Inattendu, l'un des titres du dernier album du chanteur à succès évoque la mémoire d'une figure de la résistance française de la Seconde guerre mondiale, Missak Manouchian "l'Arménien", symbole universel et actuel du combat des peuples pour leur indépendance.
Par Olivier Merlet
Mais que vient faire Patrick Bruel au Courrier d'Erevan ? À 63 ans passés, l'éternel "beau gosse" de la chanson française, chanteur aux 10 millions d'albums et 40 ans de carrière devant lequel se pâment encore des midinettes vieillissantes, sort son dixième album, "Encore une fois". L'information, vue d'Erevan, serait largement passée inaperçue s'il ne s'était agi, dans l'un des morceaux de ce dernier opus, d'un hommage à une figure historique de l'Arménie et de la France, combattant de la liberté, Missak Manouchian.
Tout comme le bon vin, les années ont révélé un Bruel moins léger que l'image qui lui est généralement attachée. Il mêle aujourd'hui avec brio la chanson populaire et sentimentale chère à son public de toujours, avec des textes plus engagés, même s'il n'en signe pas toujours les paroles. Bruel se veut porteur de messages, loin des paillettes éphémères, et de par ses origines aussi, peut-être, porteur de mémoire.
Sur un texte et une musique signés Paul Ecole, jeune auteur breton de chansons à succès, "Aux souvenirs que nous sommes", évoque celle des Arméniens de France, et pas seulement. La figure du résistant de l'Affiche rouge demeure un symbole universel, de France et d'Arménie, pour tous les pays d'un monde libre et indépendant.
Bruel imagine les mots de Missak Manouchian à l'un de ses camarades alors qu'ils font face au peloton d'exécution allemand au Mont-Valèrien, le 21 février 1944. « Fais toi beau, tiens-toi droit l'avenir nous prend en photo - On sera toi et moi un jour sur ce drôle de tableau - Tout surpris, bientôt froids mais j'aimerais qu'on soit présentables ». La "lettre à Meline", poignante, que Manouchian écrivait à sa femme quelques heures plus tôt depuis sa prison de Fresnes est reprise par l'interprète en ouverture à sa chanson. « Bonheur à ceux qui vont nous survivre et goûter la douceur de la Liberté et de la Paix de demain. Je mourrai avec mes 23 camarades avec le courage et la sérénité d’un homme qui a la conscience bien tranquille, car personnellement, je n’ai fait de mal à personne ».
« Le devoir de mémoire a toujours été dans mes albums » confiait Bruel au micro d'une radio publique française à l'occasion de la sortie de son disque. « Et puis là, il y avait cette envie d'aller un peu plus loin avec Paul École, de mettre le focus sur des destins différents. Il a choisi la Résistance. Et j'ai rajouté cette lettre merveilleuse de Michel Manouchian, quelques heures avant de se faire fusiller en 1944 depuis la prison de Fresnes. Deux garçons se parlent, l'un dit : "Voilà, garde la tête haute. On sera certainement sur une photo et qu'est-ce qu'on pensera de nous ?" »
Coïncidence de dates, l'album de Patrick Bruel est sorti en France le 18 novembre, 79 ans après, à deux jours près de l'arrestation le 16 novembre 1943 par des policiers français de Missak Manouchian et des compagnons de son groupe de résistants. En 1955 déjà, Louis Aragon écrivait ce poème, "Strophes pour se souvenir", lorsqu'une impasse anonyme du XX -ème arrondissement de Paris fut rebaptisés rue du "Groupe Manouchian".
L'entrée au Panthéon français de Missak Manouchian est confirmée pour le courant de 2024.