La justice est aveugle, ou le long chemin de la démocratie

Société
02.10.2024

La démission du ministre de la Justice, le 1er octobre, cinq jours après celle de sa vice-ministre signe encore la défaite de toute la classe politique arménienne et de sa "démocratie", pure et incorruptible.

Par Olivier Merlet

 

Hier, 1er octobre, Grigor Minasyan, le ministre de la justice, a démissionné de ses fonctions. Bien que la raison n'en ait pas été communiquée ni par le gouvernement ni par l'intéressé lui-même, il semblerait que ce dernier soit avant tout "victime" d'une campagne orchestrée par plusieurs personnalités politiques de son propre bord (le Contrat Civil) qui lui reprochent notamment son lien de parenté avec Mikayel Minasyan, son frère.

Un frère "encombrant"

Mikayel Minasyan est marié à Anush Sargsyan, fille de Serge Sargsyan, 3ème président de la République d'Arménie dont il est donc le gendre. Ancien ambassadeur d'Arménie auprès du Vatican, il fut (et reste peut-être) une figure importante et influente de la vie politique et économique arménienne. On lui prête de nombreux intérêts commerciaux dans divers secteurs de l’économie arménienne. En forte opposition à Nikol Pashinyan, il a mis fin à ses fonctions officielles en novembre 2018. Il se serait alors installé en Russie.

En septembre 2020, il est inculpé de corruption. Ses sociétés ou celles auxquelles il est lié (il y en a beaucoup et pas des moindres) sont saisies par le tribunal d'Erevan qui émet à son encontre un mandat d'arrêt international invalidé par Interpol en juillet 2022. Ghor Abrahamyan conseiller du procureur général d'Arménie dément à l'époque toute rumeur d'un quelconque arrangement financier ou politique avec le gouvernement à ce sujet. La procureure générale elle-même, Anna Vardapetyan, promet de tout faire pour obtenir une nouvelle mise en demeure d'Interpol contre Mikayel Minasyan.

En août de cette année, le gouvernement arménien a ouvert une nouvelle procédure pénale contre lui, alléguant un préjudice colossal de 350 millions de dollars causé à l'État par « mauvaise conduite financière ».

Cabales et déstabilisation

C'est en décembre 2022 que Grigor Minasyan, le frère, donc, de Mikayel, est nommé ministre de la Justice. Il aura donc fallu près de deux ans à Hovik Aghazaryan et à « deux douzaines de députés du Contrat Civil », selon le ministre, pour se souvenir des liens familiaux de ce dernier qu'ils jugent incompatibles avec sa fonction. Le 25 septembre dernier, ils lançaient une pétition réclamant sa démission.

Avare d'explications, Hovik Aghazaryan a simplement déclaré que le frère et le père du ministre (lui aussi aux prises avec la justice) lui posait problème. De son côté, Arpine Davoyan, ex-assistante du Premier ministre, aujourd'hui députée et co-signataire de la pétition reproche à Grigor Minasyan de ne pas appartenir au Contrat Civil et que le ministère de la Justice devrait être dirige par un « membre de l'équipe ».

Il y a 5 jours, le 25 septembre, après seulement 20 jours de mandat, la vice-ministre de la justice Sirvard Gevorgyan, décidait, elle aussi, de démissionner suite à une campagne de déstabilisation menée par « des gens aigris des deux camps politiques qui ont manipulé tout ce qui était possible et impossible pour leurs propres intérêts politiques ou leurs intrigues personnelles », écrivait-elle sur sa page Facebook. A l'origine de la cabale, une photo de 2019 la montrant aux côtés de la fille de Robert Kotcharyan, un livre de ce dernier entre les mains, remis lors de sa présentation.

C'est encore l'Arménie qui trinque

De ces deux affaires, peu importe finalement les tenants et les aboutissants, les motivations justifiées ou non, ni même la culpabilité ou l'innocence (s'il en est) des uns et des autres. Elles sont simplement le reflet du marigot dans lequel se vautre toujours la classe politique en Arménie. Corruption, manœuvres et manipulations, luttes d'influence et de pouvoir, intrigues de cabinet, l'Arménie n'en a pas l'exclusivité. Mais dans ce tout petit pays isolé, qui peine à émerger et à se développer, les Arméniens ne sont pas bien riches ni très heureux et ce sont toujours eux qui trinquent à la fin. Comme si les problèmes extérieurs ne suffisaient pas.