L'Arménie comme acteur majeur de la santé numérique

Société
01.10.2024

À l'occasion du salon EMERGE 2024 qui se tenait à Erevan la semaine dernière, Le Courrier a pu rencontrer le professeur Georgi Chaltikyan pour s’entretenir avec lui des enjeux de la "santé numérique", vraisemblablement appelée à transformer en profondeur nos habitudes et modes de vie dans un avenir proche.

Par Paul Loussot

           

Les 25 et 26 septembre 2024 se tenait à Erevan le salon "EMERGE 2024", dédié à l’innovation technologique, permettant la mise en relations d’investisseurs et de starts-up et proposant un programme varié de conférences. Il s’agissait là de sa 8e édition - la seconde dans la capitale arménienne -, plus de 2 000 visiteurs et professionnels ont pu découvrir les dernières créations innovantes et assister aux interventions des multiples speakers conviés.

Parmi eux, Georgi Chaltikyan, professeur et chercheur en santé numérique, directeur du "Master of Medical Informatics Program" à l’université de Deggendorf en Allemagne et membre fondateur de l’"Armenian Association of Digital Health". Georgi Chaltikyan fut également chirurgien généraliste et laparoscopique (interventions sur la cavité abdominale) pendant une quinzaine d’année, formé à l'université médicale d'État d'Erevan.

La santé numérique (ou "digital health") est un terme utilisé pour décrire l’utilisation de technologies digitales dans le domaine médical. Il s’agit d’un domaine d’études très varié, définitivement multidisciplinaire, combinant donc le savoir médical à l’innovation technologique. En résulte alors une perspective de transformation globale des systèmes de santé du monde entier, reposant sur l’utilisation combinée de capteurs divers fournissant des informations en temps réel sur la santé des patients ainsi que des pronostics sur leur état de santé futur à l’intelligence artificielle. « L'annonce d’un grand changement dans nos modes de vie », selon Georgi Chaltikyan.

Dans cette optique, une prise de conscience du rôle clé de la santé numérique dans les années futures doit être réalisée au niveau des plus hautes sphères de l’État. Si Emmanuel Macron et Angela Merkel ont respectivement décidé, il y a quelques années, de faire de ce domaine une priorité à l’échelle nationale puis européenne, le pouvoir exécutif arménien reste encore à convaincre. Georgi Chaltikyan explique : « Ce qui est très important pour la transformation numérique de la santé, c'est la compréhension et l'engagement pour ce sujet au plus haut niveau de la gouvernance nationale. […] Tous les pays qui ont connu une transformation numérique réussie le doive à l'action du principal dirigeant de la nation, donc au plus haut niveau de l'État ».

C'est dans le but de développer le secteur de la santé numérique en Arménie que Georgi Chaltikyan a participé à la fondation de l’AADH (Armenian Association of Digital Health). « Cette initiative vise à faire de l'Arménie un leader régional ou international dans le domaine de la santé numérique. Pourquoi pensons-nous qu'il est possible pour l'Arménie de devenir une sorte d'acteur majeur de la santé numérique ? Parce que l'Arménie dispose de ressources humaines très importantes, d'un grand nombre d'informaticiens bien formés et bien éduqués, ainsi que de scientifiques du domaine de la santé. L'Arménie est traditionnellement très forte en matière de capital humain, en particulier dans le domaine des technologies de l'information et de la médecine. Deuxièmement, l'Arménie dispose d'un emplacement clé, qui, s'il ne nous mène pas à notre fin, s'il ne nous tue pas, reste hautement stratégique, au carrefour entre le Nord et l’Est, le Nord et le Sud et l'Est et l’Ouest. Troisièmement, et ce n'est pas le moins important, l'Arménie est une nation fonctionnant en réseau, avec une immense diaspora éduquée qui soutient son pays d'origine ».

Afin d’appuyer son propos, Georgi Chaltikyan utilise l’exemple israélien. S’il est vrai que l’État hébreux ne s’est pas illustré par son soutien au peuple arménien, bien au contraire, le professeur le tient toutefois un modèle à suivre quant au développement des domaines liés à la santé numérique. Grâce à un processus de digitalisation entamé dans les années 90, l'intégralité des données médicales des hôpitaux israéliens est désormais entièrement numérique. Partant des caractéristiques géographiques et démographiques peu ou prou similaires, bon nombre de chercheurs de l’AADH sont convaincus qu'en redoublant d'efforts, l'Armenie devrait être en mesure de suivre un même chemin dans l’intégration de technologies numériques innovantes dans le secteur de la santé publique.

Au cours de leur conférence conjointe intitulée "Healthtech : upgraping the human and enhancing the living", lors du salon EMERGE, le professeur Chaltikyan et Ida Tin, co-fondatrice de l’application "Clue", sont revenus sur le rôle des technologies numériques dans l’avancée de la médicine. Selon eux, 30% des données informationnelles mondiales sont des données médicales. Pour profiter de ces changements, les États se doivent de moderniser leurs systèmes de santé respectifs et développer ensemble des outils de standardisation informatique. Dans le cas de l’Arménie, souligne le professeur Chaltikyan, il est nécessaire de moderniser rapidement le système de santé publique, jugé peu efficace et couteux. Ce processus doit toutefois s’accompagner d’une sensibilisation du grand public à l’intérêt des nouvelles technologies, ainsi que d’une formation à grande échelle du personnel de santé.

Si des systèmes numériques comme ArMed ont d’ores et déjà été développés, le nombre de ses utilisateurs reste minime. Les projets d’incorporation des technologies digitales dans le système de santé sont prometteurs, il convient cependant de rester mesuré et réaliste quant à leur futur développement en Arménie.