manquent de tout. Nous avons le devoir de leur apporter la solidarité de nos pays. Je pense en particulier aux jeunes du Haut-Karabagh avec lesquels j'ai l'occasion d'échanger régulièrement, et pour certains d'entre eux, avec qui je suis resté en lien. Je suis frappé de voir à quel point, de façon très concrète, ce qui ne sont pour nous que des chiffres, des statistiques, des titres de journaux, revêtent pour eux une réalité d'une brutalité infinie, privés de leur avenir, privés de leur formation, privés de leur premières expériences de vie. Nous avons le devoir de leur ouvrir grands les portes de nos universités, de nos écoles, de les accueillir pour qu'ils puissent retrouver les moyens de se construire en Europe, pour pouvoir reconstruire demain l'Arménie et le Haut-Karabagh.
Agir pour les réfugiés, c'est une priorité. Bien sûr, agir pour protéger l'Arménie elle-même qui est la prochaine sur la liste car de fait, le silence de l'Europe, le silence du monde occidental est reçu à Bakou et bien sûr à Ankara comme un permis de tuer, comme un permis de poursuivre ces violations manifestes du droit international. Nous entendons aujourd'hui à Aliyev revendiquer des villes et des villages d'Arménie, du territoire arménien. Vous évoquiez Goris, cette ville qui nous est chère, cette ville du Syunik… Aujourd'hui, le Syunik, à la faveur du fait que le monde a les yeux tournés vers ce qui se déroule en Israël, pourrait être la prochaine cible. Nous avons le devoir d'agir pour donner à l'Arménie des garanties de sécurité, maintenant, faire en sorte de dissuader Aliyev d'entrer dans le territoire de la République d'Arménie.
J'étais ce matin même à Bruxelles avec des représentants de la société civile et du gouvernement arménien. Nous travaillons maintenant sur les moyens de faire en sorte que l'Union européenne puisse donner enfin consistance à son accord de partenariat avec la République d'Arménie. De faire en sorte que par des accords sérieux sur les garanties de sécurité que nous devons lui offrir, qu'en multipliant les investissements, les engagements économiques dont nous savons qu'ils sont aussi des éléments de sécurité, nous offrions au peuple arménien les moyens de la stabilité, de la paix et de la sécurité pour les années qui viendront. Si nous avons le devoir de ne pas nous reposer sur l'état de fait que nous subissons aujourd'hui, si nous avons le devoir d'apporter ces garanties de sécurité, de ne pas nous reposer et de rester actif, c'est parce que l'injustice est toujours en cours.
À Bruxelles, beaucoup de nos interlocuteurs, au conseil ou à la commission, parlent maintenant de continuer la médiation entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie pour parvenir à la paix. Bien sûr, la paix est ce que nous désirons tous mais nous le disons lorsque c'est l'Ukraine qui est attaquée, nous le disons lorsque c'est Israël qui est attaqué : il ne peut pas y avoir de paix sans justice, il n'y a pas de sécurité durable sans justice et nous avons le devoir de le dire. Aussi, lorsque c'est le peuple arménien qui est attaqué, nous n'avons pas le droit, tout simplement pas le droit d'autoriser une médiation entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan tant que cette injustice court encore.
Injustice immense qui se concentre aujourd'hui dans le fait que des Arméniens sont retenus à Bakou comme prisonniers politique. Cette injustice-là signe le triomphe du récit d'Aliyev. Pourquoi sont-ils en prison ? Pour séparatisme. Ce mot que nous aurons vu honteusement étalé dans les colonnes-mêmes de nos propres journaux en France. Je dois dire que ce terme de "séparatistes" désigne les Arméniens du Haut-Karabagh qui ne faisaient que défendre leur maison, que défendre leur terre, que défendre leur droit à la paix et à la liberté et sont décrits comme des criminels par le régime de Bakou qui les condamne aujourd'hui sur la base de procès totalement fallacieux et de parodie de justice.
Je pense à tous ces dirigeants arméniens, je pense, vous l'avez cité, à Ruben Vardanyan, au premier rang d'entre ceux qui avaient dévoué leur vie pour la cause du Haut-Karabagh et qui aujourd'hui est condamné à le payer de la privation de ses droits fondamentaux. Je pense aussi à ces Arméniens ordinaires qui s'étaient battu pour leur terre. Je pense à Vagif Khatchatryan, qui quittait le Haut-Karabagh dans une ambulance et qui a été arrêté par les Azéris au motif qu'il avait eu le tort de vouloir rester arménien, de vouloir vivre dans le Haut-Karabagh malgré toutes les pressions, malgré ce blocus que vous avez évoqué avec tant de de force parce qu'il signait déjà la gravité de cette violation du droit international dont nous sommes accommodés.
Nous avons le devoir d'exiger la libération de ces prisonniers, d'exiger la libération des prisonniers de guerre, de ces soldats dont nous savons qu'après la guerre de 2020, beaucoup ont été retenus pendant si longtemps, maltraités, parfois exécuté arbitrairement, dont les familles ont été privées de nouvelles pendant des mois, des années. Nous avons le devoir d'exiger la libération de tous les Arméniens détenus aujourd'hui à Bakou. Il ne peut pas y avoir de médiation ce sens-là et l'Europe devrait enfin mettre en œuvre les moyens dont elle dispose - et elle en a les moyens - pour obtenir que cette injustice soit enfin définitivement abandonnée.
Il faut mettre fin au contrat gazier indécent qui lie l'Europe à l'Azerbaïdjan et qui a été tragiquement réaffirmé le lendemain même de la fin de cette guerre éclaire contre le peuple d'Artsakh. Tragiquement réaffirmé par la Commission européenne, scandaleusement réaffirmé. Il faut enfin mettre en œuvre des sanctions contre le régime d' Aliyev, et nous avons les moyens de faire reculer ce régime. Alors l'Union européenne sera à la hauteur de sa responsabilité.
Dans quelques jours, à l'occasion d'un sommet de l'organisation Euronest des parlementaires de plusieurs pays du Partenariat oriental viendront au Parlement européen ainsi que des délégués de l'Azerbaïdjan. Ces mêmes parlementaires qui, lorsque nous avons voté au Parlement européen un amendement que j'avais déposé pour exiger des sanctions contre le régime d'Aliyev, s'étaient permis de publier un texte décrivant les Arméniens comme la tumeur cancéreuse au cœur de l'Europe. Je me tourne vers vous, amis du CCAF, nous devons obtenir ensemble que ces parlementaires ne soient pas accueillis au sein de notre Parlement, de nos institutions démocratiques. Nous avons le devoir de faire la démonstration que les démocraties ne sont pas faibles devant les dictatures, qu'elles savent défendre leurs droits, qu'elles savent défendre leurs principes. Paris est évidemment le lieu plus qu'aucun autre pour émettre un tel appel, avec vous tous, ici, l'appel à mener le combat pour cette libération avant que toute autre discussion ne redevienne possible avec le régime de Bakou.
[…] Cette campagne est déjà lancée sur deux fronts. D'abord sur le front politique parce qu'en effet, cet accord gazier est intolérable, nous le disons pour notre part avec de nombreuses voix. Je pense à des collègues parlementaires européens et français comme Sylvie Guillaume avec laquelle nous nous menons ce combat pour la dénonciation du contrat gazier, Emmanuel Morel, Nathalie Loiseau, François Alfonsy. Lorsque nous avons appris la nouvelle de l'agression de l'Azerbaïdjan contre le Haut-Karabagh, il y a quelques semaines, j'ai moi-même exigé en séance que ce contrat soit dénoncé. Dans les jours qui ont suivi, nous avons voté avec le Parlement européen une résolution qui dénonçait explicitement ce contrat et exigeait de la Commission qu'elle le suspende immédiatement. Le fait est que nous ne sommes qu'un Parlement et nous non plus, nous n'avons avons pas d'armée. Notre métier est la parole et ce faisant nous n'avons pas nous-mêmes le pouvoir de mettre fin à ce contrat, mais la pression du Parlement est là. Je crois maintenant que nous avons tous le devoir d'intervenir auprès de la Commission, d'une part, mais aussi auprès des chefs d'État et de gouvernement qui sont les premiers responsables de la situation.
[…] Le second front est important et là encore, je crois que nous pouvons, à travers vous, lancer un appel à tous ceux qui peuvent nous aider. Ce contrat gazier est d'une très grande opacité. J'en ai obtenu le document, ce n'est pas réellement un contrat d'ailleurs, c'est techniquement un "memorandum of understanding" qui a, en réalité, une base juridique extraordinairement fragile. Je crois que nous devons ouvrir aussi un front légal, un front juridique parce que nous avons la possibilité de faire tomber cet accord gazier sur le plan du droit. Le droit est notre arme parce que nous sommes attachés à la démocratie et nous croyons que la justice est ce qui est aujourd'hui entre nos mains pour lutter contre la gravité de ces atteintes aux droits humains dont nous nous rendons complices. Ouvrir ce front juridique, c'est quelque chose que nous pouvons mener, nous, parlementaires, par notre travail d'enquête et d'information de contrôle. Avec la société civile, avec les professionnels du droit, avec tous les passionnés de justice et je sais qu'ils sont nombreux parmi la communauté arménienne, nous pouvons travailler ensemble pour faire tomber cet accord gazier sur le plan de sa fragilité du point de vue de sa base juridique.
Je saisis enfin l'occasion de ce que nous sommes aujourd'hui dans une conférence de presse devant des journaliste, l'Agence France Presse est ici. Nous, responsables politiques, sommes évidemment soumis au regard parfois critique de la presse et c'est bien normal. Permettez-nous aussi de dire notre incompréhension devant le fait que, dans les situations de conflit que nous venons de traverser, le monde des médias a pu parfois manquer de discernement dans l'usage des termes employés.
Nous avons évoqué ensemble cette expression de "séparatistes". Aujourd'hui, des innocents sont emprisonnés à Bakou par un régime dont nous savons à quel point il se moque de la justice. Il se moque tellement de la justice qu'il est prêt à condamner à mort ses opposants, jusque sur le sol français. Mesdames et Messieurs, sans doute le savez-vous, il y a aujourd'hui des opposants à Aliyev menacés de mort qui ont été victimes de tentative d'assassinat sur le sol français alors qu'ils sont réfugiés politiques. C'est une cause qui nous réunit, chère Anne, et je voudrais vous dire encore ma reconnaissance pour le travail très concret que vous avez fait pour protéger ceux qui aujourd'hui incarnent cette liberté, de ceux qui, en Azerbaïdjan, cherchent à résister à la dictature qui leur est imposée au risque de leur vie.
Il n'y a pas de justice en Azerbaïdjan. Quand nous décrivons les Arméniens du Haut-Karabagh comme étant des "séparatistes", nous donnons des armes à cette injustice organisée par le régime de Bakou. Nous lui donnons des moyens techniques pour alimenter son narratif. Que veut dire "séparatiste" ? "Séparatiste" voudrait dire que les frontières de l'Azerbaïdjan reconnaissaient au plan du droit international que l'intégrité du pays impliquait, incluait le Haut-Karabagh. Dire cela, c'est faire fi du désaccord qui existait au plan du droit international car s'il était si clair, pourquoi y aurait-il eu un Groupe de Minsk pour discuter sur le statut du Haut-Karabagh ? Décrire les habitants du Haut-Karabagh comme des séparatistes, c'est donner raison à des frontières définies par Staline. Ce à quoi nous avons assisté il y a quelques semaines, c'est au dernier crime de Staline. Quand nous parlons de séparatistes en décrivant les Arméniens du Haut-Karabagh, nous donnons raison à Staline et à celui qui aujourd'hui s'appuie sur l'héritage stalinien, c'est-à-dire à Aliyev, qui est l'un de ses dignes descendants.
Nous n'avons pas le droit de faire comme s'il y avait deux parties, l'une face à l'autre, avec un désaccord territorial. Nous n'avons pas le droit de faire comme si nous mettions sur le même plan une démocratie et une dictature, nous n'avons pas le droit de faire comme si nous mettions sur le même plan un système de justice et un système d'injustice. Nous n'avons pas le droit de décrire la situation de gens qui défendaient paisiblement leur droit à vivre chez eux en mettant un signe égal avec celle de gens qui étaient prêts à utiliser les armes pour les écraser. Je crois qu'il est très important que nous soyons précis dans les mots. Vous demandiez ce que nous pouvons faire pour ceux qui sont aujourd'hui prisonniers. Eh bien d'abord parler clairement et ne pas offrir à ceux qui veulent les maintenir en détention arbitraire pour alimenter leur récit les mots dont ils ont besoin pour justifier leur infamie.