Le taux de change du dram arménien s'envole vers des sommets jamais atteints depuis près de 10 ans. Ne dépassant pas les 500-520 drams pour un dollar début de mars, dans les premières semaines du conflit en Ukraine, son cours évolue aujourd'hui aux alentours de 405 drams contre un dollar et contre un euro. Alors que le dram s'apprécie toujours davantage par rapport au dollar, entreprises et particuliers paient le prix fort.
Par Aram Gareginyan
IT, producteurs et exportateurs dans le même bateau
Cette chute du dollar pénalise grandement les exportateurs de produits arméniens, au premier rang desquels les fabricants de logiciels, secteur porteur de l'économie arménienne. La majorité de ces entreprises, souvent sous-traitantes de sociétés étrangères, perçoivent la majorité de leurs revenus en dollars mais doivent s'acquitter en dram de leurs charges et fiscales et salariales, nettement plus élevées que celles d'autres secteurs. Quel intérêt dans ces conditions pour leur société mère, de supporter en Arménie des frais de sous-traitance qui deviennent plus élevés que ce qu'ils pourraient être dans d'autres pays d'Europe orientale par exemple ?
Les exportateurs dits de produits classiques ne sont guère mieux lotis. Si leurs charges de fonctionnement sont proportionnellement plus réduites, leurs couts de production, réglés en drams, réclament de plus en plus d'équivalent dollar. Le prix des biens et produits arméniens à l'export (conserves de fruits et légumes, vins et brandy, etc) augmente et devient moins compétitif.
Si un dram fort pénalise les exportations, à contrario, il devrait normalement favoriser les importations. Ces dernières sont malheureusement payées en dollars et l’Arménie importe la majeure partie de son blé ou de ses céréales fourragères, pour l’élevage bovin et volailler, la totalité de son sucre et de l’huile de tournesol, sa viande de poulet, aux deux tiers, et pour plus de la moitié de son beurre. Par ailleurs, beaucoup de ces biens sont nécessaires à la production des produits arméniens exportables. Il faut du sucre pour produire de la confiture et le gaz fait tourner les usines... Les équipements industriels, de même sont importés en dollars.
Pourquoi le dram est-il si fort ?
Producteurs et exportateurs affrontent donc de très grandes difficultés, une partie d’entre eux ont même dû stopper temporairement leurs exportations. Afin de ne pas perdre certains marchés stratégiques, des entreprises pourraient donc être amenées à solliciter le soutien de l’État. Plusieurs corporations dont celle des sociétés de construction, l’Union des entreprises des hautes technologies, le club des hommes d’affaires "Mantashov" et la communauté professionnel Export Armenia ont adressé en ce sens une lettre ouverte aux ministres de l’Économie et des finances et au président de la Banque centrale. Le 28 juin, ils étaient reçus par les deux ministres, Tigran Khachatryan et Vahan Kérobyan, qui décideront des modalités de soutien aux exportateurs.
Le taux élevé du dram serait dû à l’afflux de devises généré par l'arrivée de dizaines de milliers de citoyens russe en Arménie. Selon la banque centrale arménienne, pour la seule période du 24 février à la fin mars, environ 27 000 étrangers, russes pour la plupart, ont ouvert des comptes bancaires arméniens. Naturellement, ils cherchent à changer leurs roubles, mais les banques ne souhaitent pas constituer de réserve dans cette devise ("maintenir les positions ouvertes" dans le jargon boursier), et rachètent du dollar.
L'inflation au profit de la dette
Dans cette situation, la Banque Centrale pourrait baisser artificiellement le taux du dram en rachetant les dollars en circulation sur le marché et en réinjectant du dram, compensant ainsi sa forte demande. L’inflation deviendrait alors inévitable car dans ce cas, la masse de dram en circulation sans offre supplémentaire de biens de consommation conduirait mécaniquement à l'augmentation des tarifs. Martin Galstyan, directeur de la banque centrale arménienne s'y refuse : « En affaiblissant artificiellement le dram, nous créerions une situation inflationniste encore pire qui toucherait tous les citoyens, y compris les exportateurs", a-t-il déclaré devant l'assemblée nationale le 15 juin, convoquée à commenter devant les députés l'audit de la Chambre des comptes.
L’inflation en Arménie atteint déjà, comme partout dans le monde, un niveau très élevé, dû à la hausse constante du prix des denrées alimentaires et des frais logistiques. Toujours selon la banque centrale, elle atteindrait 9% sur les douze derniers mois et près de 15 % sur le prix des denrées alimentaires et des boissons non alcoolisées. Les revenus des citoyens quant à eux, sont loin d'augmenter dans les mêmes proportions, si tant est qu'ils augmentent.
Le dram fort facilite malgré tout le remboursement de la dette publique du pays, dont les deux tiers s'effectuent en devises étrangères (principalement en dollars et en euros). Et c'est également une excellente raison supplémentaire, si ce n'est principale, de la non intervention de la Banque centrale. Elle appelle cela la politique du "dram flottant". Pour 2022, les paiements prévus atteignaient 214 milliards de drams. Au taux de change de la fin 2021 (470-480 AMD/1 USD) ils représentaient environ 445 millions de dollars. Au taux de change actuel, l'économie réalisée avoisine les 10-15%.
L'Arménie règle sa dette, coût double pour ses citoyens.