Le 9 septembre dernier à Erevan, le parc des Amoureux était plus spécialement réservé à ceux des belles lettres françaises. Newmag, une jeune maison d'édition erevanaise, leur avait donné rendez-vous au Francofest, deuxième du nom, pour une journée placée sous le signe de la francophonie, celle des arts et de la littérature.
Par Olivier Merlet
Newmag n'est pas un nom inconnu de ceux qui s'intéressent, en Arménie, à la culture et à la pensée contemporaine. Pendant plus de dix ans, ce magazine et sa plateforme internet se sont attachés à entretenir leurs lecteurs des grandes questions sociopolitiques, scientifiques et culturelles de notre temps. En 2018, changement de braqué et de support : la société de presse décide d'arrêter la publication de son magazine et, tout en conservant le nom qui l'a fait connaitre, de changer d'orientation en se concentrant sur le secteur de l'édition de livres
Avec plus de 130 ouvrages d'Arménie et de tous pays édités depuis cinq ans, tous traduits en arménien, Newmag entend se positionner dans le microcosme arménien du secteur comme la référence du livre contemporain international, de « non-fiction », sans s'interdire toutefois la publication de romans ou de nouvelles. Parmi ses meilleurs titres français traduits en arménien, Artak Aleksanyan, directeur et fondateur de la maison d'édition revendique fièrement le "Révolution" d'Emmanuel Macron, "Agos", une biographie de Hrant Dink signée de la journaliste Valérie Manteau, ou encore les chansons et un recueil de poésie de Charles Aznavour, le troisième, "Pour toi, Arménie" ("Քեզ համար, Հայաստան"), volet moins connu de l'œuvre du chanteur. ls sont distribués dans plus de cent librairies dont celles des réseaux Bookinist et Zangak, ainsi que sur le Net.
Francofest s'inscrit dans un deuxième registre, celui de l'encouragement à la lecture. À l'été 2021, déjà, Newmag lance un premier festival du livre, le "Summer fest", dont le succès est tel qu'il se double l'année suivante d'une édition hivernale. Un "Prix du lecteur" y est décerné, formule originale puisqu'elle vise en fait à récompenser le lauréat d'un concours de critiques amateurs plutôt qu'un auteur et son livre. Le Francofest est le prolongement de ces efforts destinés à promouvoir les plaisirs du livre de la lecture, une célébration dédiée, tout comme son nom l'indique, aux littéraires francophiles.
« C'est aussi notre manière à nous de remercier la France pour son soutien et sa présence et aux côtés de l'Arménie depuis 35 ans » explique Artak Aleksanyan, le fondateur de Newmag. « Les liens étroits qui se sont développés depuis sont très actifs dans les domaines politiques et économiques. Notre initiative est littéraire, de l'Arménie vers la France, dans le sens d'une communication que nous souhaitons réciproque, pour faire découvrir la littérature française contemporaine et encourager de même l'édition d'ouvrages Arméniens en français. »
Au Francofest cette année, l'editeur présentait quatre de ses dernières sorties. "La Vérité sur l'affaire Harry Quebert", thriller policier du suisse Joël Dicker, adapté en série télévisée par Jean-Jacques Annaud, "Barbe bleue", le conte de Perrault revisité par Amélie Nothomb, jusqu'alors jamais traduite en arménien, "Les gens heureux lisent et boivent du café", premier roman d' Agnès Martin-Lugand et grand succès de librairie, et enfin, "L'ami arménien", l’histoire d’une amitié adolescente dans un orphelinat de Sibérie, souvenir d'enfance de l'écrivain franco-russe Andreï Makine, membre de l'académie française.
« Nous tenions également à présenter des auteurs certes de langue françaises; mais avant tout francophones de par leurs origines étrangères et dont la portée est universelle », reprend Artak Aleksanyan. « Les maisons d'édition arméniennes ont tendance à ne publier que des grands classiques français, Hugo, Balzac… C'est un bon début mais la littérature en français ne se résume pas à ces quelques auteurs du passé. C'est un phénomène contemporain très vivant qui s'étend bien au-delà des frontières de votre "hexagone" et que nous tenions à faire connaître aux Arméniens, en arménien.».
Au parc des Amoureux ce 9 septembre, bravant même la pluie dans l'après-midi, ils étaient une petite foule à se presser devant les stands chargés de livres. L'Alliance française, promoteur historique du français en Arménie, était également présente et proposait des "cours de langue express" et amusants pour les enfants. Une table ronde organisée sur le thème du "contenu français au XXIe siècle" réunissait Anush Sedrakyan, directrice de la chaire de littérature étrangère de l'Université d'Etat d'Erevan, Arevik Ashkharoyan, fondateur du "Ari Literature Fund and Literary Agency" et Karen Avetisyan directeur artistique du festival international du film "Golden Apricot".
David Tursz, directeur de l'Institut français et Salwa Nacouzi, directrice de l'Université Française en Arménie comptaient parmi les invités de marque de la manifestation. Cette dernière a rappelé malgré la fête; les heures difficiles que traverse l'Arménie. "Nous pensons beaucoup à l'Artsakh et à l'Arménie aujourd'hui. Nous avons de nombreux étudiants d’Artsakh et nous réaffirmons que la culture est une question de lutte. C'est un grand plaisir et un honneur pour moi de participer à ce beau projet. Au nom de l'Université française, merci de valoriser la littérature, l'art, la culture et de le faire en français. »
Gnel Nalbadyan, rédacteur en chef de Newmag lui a répondu : « Grâce à la littérature et à l'art, nous pouvons surmonter nos épreuves, nous en traversons tous. Le prix de ces épreuves est notre intelligence. La littérature française, l'art français, dont les amoureux sont ici aujourd'hui, nous rappellent combien nous est chère la liberté personnelle. »