Depuis deux semaines déjà, le cordon ombilical reliant l’Artsakh à la mère patrie est coupé. Une quarantaine d’enfants sont également « coupés » de leurs parents. Venus à Erevan pour assister à l’Eurovision Junior, ils ont été bloqués sur leur voie de retour : un groupe a dû rester à Erevan, un autre attend à Goris.
Par Lusine Abgarian
« Ne bois pas de l’eau glacée », jette Anahit Gabouzyan à l’un de ses élèves qui s’approche de l’appareil pour boire de l’eau. Ils sont 14 à Erevan sous l’œil vigilant et maternel de leurs deux professeurs. Anahit Gabouzyan et Inga Lalayan, musiciennes au Centre créatif pour enfants et adolescents à Stepanakert, sont à leurs petits soins quotidiens depuis deux semaines. Une énorme responsabilité qui pèse sur les épaules de ces deux professeurs de musique et qu’elles tiennent avec beaucoup d’obstination, remplaçantm pour ces enfants, leurs parents.
Les enfants, jeunes musiciens venus de différentes écoles d’Artsakh, s’initient tous à la musique : certains au chant, d’autres jouent des instruments. « Nous ne connaissions pas grand monde ici, mais en chemin, nous avons déjà compris que nous passerions un bon moment ensemble. Nous n’imaginions pas que nous resterions ensemble dix jours et que nous deviendrions frères et sœurs. Quand nous rentrerons en Artsakh, cette amitié sera préservée », dit Lia Baghdasarian qui rêve de devenir chanteuse.
Aïda Baghdassaryan, une autre jeune fille férue de musique, a vu son souhait devenir réalité, mais pas tout à fait de manière qu’elle se l’était imaginée : « Nous étions venus pour une journée, et nous avions envie de rester un peu plus car tout ce qui se passait était intéressant pour nous. Mais en apprenant que nous ne pourrons pas rentrer, que le chemin est fermé et que la date de notre retour est inconnue, nous étions attristés. Bien qu’on soit bien installés ici, c’est toujours mieux d’être à la maison », dit-elle.
Les visites culturelles et tout type de divertissement, des initiatives venant de différentes personnes remplissent les journées de ces enfants : « Ils sont tellement pris tous les jours par différentes activités offertes par des gens que cela leur manque de rester au calme, dans leurs chambres », dit Anahit Gabouzyan. Profitant de leur passage à Erevan qui dure plus que prévu, les enfants ont été invités à écouter un opéra, à voir un ballet : une première pour eux !
Bien que les visites culturelles enrichissantes remplissent leurs journées, leur droit à l’apprentissage est violé : ils restent dépourvus de la possibilité d’aller à l’école et de poursuivre le programme scolaire. S’y ajoute la nostalgie qui s’accentue tous les jours, l’interminable attente et l’anxiété pour leurs familles qui sont restés de l’autre côté de la frontière. Le seul lien qu’ils ont avec leurs familles reste le téléphone. « Nos professeurs essaient de nous rendre heureux de toutes les manières possibles, nos journées sont très chargées, nous avons des visites, nous jouons à différents jeux. Nous passons de bons moments. Mais notre patrie, nos familles nous manquent », dit Lika.
Les deux professeurs, Anahit et Inga qui ont leurs grandes familles et leurs propres enfants en Artsakh, en blocus, n’ont qu’une envie - que les enfants vivent sous un ciel paisible : « C’est tout. Nous ne voulons rien de plus. Que nos enfants sourient, rient, aient des projets d’avenir. Qu’ils aient le droit à la vie », disent-elles, en comparant les Azéris aux nazis : « Au 21e siècle, les enfants venaient assister à un concours international. Les Azéris ont fermé les routes. Comment une telle chose peut arriver ? Les enfants sont arrachés à leurs parents. Ce sont des nazis...».
Leurs témoignages se ressemblent, leur souhait est unique : rentrer en Artsakh et vivre en paix. Movsès Hakobyan, 13 ans, qui se voit chanter un jour à l’Eurovision, a aussi un rêve ultime : vivre en Artsakh. Vivre comme les autres enfants du monde : « Nous voulons tous vivre sous un ciel paisible. Nous avons traversé tant de guerres, nous voulons enfin vivre en paix, comme les autres ». Les quelques mots que Marie Balayan, son camarade, a souhaité exprimer résonnent tel un appel au monde : « J’aimerais beaucoup que le monde n’oublie pas l’Arménie et l’Artsakh. Parce que maintenant c’est une période très difficile, surtout pour l’Artsakh. Chaque enfant, chaque personne y vit dans la peur, et le monde regarde en silence ».
Depuis deux semaines, l’Artsakh est bloqué. Le monde vient de fêter Noël. Une quarantaine d’enfants restent toujours séparés de leurs parents.