Entretien avec Kristine Grigoryan, défenseur arménien des Droits de l’homme

Société
16.09.2022

À la suite de l’attaque lancée par l’armée azerbaidjanaise dans la matinée du 13 septembre, le défenseur arménien des Droits de l’homme, Kristine Grigoryan mène des enquêtes publiques afin de révéler les violences et les graves transgressions aux droits des populations sur les territoires menacés.

Dans un entretien accordé au Courrier d’Erevan, Le défenseur des Droits de l’homme revient sur le travail de son bureau en temps de guerre.

Propos recueillis par Lusiné Abgarian

 

Quelles sont les actions concrètes mises en place par votre bureau depuis le déclenchement de la guerre ?

Depuis le matin du 13 septembre et l’attaque contre l’Arménie par les forces armées azerbaïdjanaises, l’ensemble du personnel du défenseur est mobilisé vingt-quatre heures sur vingt-quatre, notamment pour des missions d’enquête dans les communautés victimes des opérations militaires dans le Gegharkunik, le Vayots Dzor et le Syunik.

Nous y recueillons des faits concrets, des preuves de cette agression, et nous informons les populations sur la localisation des abris, les conduites à tenir en cas de déplacement et les procédures de recours aux services sociaux. Nous essayons également de trouver des solutions aux problèmes rencontrés par les autorités locales en les faisant remonter vers les services du gouvernement central.

Nous procédons à une évaluation juridique des faits recueillis et en établissons le procès-verbal que nous transmettons aux organisations internationales et aux missions diplomatiques. Le défenseur des Droits de l'homme leur présente personnellement et quotidiennement toutes les informations recueillies et répond précisément à leurs questions sur l'évolution de la situation. Les équipes du défenseur surveillent également les plates-formes médiatiques, tant arméniennes qu'azerbaïdjanaises. Par ailleurs, il leur faut aussi assurer la permanence de notre ligne d’assistance téléphonique sur laquelle les appels sont devenus très fréquents.

 

Pourriez-vous nous faire part de la réponse de la Cour européenne des Droits de l’homme à la demande du bureau des affaires juridiques internationales du gouvernement arménien d’application de mesures provisoires contre l’agression militaire par l’Azerbaïdjan ?

Le défenseur n'est pas en communication directe avec la Cour européenne. Le bureau du représentant légal du gouvernement pourrait peut-être mieux répondre à votre question.

 

Comment traduisez-vous le non-respect par l’Azerbaïdjan du cessez-le feu négocié par la Fédération de la Russie et la décision de cette dernière de ne pas faire intervenir l’OTSC dans le règlement du conflit actuel ?

Ces questions sont principalement des considérations d'ordre politique, mais en tant que défenseur des Droits de l’homme et compte tenu de l’expérience antérieure de l’institution que je représente, nous savons que lorsque des négociations sont en cours, les méthodes et le style habituels de la partie azérie consistent à obtenir les résultats souhaités par provocation et escalade militaire.

 

Que peut attendre l’Arménie de la saisie par la France du Conseil de la sécurité des Nations-Unies ?

Compte tenu du mandat du Conseil de sécurité, la République d’Arménie peut s’attendre à ce que l’attaque armée de l’Azerbaïdjan contre son territoire et sa population ainsi que les conséquences qui en découlent soient clairement débattues au Conseil de sécurité. Il devrait être clairement consigné que l’intégrité territoriale de l’Arménie a été transgressée et que l’Azerbaïdjan vise également la population et les infrastructures civiles, cible les véhicules d’urgence qui effectuent leur service, blesse des civils et effectue de tels bombardements que des incendies éclatent dans les zones forestières de la région de Vayots Dzor entraînant de graves problèmes écologiques.

Naturellement, la discussion sur les questions et les faits mentionnés devrait conduire à des actions concrètes dans le sens d'une stabilisation de la situation et de la garantie ou de la restauration des droits des personnes.

 

Avez-vous des informations sur la situation actuelle au Haut-Karabakh ?

Avant l’attaque du 13 septembre, dans l’après-midi du 12 septembre, les forces armées azerbaïdjanaises ont également ciblé les habitations civiles de la communauté de Karmir Chouka en Artsakh. Le défenseur des Droits de l’homme d’Artsakh a publiquement pris position. Depuis le début de l’attaque azerbaïdjanaise, son soutien est total, de même que celui de son institution bien sûr, j’en fait personnellement et continuellement l'expérience, je suis en contact avec lui de manière ininterrompue. On m’a informé que la situation en Artsakh serait calme depuis 2 jours.

 

Quelle est la portée réelle de la propagande azérie visant à saper la crédibilité et la confiance vis à vis de l’État arménien et de ses dirigeants ?

Il s’agit d’une stratégie très dangereuse de guerre de désinformation que l’Azerbaïdjan utilise malheureusement avec succès depuis la guerre. Il est inquiétant de constater que les sabotages informatiques azerbaïdjanais visant à annihiler les capacités de sécurité et de défense de l’État arménien ou la diffusion d'informations erronées dans le but de démoraliser ses forces armées trouvent écho sur les plateformes publiques et médiatiques en Arménie. Ce qui menace ou divise l'union nationale d'un pays en état de guerre affaiblit la capacité de défense de l’État.

 

Comment les populations des territoires bombardés font-elles face aux menaces et à l’attaque azéries ?

En effet, les visites de contrôle, les rencontres et les contacts effectués par le défenseur des Droits de l’homme dans les communautés frontalières ont montré que de la présence des bases armées azerbaïdjanaises dans leur voisinage, résulte une atmosphère d’état d’alerte continuel. C'est un climat d’intimidation constante caractérisé par des pressions psychologiques de tous ordres et des actes mettant en danger la vie des gens ou endommageant leurs biens et leurs propriétés. Leurs animaux domestiques sont abattus, le fourrage est incendié et les gens sont réveillés en pleine nuit, dans leur maison, avec des lampes-torches braquées sur le visage.

Nous avons recueilli des preuves de toutes ces exactions qui démontrent qu'elles sont la manifestation d’une politique étatique cohérente et volontaire motivée par la haine ethnique.

L’attaque actuelle a eu lieu dans la nuit et son but était de surprendre les populations en créant un maximum de dégâts. Il est logique alors que les gens quittent leur domicile, le plus souvent sans papiers et sans emporter les choses essentielles. Les populations déplacées que nous avons rencontrées nous ont présenté des faits clairs à ce sujet. De plus, ces personnes se sont retrouvées dans des situations psychologiques, matérielles ou socio-économiques dramatiques, n'ayant plus accès à leur maison, à leur bétail ni à aucune autre de leurs propriétés.

 

L’évacuation des populations civiles s’est-elle révélée nécessaire le long de la ligne de front et si oui, à quels endroits ?

Les décisions ont été prises sur la base de l’évaluation de la situation militaire, de la composition de la population et des divers risques créés pour chaque cas individuel.

 

Quels sont les besoins des populations sur les territoires actuellement menacés ? Quelle est la nature de l’aide humanitaire à leur apporter ? En un mot, comment les aider ?

En réalité, dans la situation décrite, le défenseur expose dans ses déclarations quotidiennes les problèmes des personnes de différentes communautés, mais en fait, ils sont tous très similaires : besoin de soutien social, psychologique, dans de nombreux cas, soins de santé, et bien d’autres encore. Oui, il y a un grand besoin d’aide humanitaire.

 

Quelles sont les informations en votre possession quant aux prisonniers de guerre ?

Le défenseur dispose de données que nous ne pouvons publier pour le moment.

 

La propagande Azerbaidjanaise continue-t-elle de diffuser du contenu violent envers les soldats arméniens et dans quel but ?

Comme pendant la guerre de 44 jours en 2020 et celle de 4 jours en 2016, la machine de désinformation azerbaïdjanaise continue à produire, à reproduire, voire restaure certains matériaux à partir d’archives. Mais elle diffuse aussi beaucoup de nouvelles vidéos illustrant de façon patente des faits et des comportements choquants de manque de respect envers des cadavres de militaires arméniens. Nous les enregistrons, les analysons, et vérifions ces vidéos. Nous avons d'ores et déjà enregistré des violations flagrantes de la convention de Genève dans un certain nombre de cas.

 

Quel message au monde doit-être celui de l’Arménie aujourd’hui ?

Dans la situation actuelle, le message de l’Arménie doit être très clair et il est le suivant : la République d’Arménie a été attaquée par un État voisin. L’attaque vise sa population civile et des infrastructures civiles vitales. La communauté internationale et les mécanismes des Droits de l’homme doivent être mis en action de manière effective pour d’abord arrêter le feu, puis pour lancer le processus de négociation garantissant la sécurité et les droits fondamentaux des personnes, pendant cette période et par la suite.