Examen de santé

Société
16.02.2023

Le gouvernement arménien fixait la semaine dernière les étapes du calendrier de mise en place d’une assurance maladie universelle. L'occasion pour le Courrier d'Erevan de dresser un aperçu de l'état des lieux du système de santé actuel.

Par Anne Giraudeau

 

Les limites du système actuel d’assurances

Il y a un an déjà, la ministre de la Santé, Anahit Avanesyan, et sa vice-ministre Lena Nanushyan présentaient un concept d’assurance maladie complète et universelle. Le projet a été officiellement adopte le 2 février dernier et promet à tous les Arméniens la possibilité financière d’accéder aux services médicaux de base ainsi que de bénéficier des nombreuses réformes en cours et à venir.

Il faudra toutefois être patient - sans jeu de mots - pour que cette prise en charge devienne effective et que le système gagne en équité, puisqu’ainsi que le rappelle le  communiqué de presse du ministre e la Santé le 2 février dernier « L'assurance maladie complète sera pleinement mise en œuvre à partir de 2027 ». D’ici là, même si certains ont d'ores et déjà recours à des assurances privées pour couvrir leurs frais médicaux, la majorité de la population devra encore faire face seule à ses dépenses de santé.

Conséquence directe de cette situation, la modicité des salaires perçus en Arménie incite à ne verser de l’argent que pour les soins nécessaires, lorsque l’état du patient est déjà souvent critique, plutôt que d’anticiper et de payer pour des risques hypothétiques. De plus, la plupart des habitants est mal informée à propos de la signification et aux avantages d’une assurance privée.

Toutefois, certaines entreprises proposent à leurs salariés une assurance privée à un prix très modique comparé aux frais réels. C’est le cas d’hôpitaux privées, d’écoles, de pharmacies, d’opérateurs téléphoniques ou encore de compagnies aériennes.

 

Manque de vocation et de formation des personnels soignants

Les soignants interrogés déplorent leurs conditions de travail. Le manque de personnel se fait sentir, en partie parce que les professions médicales ne sont pas très attrayantes financièrement.

Les salaires, surtout dans les établissements publics, sont insuffisants pour faire face au coût de la vie et permettre de vivre seul. « Les médecins ont en général besoin de travailler auprès de plusieurs hôpitaux et de maximiser leur nombre de gardes », nous confie une responsable des ressources humaines d’un hôpital privé à Erevan. Il est courant que les médecins exerçant en province aient un emploi complémentaire, comme chauffeur de taxi par exemple, pour subvenir aux besoins de leur famille.

Deux cadres de santé nous font part de leur insatisfaction quant à la qualité de l’enseignement reçu en école d’infirmières. Il en va de même pour la formation des médecins. « Les professeurs d’université ne bénéficient pas d’une rémunération assez motivante pour enseigner », déplorent des étudiantes en médecine. Les cours dispensés sont souvent jugés dépassés, ce qui incite les étudiants à être moteur dans leur apprentissage en s’informant sur les protocoles actuels via Internet. La pratique n’est accessible qu’à partir de l’internat, ce qui ne permet pas de se confronter très tôt à la réalité durant le cursus universitaire. La formation continue des soignants, pour leur permettre d’actualiser leur savoir, est une véritable nécessité. L’accréditation de ces formations à destination des médecins, pharmaciens et infirmiers est bien accueillie en général, gage d’une meilleure qualité des connaissances du personnel.

 

Une offre territoriale et un accès aux soins inégalement répartis

La capitale attire tous les praticiens, avec des revenus plus attractifs ; la disparité est flagrante. Très peu reviennent dans leur région natale après avoir achevé leurs études à Erevan. Les provinces souffrent donc d’un sous-effectif, et d’un manque d’équipements malgré des améliorations notables dans les infrastructures. Il arrive qu’il n’y ait qu’un spécialiste faisant fonctionner son service. Il n’y a pas de maillage sur le territoire pour répartir géographiquement les internes, ni de limitations du nombre de praticiens dans chaque spécialité médicale. Cette fuite vers la capitale engendre un désert médical dans le reste du pays, forçant la population à se rendre à Erevan pour être soignée le mieux possible.

Certaines chirurgies, moins rentables financièrement, sont délaissées. Il en va de même pour certaines spécialités ; l’offre de soins ne coïncide pas idéalement aux besoins de la population.

Par ailleurs, les services des urgences se développent de plus en plus depuis une dizaine d’années mais restent cantonnés à la capitale et tous les hôpitaux n’en sont pas encore dotés. Ce secteur a été quelque peu négligé lors de la modernisation du système de santé après la chute du bloc soviétique, il y a un réel manque de formation aux soins d’urgence. La spécialité d’urgentiste n’existant pas en Arménie, des médecins généralistes ou des spécialistes se partagent les gardes à tour de rôle. L’approche du patient est donc peu globale, assez fractionnée par spécialités. La prise en charge préhospitalière mériterait d’être améliorée, pour gagner en rapidité et en efficacité pour les cas les plus graves et les plus temps-dépendants comme les infarctus du myocarde, les blessures traumatiques.

 

La ressource pharmaceutique en question

Certains patients souffrant de maladies chroniques sont totalement pris en charge par le gouvernement. Ceci concerne par exemple les traitements en oncologie comme le trastuzumab, utilisé en pathologie de cancer du sein, les fournitures en insuline pour le diabète et, ou encore les dialyses. Ce n’est hélas pas la règle habituelle et beaucoup renoncent à se soigner, ne pouvant, faute de ressources financières suivre des traitements pouvant parfois excéder leur revenu mensuel. Il en va de même pour les consultations et les examens médicaux.

Une liste de médicaments est souvent fournie au patient et ses proches, qui doivent se les procurer eux-mêmes lors d’hospitalisations adultes, au sein d’hôpitaux publics. Le patient endosse alors le rôle de logisticien vis-à-vis de son traitement, se chargeant lui-même de trouver un approvisionnement bon marché et fournissant ainsi l’hôpital pour qu’on lui administre son traitement.

Du côté des pharmacies, certains médicaments oncologiques ou cardiologiques comme la Cardio-aspirine par exemple sont victimes de tensions d’approvisionnement. Ces ruptures, tout comme la hausse des prix des médicaments, font suite à la guerre en Ukraine, la Russie en étant le principal fournisseur. À cela s’ajoute le problème de la falsification de ces produits, qui menace la qualité et la sûreté des traitements disponibles sur le marché.

 

La prévention au cœur de la politique sanitaire

Élargir les actions préventives semble être au cœur des nouvelles préoccupations de la politique sanitaire.

Le cancer du sein, via l’accès gratuit à une mammographie pour les femmes d’une certaine tranche d’âge, et le cancer colorectal sont d’ores et déjà ciblés. D’après deux médecins spécialisées en oncologie, sensibiliser les populations et améliorer l’accès aux examens complémentaires suite au dépistage sont des axes à développer. En effet, ce sont deux freins au diagnostic précoce du cancer, or la prise en charge la plus rapide possible de ces maladies est un facteur clé pour l’efficacité des traitements.

La promotion de la santé est par ailleurs portée par des programmes luttant contre le tabac, prônant une alimentation saine et l’activité physique, tandis que le " Programme national de vaccination 2021-2025 " se poursuit, d’après le communiqué de presse du 12 décembre dernier.

Tous les vaccins du calendrier vaccinal sont gratuits, mais cette disposition ne semble pas les rendre attractifs pour tout le monde. Il y a en effet une certaine défiance face aux vaccins, perçus comme dangereux, car pourvoyeurs d’effets indésirables.

Quant à la prévention dentaire, elle nécessiterait de se déployer davantage. Les soins dentaires sont jugés chers, même s’ils sont bien plus abordables qu’en Europe par exemple, ce qui peut attirer des étrangers. On préfère repousser la consultation chez le dentiste, ce qui explique le mauvais état de dentition général.

 

La santé mentale enfin prise en compte

Un des challenges en ce domaine est d’offrir un support psychologique aux victimes de la guerre en Artsakh, aussi bien les soldats que leurs proches.

Des organisations étrangères ont mis en place des programmes pour surmonter le syndrome de stress post traumatique, en ciblant parfois les enfants, surtout dans les zones frontalières. C’est notamment le cas de Santé Arménie, qui a levé des fonds pour créer une unité mobile de suivi psycho-social dans la région du Syunik et d’Artsakh. Des hôpitaux pédiatriques privés à Erevan ont aussi prévu des visites de psychologues gratuites pour les enfants hospitalisés.

La dernière décennie a vu croître les besoins en matière de santé mentale, mais l’attention sur ce sujet est aussi grandissante. Les problèmes de sommeil, le sentiment de solitude, les idées suicidaires, les syndromes dépressifs touchent plus de patients, adultes comme enfants.

D’après un pédopsychiatre, la difficulté de la prise en charge tient au fait qu’elle est très compartimentée. La psychologie est touche à la fois les sphères médicales, sociales et parfois éducatives. L’offre de soin est trop institutionnalisée et manque d’accessibilité financière et géographique, il est donc nécessaire de moderniser les services de santé mentale.

 

Généralisations de la lutte contre l’infertilité :

Alors que le dispositif gouvernemental contre l’infertilité n’était réservé qu’à certaines catégories de la population, tous les citoyens arméniens pourront y prétendre dès 2023.

 

Améliorer l’accessibilité aux soins, assurer la sécurité du médicament notamment en luttant contre le trafic illégal et la contrefaçon, font partie des nouveaux défis sanitaires à venir.

Une infirmière cadre de santé nous a également confié que l’augmentation des salaires et de la qualité de vie des soignants seraient une grande source de motivation.

Bien que certains soignants soient résignés quant à l’avenir du système de santé arménien, d’autres nourrissent encore de l’espoir. Les nouvelles réformes et la création de l’assurance universelle sont attendues avec impatience.

 

 

  1. Article Healthcare in transition in the Republic of Armenia: the evolution of emergency medical systems and directions forward, International Journal of Emergency Medicine.
  1. Gohar Petrosyan – Thèse : La falsification des médicaments : Analyse croisée des droits français, arménien, de l’Union européenne et de l’Union économique eurasiatique.