"Yeraz", festival de la culture arménienne à Mont de Marsan

Arts et culture
21.03.2022

Du 21 mars au 3 avril, le festival "Yeraz" célébre la culture arménienne sur une programmation de 15 jours. Événement de grande ampleur mêlant cinéma et théâtre, danse et expositions ou encore littérature et cuisine, ce festival constitue la plus grande célébration de la culture arménienne en France depuis celle de l’Année de l’Arménie en 2006.

Par Lusine Abgarian

« En parcourant les sentiers d’Arménie, en pensées, lectures, recherches ou voyages, j’ai découvert le sens profond de mots souvent galvaudés : l’hospitalité, la résilience, la créativité, le patriotisme, la transmission, la mémoire, la solidarité et le rêve... Yeraz ! », - énonce dans son édito Antoine Gariel, l’organisateur de ce festival et directeur du théâtre de Gascogne qui accueillera l’événement.  Le Courrier d’Erevan revient avec lui sur la genèse du festival et la pérennité des relations nouées à cette occasion entre l’Arménie et Mont de Marsan.

 

Comment êtes-vous venu vers l’Arménie ? Comment s’est passée votre rencontre avec ce pays et cette culture ?

Ma première rencontre avec l’Arménie s’est faite de manière incarnée, à travers la rencontre de différents artistes d’origine arménienne en France. Il s’agit surtout de Simon Abkarian, de Christina Galstian et Serge Avédikian, que j’ai eu la chance d’accueillir au théâtre de Gascogne. J’ai pu échanger avec eux sur leurs parcours respectifs, sur leurs origines... J’ai été frappé de cette part d’"arménité" que ces trois grandes figures portaient en eux et qu’ils traduisaient à travers leurs œuvres artistiques, que ce soient des pièces de théâtre, des films ou des chorégraphies. De ce constat, on en est venu à échanger sur l’Arménie et leurs relations à ce pays, son actualité depuis fin 2020, au moment du conflit d’Artsakh. J’ai été frappé de voir à quel point ils pouvaient souffrir, eux qui vivent en France, de ce qui se passait là-bas. Ils vivaient en permanence avec ce drame qui se jouait à 4500 km de la France.

L’élément déclencheur de ce festival fut une discussion avec Simon Abkarian. Entre deux répétitions de ses artistes au théâtre, on s'est retrouvé à discuter de l’Arménie. Nous nous sommes posés la question de ce qu'à notre niveau, en tant qu’artistes, nous pouvions apporter à cette histoire, à cette mémoire, à ce drame. La guerre venait de se terminer et nous nous sommes dits que nous allions nous intéresser culturellement et artistiquement à ce pays. L’idée de ce festival est donc née d'une discussion complètement informelle et imprévue.

Au théâtre, personne n’est d’origine arménienne. On connaissait très mal ce pays. J’en avais quelques notions très vagues, la "devanture", la vitrine… Je me suis lancé dans des recherches et cette découverte de la richesse extraordinaire de la culture arménienne fut un véritable choc esthétique.

La porte d’entrée vers l’Arménie est passé par les artistes. Le festival ne s’est pas seulement construit depuis Mont de Marsan, il s’est construit avec les Arméniens de la diaspora qui nous ont guidés sur les sentiers de l’arménité et nous ont appris à regarder leur pays à travers un prisme très large et plein d’angles différents. On a rencontré des réalisateurs de films, des universitaires, des journalistes, pleins d’acteurs différents, des photographes, des diplomates, des compositeurs… Une foule de regards différents qu’on a croisée et qui nous a permis de construire cette programmation.

Ensuite, il y a eu un désir irrépressible d’aller voir sur place, de fouiller ce pays, de poser le regard sur le mont Ararat et de sentir les odeurs du pays, de contempler les monastères et les vestiges de l’époque soviétique. Ce premier voyage s’est fait avec Serge Avédikian et Christina Galstian. Deux autres voyages se sont enchaînés par la suite en aout et septembre 2021 pour accompagner des élus de Mont de Marsan.

L’enjeu de ce festival est d’apporter l’Arménie à Mont de Marsan et que toute la ville accueille ce pays comme un cadeau à travers un festival qui se veut une fête fraternelle et culturelle.

 

Pourquoi ce festival ?

Cette idée du festival consacré à l’Arménie s’inscrit dans une réflexion qu’on a entamé lors du premier confinement. Le théâtre fonctionnait bien avec des spectateurs et un public très présent, puis, du jour au lendemain, on a été obligé de fermer. Et tout s’est effondré comme un château de cartes. On s’est interrogé collectivement, avec toute l’équipe, sur le rôle social d’un théâtre en période de crise. À quoi peut servir un théâtre quand tout va mal et qu'on n’a plus le droit ni la possibilité de se retrouver ? De ce questionnement sont nées plusieurs initiatives, des artistes sont allés jouer dans les hôpitaux, des maisons de retraite ou auprès des personnes isolées.

L’Arménie représente aussi une réponse à cette question-là. Le théâtre c’est une manière de célébrer, de rendre hommage à des cultures admirables et parfois lointaines qui peuvent parfois être menacées ou en souffrance, ce qui est le cas de l’Arménie. Le théâtre devient alors un moyen d’orienter le regard des spectateurs vers un autre "théâtre", plus lointain, qu’ils ne connaissent pas encore. Je parle d'un théâtre au sens presque géopolitique du terme; une culture qu’on connaît peu et qui a beaucoup de choses à nous apprendre, avec des liens historiques très forts qui la lient à la France. Une histoire commune et souvent méconnue : Missak Manouchian, Louis Dartige du Fournet, Komitas, qui a vécu la fin de sa vie en France ! Il y a aussi énormément d’événements qu’on pourrait citer, à propos de la légion arménienne pendant la Première Guerre mondiale, les architectes arméniens venus en France bâtir Aix-la-Chapelle sous Charlemagne, le Royaume de Cilicie avec la famille de Lusignan…. Tous ces liens, on ne les connaît pas très bien en France. En fait, derrière Charles Aznavour, il y a tout un univers commun qu’on devait mettre en avant pour célébrer concrètement l’amitié entre nos deux pays. C’est le sens de ce festival.

 

Quelle est la programmation de ce festival et comment avez-vous identifié les artistes ?

En s’immergeant dans la culture arménienne on a été frappé par sa densité. Pour nous, il était impossible de présenter l’Arménie de manière réduite et formatée. On ne voulait l’aborder ni de manière folklorique ou touristique ni de manière géopolitique. Il y avait beaucoup à croiser et on avait envie d’embrasser l’Arménie dans son ensemble, dans ce qu'elle a de plus admirable mais aussi de plus de douloureux, de plus compliqué, que ce soit à propos de son actualité ou de sa mémoire. Très rapidement on a décidé d’un format de quinze jours. Ce n’était pas du tout l’ambition du départ. Cette programmation de deux semaines a été rendue possible grâce au soutien très large de nombreux partenaires : le musée de Mont de Marsan, son centre d’art contemporain, les librairies, les cinémas, la médiathèque. Chacun porte en eux une pierre de cet édifice.

La programmation s’est aussi faite au gré des rencontres. Je suis un grand adepte de la sérendipité. Je découvre des choses que je ne cherchais pas alors que je cherchais des choses que je ne trouve pas. Le regard avisé et bienveillant de Serge Avédikian nous a par ailleurs permis de sélectionner les films qui seront projetés. Les conseils permanents et récurrents de Christina Galstian nous ont permis de choisir les spectacles. C’est ce formidable réseau de fraternité et de solidarité, en France et en Arménie, qui a rendu possible cette connexion, dans un temps très court, entre plein de personnages extraordinaires. En l’espace de seulement dix mois, j’ai multiplié des rencontres marquantes et exceptionnelles, d’une richesse absolue. Il y a un avant et un après. En me permettant de mieux comprendre leurs origines, tous ces gens m’ont également conduit a me requestionner sur mes propres origines. En France, on n’a pas les mêmes rapports à la mémoire, à la patrie. L’Arménie m’a fait grandir et continue de le faire, de me passionner et de me parler profondément. Il y a eu un vrai choc esthétique en découvrant ce pays que je tien à retransmettre au public de Mont de Marsan à travers ce festival. C’est mon rôle d’être un passeur de cultures, de talents et de richesses artistiques.

 

Qui est le public cible de ce Festival ?

Des gens vont venir de l’étranger, des artistes arméniens aussi, bien évidemment. On invite toute la communauté arménienne de France à cette occasion, qu'elle vienne de Marseille, de Paris ou de Lyon. C’est très ouvert et nous ne voulons pas limiter cette programmation aux seuls arménophiles éclairés. Bien au contraire tous les publics et ceux qui ne connaissaient pas encore l’Arménie sont bienvenus. Mont de Marsan ne compte pas une très grande communauté arménienne, il y a un côté décalé, presque surréaliste, mais c’est aussi un avantage : cette proposition artistique est portée par des non-Arméniens sur un territoire non-arménien, c’est-à-dire affranchie de toute tension, de toute influence ou  approche partisane. Elle se veut neutre, dépassionné et artistique. Aucun militantisme dans ce que nous véhiculons. La culture est le meilleur moyen de rassembler, voire de réconcilier les peuples.

 

Après le festival, comment vont se traduire les liens noués autour de cette grande rencontre ?

La relation établie entre Mont de Marsan et l’Arménie se veut durable. Dès le début, nous avons souhaité que cette relation s’inscrive dans le temps et qu'elle s’enrichisse. La double porte d’entrée est culturelle. Nous envisageons par la suite des échanges entre les établissements scolaires, des voyages, une coopération économique…. Le jumelage avec la ville de Gyumri en est la meilleure illustration. Cette relation naissante va évoluer, mûrir, s’enrichir et continuer à rapprocher nos deux pays. Il y aura une place pour l’Arménie dans la programmation de toutes les saisons du théâtre de Gascogne.