Le premier long-métrage de la réalisatrice franco-arménienne Nora Martirosyan, « Si le Vent Tombe », fait partie du programme officiel du festival, dans la catégorie Premiers films. Le film sur l'Artsakh est une coproduction entre l'Arménie, la Belgique et la France.
Par Sona Malintsyan
Alors que la 73e édition du Festival de Cannes a dû être annulée en raison de l’épidémie due au Covid-19, l’industrie du cinéma redémarre doucement. Le président du Festival Pierre Lescure et son délégué général Thierry Frémaux ont dévoilé, mercredi le 3 juin, une liste de 56 films constituant la Sélection officielle. Comme l’a annoncé le délégué général Thierry Frémaux, pour cette édition hors-normes le Festival de Cannes s’est affranchi de ses catégories habituelles Ouverture, Clôture, Compétition, Hors compétition, Séances de minuit et Séances spéciales afin de le remplacer par de nouvelles catégories telles que : Les fidèles, Premiers films, Nouveaux venus.
Le Festival de Cannes entend « accompagner et soutenir en France et à l’étranger » le film grâce à ce label qui lui est apposé. En parallèle, cette 73e édition sera consolidée par de nombreux partenariats avec d’autres festivals de cinéma.
Il faut toute de même préciser qu’après la Sélection officielle, c’est l’ACID (Association du cinéma indépendant pour sa diffusion) qui a rendu publique sa liste de films pour cette étrange édition du Festival de Cannes. Cette sélection poursuit le même but – le soutien aux œuvres cinématographiques et leur promotion. « Si le Vent Tombe » est le seul film dans l’histoire du Festival de Cannes colabellisé par la Sélection officielle et par l’ACID.
« … Des paysages, des visages qu’on n’a pas l’habitude de voir au cinéma »
Le film « Si le Vent Tombe » de la réalisatrice franco-arménienne Nora Martirosyan suit le parcours d'Alain, un auditeur international français, qui vient expertiser l’aéroport du Karabakh (Artsakh en arménien) afin de donner le feu vert à sa réouverture. Au fur et à mesure de l’avancée de l’audit, à travers les entretiens avec les employés de l’aéroport et ses déplacements, il découvre un pays qui n’existe que sur certaines cartes mais qui est bien là dans la réalité, avec sa population, son gouvernement, ses institutions, ses champs de culture. Edgar, un petit garçon du coin, erre autour de l’aéroport et se livre à un étrange commerce. L’homme et l’enfant finissent par se rencontrer…
« C’est un film qui évoque le vide, l’attente, avec des plans, des paysages, des visages qu’on n’a pas l’habitude de voir au cinéma », c’est de cette manière que le délégué général du festival Thierry Frémaux a présenté le film pendant l’annonce de la Sélection officielle.
Le Courrier d’Erevan est allé à la rencontre de la réalisatrice du film Nora Martirosyan afin d’échanger autour du film, de la pensée qui accompagne et nourrit ce travail et de ce succès incroyable.
Comment est né le film ? Qu’est-ce qui vous a donné envie de raconter et de mettre en scène cette histoire ?
J’habite en France depuis un assez long moment déjà et je n’ai jamais mis pied au Karabakh dans mon enfance ni dans ma jeunesse. J’y suis allée comme ça par curiosité. En découvrant cet endroit je suis complètement tombée sous le charme. Je me suis dite que c’était nécessaire de faire un film là-bas, un film de fiction qui sera vu. Après, c’est le long processus d’écriture qui était entamé. Je cherchais à raconter ce pays en gardant l’harmonie avec le réel, en essayant de ne pas mentir, de ne pas tomber dans une sorte de patriotisme aveugle.
Chaque personnage dans ce film (enfant, chauffeur, directeur de l’aéroport) était inspiré par de vraies personnes que j’ai rencontrées sur place et puis j’ai modifié en fonction de mon histoire fictionnelle. Attachés à cette terre, à leurs familles, ils incarnent tous le Karabakh.
C’était un très long chemin. D’abord l’écriture, après la recherche du financement. Je me suis toujours dit que les choses sont possibles, il faut juste rester déterminé. Quand j’ai commencé à écrire il y a dix ans, j’étais une parfaite inconnue dans le monde du cinéma, j’avais juste mon désir. J’étais convaincue de l’importance de ce que j’étais en train de faire.
Avec Julie Paratian (Sister Productions, France) et Ani Voskanyan (anEva productions, Arménie), nous avons travaillé d’une manière constructive et efficace, avec des hauts et des bas, bien évidemment. On a cru et on y est arrivé !
J’avais une grande envie de présenter l’Arménie telle que je l’aime. Je la vois comme un pays moderne, connecté. C’est cette image que je voulais donner à voir, et non pas une image misérabiliste.
Où s’est déroulé le tournage du film ? De quelle façon avez-vous procédé sur le terrain ?
Le tournage s’est entièrement déroulé au Karabakh. J’ai refusé de tourner ailleurs car le film parle de cet endroit-là et c’est important de le tourner sur place. C’était aussi important pour moi que le film contribue à l’économie locale. Je fais régulièrement des allers-retours, et je voulais que les gens qui m’ont accueillie, m’ont nourrie, qui ont été généreux avec moi, participent dans le film. Et donc, des personnes rencontrées pendant ces années que je faisais les allers-retours, ont été tous intégrés dans le film : avec des petits rôles, en tournant dans leurs maisons, avec leurs enfants.
Parlez un peu du casting : comment vous avez choisi les comédiens et est-ce que c’était difficile de travailler avec des acteurs internationaux ?
C’est Grégoire Colin, un comédien très connu dans le cinéma français, qui a interprété le rôle de l’auditeur français. C’était une chance de travailler avec lui. Au moment du tournage il a été un vrai complice. On a su établir un beau dialogue artistique. Son personnage est celui d’un auditeur international, d’un homme de chiffres, d’un homme qui voyage beaucoup. Et là il se rend au Karabakh, rien d’étonnant, il en a vu déjà 36 000 dans sa vie. Mais quelque chose le touche dans cet endroit. Et je pense que cela retrace aussi la trajectoire de Grégoire lui-même. En arrivant au Karabakh, en rencontrant les gens, en se promenant dans la ville, il a été marqué par la façon comment ces gens au Karabakh sont têtus à croire que l’impossible est possible.
Je suis absolument ravie que Vardan Petrosyan ait très modestement accepté de jouer un tout petit rôle de fou, de quelqu’un qui a fait la guerre de Karabakh et qui continue de vivre là-bas. Pour mieux se glisser dans le rôle, il a dû adopter un look complètement méconnaissable.
Côté Arménie, il y a Arman Navasardyan, qui incarne la joie et la sagesse du Karabakh dans le film. David Hakobyan a joué le rôle du directeur de l’aéroport, avec une fulgurance et précision inestimables. Il y a également Nariné Grigoryan qui a joué le rôle d’une journaliste francophone dans le film, une actrice extrêmement talentueuse. Les comédiens arméniens étaient à la hauteur.
« Si le vent tombe » est votre premier long métrage. Quelle a été votre réaction au fait qu'il ait été inclus dans le programme officiel du 73e Festival de Cannes ?
Je pense qu’on ne peut pas s’attendre à une chose aussi grande. On sait très bien à quel point c’est compliqué. J’ai fait le film parce que je voulais que l’histoire que je raconte soit vue par le monde. Et le fait qu’il est dans la sélection du Festival de Cannes, montre que l’objectif a été atteint. Cette sélection est extrêmement importante pour moi en dehors du fait que c’est mon film. Je ne l’ai pas fait pour qu’il soit à Cannes, j’ai tourné ce film parce que je voulais que ce pays qui n’existe pas politiquement, prenne vie dans l’espace cinématographique.
Le Festival de Cannes est un festival très particulier où le film porte la nationalité du réalisateur. Ayant la double nationalité, française et arménienne, on avait quelque part le choix. Et je suis très heureuse que le film est arménien dans la sélection cannoise.
La présence du film arménien dans la sélection officielle du Festival de Cannes est un événement sans précédent dans l'histoire du cinéma arménien. Qu'en pensez-vous ? Quelle est son importance et pourquoi ?
Des sociétés de production de trois pays ont travaillé sur le film : la France, l’Arménie et la Belgique. Grâce au fait que le Centre national du cinéma arménien a contribué au film, la production arménienne est devenue un partenaire à part entière et non pas juste une production exécutive. Dans le cadre de cette collaboration internationale, les relations entre les producteurs et les partenaires étaient efficacement encadrées, ce qui a créé une ambiance conviviale au sein de toute l’équipe.
Quand est-ce que le film sera présenté au grand public ?
Les premières projections vont commencer à la mi-septembre dans les grandes villes de France et la sortie en salles est prévue au mois de février. Si la crise sanitaire liée au Coronavirus recule jusqu’au mois de novembre, le film sera présenté dans le cadre du Festival d’Abricot d’or. Une projection en Artsakh est également prévue.
Un dernier mot, Mme Martirosyan, quels sont vos projets pour l’avenir ?
J’enseigne à l’école des Beaux-Arts de Bordeaux, et compte tenu de la situation actuelle liée au Covid-19, ces deux mois et demie, je faisais mes cours à distance. Et merci le confinement, j’ai pu commencer à travailler sur mon projet suivant qui est également en lien avec l’Arménie. Après ma première expérience réussie, j’ai hâte de faire un autre film avec cette équipe extraordinaire !