
En Arménie, les femmes représentent aujourd’hui la majorité des diplômés universitaires, se distinguent dans les filières les plus exigeantes et s’impliquent activement dans la vie économique et sociale du pays. Pourtant, leur insertion dans le monde du travail demeure marquée par de nombreuses inégalités : écart salarial persistant, accès restreint aux postes à responsabilité, préjugés culturels tenaces et manque de structures de soutien adaptées, notamment pour les mères ou les femmes déplacées. Cette contradiction entre niveau d’éducation élevé et insertion professionnelle incomplète soulève des questions fondamentales sur l’efficacité des politiques publiques, l’évolution des mentalités et le rôle des initiatives locales. Pour mieux cerner ces enjeux, nous avons rencontré deux actrices-clés de cette dynamique : l’équipe du programme Women Entrepreneurs de l’Armenian General Benevolent Union (AGBU), et Armine Haroyan, directrice exécutive de l’Armenian Educational Foundation (AEF). Leurs témoignages apportent un éclairage concret, lucide et engagé sur les réalités vécues par les femmes arméniennes en quête d’émancipation professionnelle.
Par Layla Khamlichi-Riou
Une émancipation professionnelle encore incomplète
Trente ans après l’indépendance de l’Arménie, les femmes sont de plus en plus visibles dans l’enseignement supérieur, les ONG et certains secteurs économiques. Pourtant, leur inclusion professionnelle reste partielle, souvent entravée par des mécanismes structurels, institutionnels et culturels. Certes, le pays a ratifié la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDAW) et engagé plusieurs plans d’action nationaux pour l’égalité de genre. Néanmoins, les écarts entre hommes et femmes persistent à tous les niveaux de la vie professionnelle.
D’après les données du site « Perspective Monde » de l’Université de Sherbrooke, les indicateurs d'inégalité de genre (taux d’activité économique, représentation politique, éducation) montrent un retard notable de l’Arménie par rapport à d'autres pays d'Europe orientale. L’indice d’autonomisation des femmes reste inférieur à la moyenne mondiale. Et ce, malgré une scolarisation élevée des filles et un accès massif à l’enseignement supérieur, où les femmes représentent souvent plus de 60 % des étudiants.
De surcroît, le rapport 2023 de l’OIT sur l’Arménie souligne que le taux d’activité des femmes est l’un des plus faibles de la région. En 2021, seulement 52 % des femmes en âge de travailler étaient actives, contre 72,5 % des hommes. Une tendance confirmée par la Banque mondiale, qui ajoute que les femmes sont plus souvent cantonnées à des emplois précaires, informels, ou faiblement rémunérés.
Par ailleurs, la transition post-soviétique a également eu un impact différencié sur les femmes. Dans les années 1990, la fermeture de nombreuses usines a frappé durement l’emploi féminin. Depuis, la reprise économique s’est faite au profit de secteurs plus masculins comme la construction ou l’informatique.
À ces dynamiques économiques s’ajoutent des facteurs socioculturels. Comme le montre le rapport de Sona Grigoryan, les rôles familiaux assignés aux femmes (mère, épouse, fille dévouée) restent très puissants dans l’imaginaire collectif.
En définitive, cette situation ambivalente – haut niveau d’instruction, mais intégration professionnelle insuffisante – crée un climat de frustration mais aussi un terreau fertile pour les initiatives citoyennes, universitaires et associatives. Comme l’explique Armine Haroyan, directrice de l’AEF : « Si l’éducation est une base essentielle, elle doit être complétée par l’accès, le mentorat et les opportunités pour réellement permettre aux femmes de s’émanciper professionnellement. »
Une jeunesse féminine éduquée, mais sous-employée
Si les jeunes femmes arméniennes sont aujourd’hui nombreuses à obtenir un diplôme universitaire, leur insertion sur le marché du travail reste bien plus compliquée. D’une part, les formations suivies ne correspondent pas toujours aux besoins du tissu économique local. D’autre part, les opportunités d’emploi qualifié sont fortement concentrées à Erevan.
Comme le révèle l’enquête nationale menée par l’AF4SD en 2022, plus de 60 % des jeunes femmes interrogées déclarent qu’elles ne trouvent pas de débouchés correspondant à leur niveau de qualification dans leur région d’origine. Cette réalité conduit souvent à des choix professionnels par défaut ou à une migration vers la capitale, voire à l’étranger.
Cette censure est renforcée par le manque de représentations féminines dans certains secteurs. Les témoignages recueillis par AYWA ou l’AGBU montrent que peu de jeunes filles s’autorisent à envisager une carrière dans l’ingénierie, la finance ou les hautes fonctions de l’État.
De plus, certaines étudiantes doivent concilier études et travail précaire pour subvenir à leurs besoins. « L’AEF complète les bourses académiques par des formations aux compétences douces, des ateliers de développement professionnel et des stages. », note Armine Haroyan.

L’insertion professionnelle des jeunes diplômées ne se résume donc pas à une question de diplôme, mais bien à un ensemble de facteurs économiques, sociaux et culturels. Les chiffres de la Banque mondiale montrent que le taux de chômage des jeunes femmes (15-24 ans) reste supérieur à celui des jeunes hommes, en particulier dans les zones rurales.
Ainsi, les parcours féminins sont souvent marqués par des ruptures : interruptions pour des raisons familiales, reconversions subies, réorientations vers des secteurs moins concurrentiels. Ces éléments ralentissent leur progression et créent des inégalités durables dans l’accès à l’emploi stable et bien rémunéré.
Un tissu associatif moteur de changement
Face aux difficultés d’insertion rencontrées par les femmes, le rôle du tissu associatif s’est avéré essentiel en Arménie. Des structures comme l’Armenian Educational Foundation (AEF), l’AGBU ou AYWA ont progressivement développé des programmes ciblés pour répondre aux besoins spécifiques des femmes en quête d’autonomie professionnelle.
L’AEF, par exemple, accompagne des jeunes femmes issues de milieux modestes en leur proposant à la fois un soutien financier et un accompagnement pédagogique: « Nous nous engageons tout particulièrement à garantir l’accès à l’enseignement supérieur pour les femmes issues des régions rurales et défavorisées. »
L’AGBU, à travers son programme Women Entrepreneurs, joue également un rôle déterminant. En offrant des formations à la création d’entreprise, du mentorat et un suivi individualisé, l’association permet à de nombreuses femmes, notamment déplacées à cause du conflit du Haut-Karabakh, de rebâtir leur vie professionnelle.« Nous aidons les femmes déplacées à retrouver une stabilité, à reconstruire leurs moyens de subsistance et à reprendre le contrôle de leur vie économique en s’intégrant dans l’écosystème entrepreneurial arménien. », partage l’équipe du programme.
Ces initiatives sont souvent pensées dans une logique de proximité : travail en réseau, ancrage local, adaptation aux réalités socioculturelles. AYWA insiste aussi sur l’importance de créer des espaces de parole. En brisant le silence autour des discriminations ou des blocages, ces associations redonnent confiance aux bénéficiaires.
Plus récemment, des ateliers de formation en numérique et en programmation ont vu le jour à destination des femmes, souvent en partenariat avec des bailleurs internationaux. Le projet Taraz Made in Syunik, soutenu par le Fonds Arménien de France, en est un bon exemple. En formant les femmes à la confection textile et au e-commerce, il leur permet d’allier savoir-faire local et débouchés internationaux.
Ainsi, le tissu associatif agit comme un levier d’innovation sociale. Là où les politiques publiques tardent parfois à répondre, les ONG expérimentent, ajustent, puis diffusent des pratiques d’accompagnement efficaces. Elles constituent un maillon indispensable pour combler les lacunes structurelles et redonner espoir à des milliers de femmes.
Une montée en compétences soutenue par les universités et les ONG
Des universités arméniennes ont pris conscience de leur rôle dans la préparation à la vie professionnelle. Elles intègrent désormais des modules de professionnalisation, des stages obligatoires et des partenariats avec des entreprises locales.
Parallèlement, les associations comme l’AGBU développent des formations spécifiquement destinées aux femmes. « Le programme AGBU Women Entrepreneurs soutient l’insertion professionnelle des femmes en Arménie en leur offrant un parcours d’apprentissage structuré, pratique et gratuit qui les aide à créer ou développer leur propre entreprise. » précise l’équipe Women Entrepreneurs.
L’AEF insiste également sur l’importance d’un travail sur les soft skills : « Nous proposons des formations au leadership, à la gestion du temps, à la prise de parole en public. Ces éléments font souvent toute la différence pour une insertion réussie (...) L’AEF encourage activement la participation des femmes dans les secteurs traditionnellement masculins, comme les STEM. » affirme Armine Haroyan.
La complémentarité entre universités, ONG et acteurs économiques crée un écosystème favorable à l’émancipation professionnelle des femmes. Toutefois, ces efforts restent parfois localisés ou dépendants de financements extérieurs, ce qui limite leur portée nationale.
Malgré ces limites, les retours des bénéficiaires témoignent d’un impact concret. De nombreuses femmes ayant suivi ces parcours trouvent un emploi durable, créent leur entreprise ou deviennent à leur tour formatrices, perpétuant ainsi un cercle vertueux.
Les freins persistants : stéréotypes, autocensure et inégalités structurelles
Malgré les avancées, de nombreux freins subsistent pour les femmes en Arménie. Les stéréotypes de genre, profondément ancrés, continuent de peser sur leurs choix professionnels. Certaines filières ou métiers restent fortement masculinisés, décourageant les jeunes filles à s’y projeter.
Du côté de l’AEF, Armine Haroyan ajoute : « Nous avons mis en place des programmes d’ingénierie avancée dans les écoles, notamment à Vanadzor et Gyumri… et nous sommes heureux de constater une forte participation des jeunes filles à ces formations techniques. »
Les attentes familiales, souvent orientées vers le mariage ou les tâches domestiques, réduisent aussi l’espace de projection professionnelle. L’AGBU note que beaucoup de leurs bénéficiaires ont dû surmonter des résistances familiales fortes pour pouvoir lancer leur entreprise ou suivre une formation.
S’ajoutent à cela des obstacles structurels : absence de services de garde d’enfants accessibles, transports peu adaptés, faible accès à l’information sur les droits du travail. Toutes ces dimensions contribuent à fragiliser la position des femmes sur le marché du travail.
La parole des actrices de terrain converge : l’insertion professionnelle ne peut être pensée uniquement en termes de compétences individuelles. Il faut aussi s’attaquer aux représentations sociales et aux normes de genre qui entravent l’égalité.
Vers une égalité durable : quelles perspectives ?
Face aux résistances, les actrices de terrain redoublent d’efforts pour inscrire leurs actions dans la durée. Pour cela, il faut dépasser la logique du projet ponctuel pour aller vers une transformation institutionnelle et sociale. L’accompagnement ne doit pas se limiter à l’employabilité immédiate, mais aussi viser l’autonomisation à long terme.
Comme le souligne Armine Haroyan : « Nous insistons beaucoup sur la formation au leadership, à la gestion du temps, à la prise de parole, parce que ces compétences font la différence. Une jeune femme bien formée, mais qui n’ose pas s’exprimer ou négocier, ne pourra pas saisir les opportunités. » Ces formations sont intégrées dans les programmes de l’AEF, souvent en partenariat avec des ONG locales ou des universités.
L’AGBU, quant à elle, mise sur le renforcement des réseaux. « Les participantes acquièrent des connaissances essentielles en entrepreneuriat, en littératie financière et en gestion, tout en participant à des exercices interactifs, des simulations et des mises en situation réelle. », développe l’équipe Women Entrepreneurs.
L’ensemble des initiatives convergent vers un objectif partagé : faire de l’égalité professionnelle un pilier du développement arménien. Cela nécessite bien sûr une volonté politique renforcée, mais aussi une évolution des mentalités, dès le plus jeune âge. L’école, la famille, les médias, les entreprises doivent contribuer à rendre visibles les parcours féminins, à valoriser les compétences des femmes, et à encourager leur leadership.
Comme le résume Armine Haroyan : « L’égalité professionnelle ne se décrète pas. Elle se construit, patiemment, avec chaque fille qui ose rêver d’un avenir différent, et chaque femme qui l’accompagne sur ce chemin. »
L’insertion professionnelle des femmes en Arménie progresse, mais reste encore freinée par de multiples obstacles culturels, économiques et institutionnels. Toutefois, l’engagement des universités, des ONG, et surtout des femmes elles-mêmes, trace une voie d’avenir plus égalitaire. L’exemple des programmes de l’AEF, les initiatives de l’AGBU ou d’AYWA montrent que l’autonomie professionnelle est possible, à condition d’être soutenue, accompagnée et valorisée. Les changements sont en cours, mais pour qu’ils deviennent structurels, ils doivent s’ancrer durablement dans les politiques publiques et les mentalités collectives. Les voix d’Armine Haroyan et de tant d’autres témoignent d’une génération qui ne veut plus choisir entre ambition et tradition, entre famille et carrière, entre compétence et invisibilité. Ces femmes tracent les contours d’une Arménie plus juste, où le travail ne serait plus une conquête, mais un droit pour toutes.
Pour approfondir le sujet et avoir un angle de vue différent, voici une interview spéciale avec Asya Movsisyan, Directrice chargée du développement et des partenariats à l’Université française en Arménie (UFAR).
Quel rôle joue l’UFAR dans la préparation à l’insertion professionnelle des étudiantes ?
Avant de répondre à cette question, il me semble essentiel de partager quelques chiffres clés issus de nos enquêtes d’insertion professionnelle, qui offrent une vision d’ensemble des tendances actuelles et permettent de mieux comprendre les actions menées par l’UFAR, notamment en faveur de l’insertion des étudiantes, mais aussi plus largement de l’ensemble de nos diplômé·es.
Au sein de la direction du développement et des partenariats, un Observatoire de l’insertion professionnelle est chargé de piloter ces travaux. Ses missions principales sont les suivantes :
• Réaliser chaque année des études d’insertion,
• Analyser l’évolution des données dans le temps,
• Diffuser les résultats quantitatifs et qualitatifs par promotion à destination des futur·es candidat·es, de l’université et de ses partenaires.
Ces enquêtes nous permettent de suivre précisément le devenir de nos anciens étudiants : taux d’emploi, délais et modes d’accès au premier emploi, secteurs d’activité, types de contrats, niveaux de rémunération, mobilité géographique, poursuite d’études, satisfaction vis-à-vis de leur formation et de leur situation professionnelle. L’ensemble de ces données est systématiquement analysé sous l’angle du genre, ce qui nous permet d’identifier les éventuelles inégalités et d’agir en conséquence.
En 2020, une enquête a été menée auprès de l’ensemble des diplômé·es de l’UFAR (15 promotions, de 2005 à 2019), avec un excellent taux de réponse de 80 %. Les femmes représentaient 71 % des répondant·es contre 29 % d’hommes.

Les résultats sont globalement très encourageants : seuls 4 % de nos diplômé·es sont en recherche d’emploi, avec une différence de genre quasi inexistante (3,9 % pour les hommes, 4,2 % pour les femmes). On n’observe pas non plus de disparités marquées dans les secteurs d’activité. Il est même intéressant de noter que les femmes diplômées de l’UFAR sont particulièrement présentes dans le secteur des technologies de l’information, un domaine encore largement masculin dans beaucoup d’autres contextes.
En revanche, l’écart salarial entre les sexes reste un point d’attention. Pour l’ensemble des 15 promotions interrogées, il s’élève à 28,8 %, et atteint 27 % pour les trois dernières promotions. Si ces chiffres peuvent sembler élevés, ils demeurent nettement inférieurs à la moyenne nationale : en Arménie, l’écart de rémunération entre les femmes et les hommes est passé de 34,7 % en 2019 à 40,7 % en 2023 (cf. Figure 1). En comparaison, en France, cet écart a diminué d’un tiers entre 1995 et 2023 pour s’établir aujourd’hui à 22,2 %. Ainsi, les données observées à l’UFAR, bien qu’imparfaites, témoignent d’une situation relativement plus équilibrée, et nous espérons que les résultats de la promotion 2024, actuellement en cours d’analyse, viendront confirmer cette dynamique positive.
Source : Comité de statistique de la RA
Il faut dire qu’à l’UFAR, la préparation à l’insertion professionnelle des étudiantes s’inscrit naturellement dans le parcours universitaire, sans nécessiter d’efforts artificiels ou forcés. Cela ne signifie pas pour autant un manque de réflexion : nous suivons de près leur évolution, menons régulièrement des enquêtes pour identifier d’éventuels besoins, et adaptons nos actions en conséquence.
Vous mentionnez un écart de rémunération de 27 % entre diplômés et diplômées à l’UFAR. À quoi attribuez-vous cet écart, malgré une insertion professionnelle quasi équivalente ?
Les raisons sont à mon avis les mêmes que pour les autres : charge familiale, interruption de carrière, faible représentation dans les postes de pouvoir, et un autre point important à mentionner est que les femmes négocient moins souvent leur salaire initial ou leurs augmentations en craignant des conséquences sociales négatives et en évitant les conflits. Même si elles osent demander, elles demandent des montants plus bas, ou bien elles n’obtiennent pas toujours de résultats équivalents.
Avez-vous des dispositifs spécifiques pour accompagner les jeunes femmes dans leur transition vers le marché du travail ?
En 2020, nous avons créé un centre d’entrepreneuriat visant à développer la culture entrepreneuriale chez les jeunes, avec une attention particulière portée dès le départ aux femmes. Jusqu’en 2023, ce programme a accompagné deux cohortes par an, issues de l’UFAR mais aussi d’autres établissements, et nous avons observé que près des deux tiers des porteurs de projets étaient des femmes. Depuis 2024, nous avons lancé une école d’été en entrepreneuriat, dont la première cohorte comptait 67 filles pour seulement 12 garçons — une tendance qui semble se confirmer cette année encore. Ces chiffres témoignent d’un réel dynamisme féminin, mais soulignent aussi un autre enjeu, moins souvent évoqué : la déqualification progressive des garçons. Conscients de cet équilibre fragile, nous menons également des actions pour réengager les jeunes hommes dans des parcours d’avenir.
Vous évoquez une “déqualification progressive des garçons”. Disposez-vous de données ou d’éléments concrets qui confirment cette tendance ?
Pour répondre à cette question, il nous suffit de regarder de près les données affichées par le Comité statistique d’Arménie dans une publication intitulée « Hommes et Femmes en Arménie 2023 » (cf. Figure 2) nous constatons que les hommes sont davantage inscrits dans les filières professionnelles préliminaires. Les femmes sont nettement plus représentées dans l’enseignement supérieur, notamment en Licence et Master.
Source : Comité de statistique de la RA
L’inclusion passe aussi par le soutien aux étudiants en difficulté. Que fait l’UFAR à ce sujet ?
L’un des publics les plus fragilisés est celui des garçons qui doivent interrompre leurs études à 18 ans pour accomplir leur service militaire obligatoire, sans sursis. Cette coupure entraîne un décrochage académique et linguistique difficile à rattraper.
Pour y répondre, l’UFAR a mis en place après la guerre de 2020 le Plan de Réintégration des Étudiants Ex-Militaires vers le Succès (PREMS). Ce programme propose un accompagnement individualisé, des cours de rattrapage, un renforcement linguistique, un soutien psychologique, ainsi que des stages et séjours linguistiques à l’étranger.
Avez-vous des retours concrets sur l’insertion ou les performances académiques des anciens militaires qui participent au programme PREMS ?
En 2024 nous avons eu les premiers diplômés de ce programme. Les enquêtes d’insertion professionnelle se font traditionnellement de 6 à 9 mois après leur diplomation. Nous venons de finaliser la collecte des réponses et en juillet nous saurons déjà les résultats de ces enquêtes et je pourrai répondre à votre question. En attendant, je peux dire qu’en 2024 nous avons envoyé en stage à l’étranger 2 bénéficiaires du programme PREMS et tous les 2 ont trouvé un emploi à leur retour auprès de nos partenaires.
Pour revenir à notre sujet, les fortes participations féminines aux programmes entrepreneuriaux sont frappantes. Est-ce selon vous une forme d’émancipation face aux inégalités du marché du travail ?
Il est vrai que l’entrepreneuriat peut être une forme d’émancipation pour les femmes. Participer à des programmes entrepreneuriaux leur permet de gagner en confiance, d’acquérir des compétences et de construire leur propre projet, sans dépendre des règles parfois inégalitaires du monde salarié. Mais à mon avis c’est dû surtout à la différence d’approche entre les sexes. De nombreux retours d’expérience montrent que les femmes entrepreneuses ont tendance à vouloir d’abord se former, structurer leur idée, comprendre leur environnement, avant de se lancer. Elles cherchent à limiter les risques en acquérant des bases solides. À l’inverse, les hommes sont plus enclins à tester rapidement leur projet, quitte à ajuster en cours de route, selon une logique plus expérimentale.
Avez-vous des exemples d’histoires de succès féminines issues de votre université ?
Les exemples de réussites féminines issues de l’UFAR sont nombreux et témoignent de l’engagement et du talent des anciennes étudiantes dans des domaines variés. Pour mettre en lumière ces parcours inspirants, l’UFAR organise chaque année depuis 2021 une table ronde intitulée « Femmes de tête, femmes d’actions ». Cet événement réunit des diplômées de l’UFAR qui partagent leurs expériences autour de sujets d’actualité, notamment le développement durable, l’innovation et le leadership féminin. L’une des histoires de succès emblématiques est celle de Safe YOU, une application fondée par une ancienne de l’UFAR, conçue pour renforcer la sécurité des femmes et leur offrir une plateforme de soutien en cas de harcèlement ou de violence. Cette application innovante, aujourd’hui déployée dans plusieurs pays, illustre parfaitement l’impact que peuvent avoir les femmes formées à l’UFAR. À travers ces initiatives, l’université célèbre les parcours d’excellence et encourage la nouvelle génération à prendre pleinement part aux grands enjeux de société.
Travaillez-vous avec des réseaux d’anciennes pour renforcer la solidarité et le mentorat entre générations d’étudiantes ?
L’UFAR entretient un lien étroit avec son réseau d’anciens. Pour dynamiser davantage cette communauté, une plateforme des anciens a été mise en place, facilitant les échanges, les collaborations et les opportunités de mentorat. De nombreux anciens sont régulièrement invités à intervenir dans le cadre des cours ou d’ateliers, où ils partagent leur parcours professionnel et jouent un rôle de modèle inspirant pour les étudiants actuels. La table ronde annuelle « Femme de tête, femme d’action » s’inscrit également dans cette dynamique : au-delà de la valorisation des histoires de succès, elle permet de créer des passerelles entre générations d’étudiantes, en les incitant à s’engager activement dans leur trajectoire professionnelle et à s’entourer de figures féminines de référence.
Enfin, avez-vous noté une évolution des mentalités, chez les jeunes femmes ou dans leur entourage, concernant leur place dans la vie professionnelle, notamment dans des secteurs traditionnellement masculins ?
Oui, on constate une évolution progressive des mentalités, tant chez les jeunes femmes que dans leur entourage. Cependant cette évolution est aussi parfois liée à une réalité pragmatique : dans certains domaines, le manque de candidats masculins qualifiés ouvre davantage de portes aux femmes.
Pour illustrer cela, prenons l’exemple des juges d’instruction. Pour exercer cette fonction, il faut au minimum un diplôme de licence. En 2016, les femmes ne représentaient que 9 % des juges d’instruction. Ce chiffre est passé à 17,4 % en 2022, et en 2024, elles représentent désormais 25 % de ce corps professionnel. Cela montre clairement une tendance à la fois sociale et structurelle qui évolue vers plus de mixité.