La municipalité d'Erevan engage, conjointement avec le ministère de l'Éducation et de la Culture, une procédure de recensement et d'identification des propriétaires de bâtiments du centre-ville de la capitale présentant un caractère historique ou patrimonial.
Par Olivier Merlet
Depuis le début des années 2000, 25 ans bientôt, la transformation sauvage et effrénée du paysage urbain d'Erevan a conduit à la disparition de quartiers entiers, notamment du centre-ville, de nombreux immeubles et bâtisses historiques de caractère, à jamais perdus. L'avenue du Nord, souvent surnommée très amèrement l'avenue Kotcharyan en est la parfaite illustration. Il s'agit aussi des zones, entre autres, situées au sud de la Place de la République, encadrées par les rues Tigran Mets et Zakyan, ou du trou béant depuis des décennies du quadrilatère Aboyan-Aram-Koghbatsi-Buzand.
Laissés à l'abandon, fenêtres brisées, livrés aux ravages du temps, au dépérissement et aux herbes folles, ces vestiges estimables d'un passé à l'architecture remarquable finissent en général par tomber dans l'escarcelle de quelques promoteurs sans scrupule ni culture ou faire l'objet de transactions immobilières pas toujours bien transparentes. La municipalité et le gouvernement actuels n'y ont pas fait exception, à preuve les affaires sorties ces derniers mois à propos du stade Spartak, de la maison des Artistes sur l'avenue Abovyan et des Écrivains sur celle de Bagramyan ou encore des tennis du parc circulaire.
Si elle est menée comme il se doit et réellement suivie dans les faits, la mesure annoncée hier 23 juillet par le conseil des Anciens d'Erevan convient d'être saluée et pourrait peut-être mettre un certain frein à la mise en coupe réglée du patrimoine de la capitale. Selon les services municipaux, une quarantaine d'immeubles et de bâtiments datant de la fin du XIXe et du début du XXe siècle auraient ainsi été répertoriés comme laissés à l'abandon par leur propriétaire. De leurs riches heures ne subsistent que les superbes façades travaillées de tuf noires auxquelles les Erevantsis restent très attachés et qui suscitent malgré tout l'admiration des gens de passage.
Afin de sauver ce qu'il en reste et peut-être, dans une étape ultérieure, de procéder à leur restauration, il s'agit d'ores et déjà de mettre leurs propriétaires au pied du mur et de leur faire assumer leurs obligations de préservation et d’entretien telles que définies par la loi ("sur la protection et l'utilisation des monuments immobiliers d'histoire, de culture et de l'environnement historique"). S'appuyant sur le comité du cadastre et le ministère de l'Intérieur, la municipalité d'Erevan tente donc d'identifier et de localiser les propriétaires de ces biens qui relèvent aussi, qu'ils le veuillent ou non, du patrimoine culturel public de la capitale.
Des avis de rappel auraient déjà été envoyés à certains dont on a pu retrouver l'adresse. « Un ou deux auraient déjà répondu et fait part de leur bonne volonté », assure Hrant Hovsepyan, au ministère de la Culture, « mais dans certains cas », ajoute-t-il, « les notifications n’arrivent tout simplement pas ou les propriétaires, personnes physiques ou morales, se trouvent à l’étranger ».
La conseillère du maire d'Erevan, Sona Tevanyan, souligne que la mairie a également lancé un autre processus, concernant des amendements à la loi "sur l'autonomie locale d'Erevan", dans le but de créer un nouveau cadre juridique où il sera possible à la communauté d'intervenir et de mettre en œuvre la préservation des bâtiments dans les cas où leurs propriétaires font défaut. Elle préfère cependant insister sur les sanctions mises en place plutôt que sur d'éventuelles préemptions qui pourraient peser lourd dans les budgets publics. « Nous attendons de recevoir les dépenses engagées par les propriétaires. En cas de défaut, les amendes administratives augmenteront considérablement et pourraient atteindre de très grosses sommes » affirme la conseillère de Tigran Avinyan. « L'objectif n'est pas de confisquer les biens aux propriétaires ou d'en décréter la possibilité mais de les obliger à assumer leurs responsabilités », renchérit Hrant Hovsepyan, chef du département de restauration des monuments historiques du ministère.
Toute la question est là : s'ils sont identifiés ou se manifestent d'eux-mêmes, les propriétaires en question pourront-ils tous assumer seuls l'entretien, voire la restauration de leurs biens et qu'en adviendra-t-il alors dans le cas contraire ?