Nous vous présentons ci-dessous l’interview de 1in.am avec le rédacteur en chef du quotidien libano-arménien « Zartonk » Sevak Hakobian, où il parle de la situation socio-économique compliquée au Liban et de sa détérioration, des préoccupations des Arméniens du Liban, de l'augmentation du niveau de pauvreté et des actions futures de la communauté arménienne.
M. Hakobyan, le Liban est depuis longtemps dans une situation socio-économique difficile, voire dans une crise extrêmement dangereuse. Pouvez-vous nous dire pourquoi et comment le Liban s'est retrouvé dans cette situation critique?
La situation socio-économique difficile au Liban n'est pas du tout un nouveau phénomène. C'est le résultat d'accumulation de 100 milliards de dollars de dette intérieure et extérieure, de financement des taux d'intérêt, de grandes sommes d'argent dépensées pour la reconstruction après la guerre civile et de corruption.
C'est le résultat du remplissage des institutions de l'État par les partis politiques et leurs dirigeants avec des fonctionnaires inutiles servant des intérêts personnels et électoraux, de l'existence de plus de 2 millions de réfugiés syriens, du conflit silencieux entre l'Iran et l'Arabie Saoudite, du désaccord sur les armes du Hezbollah, de la baisse incomparable du nombre de touristes arabes pour ces deux dernières raisons, et de l'écart dans les secteurs déséquilibrés de l'économie.
Quant à la crise dans les circonstances susmentionnées, elle est directement liée aux sanctions américaines imposées aux pays de la région ainsi qu’à l’échec de toutes les tentatives de désarmement du Hezbollah. Des mesures visant à mettre le Hezbollah à genoux sur le plan économique sont actuellement mises à l’essai. Des tentatives sont faites pour retourner ses partisans (ils représentent une large communauté et font partie intégrante de la population libanaise) contre lui, ce qui lui causera de terribles difficultés économiques et financières. En fait, c'est la décision des pays occidentaux, déjà dirigée par les États-Unis, de voir une région sans Hezbollah dans les années 2020. D'une part, c'est en faveur de l'Arabie Saoudite, d'autre part, bien sûr, de l'Israël.
Pour toutes ces raisons, les gens ont perdu patience et le 17 octobre de l'année dernière, une révolution populaire a commencé, rejetant tous les représentants du gouvernement et exigeant que le système pourri soit éliminé par des élections anticipées. Le Hezbollah, bien sûr, a déclaré que tout cela finirait par contribuer à sa chute. En conséquence, il a renforcé ses positions au sein du gouvernement libanais, et les États-Unis ont réagi à cette situation en augmentant leur pression économique et financière. Le dollar a soudainement disparu du marché, la monnaie libanaise s'est effondrée, les liquidités dans les banques ont diminué et nous sommes arrivés là où nous sommes maintenant. En d'autres termes, un horizon avec un sombre avenir devant lui, dans lequel l'optimisme est une illusion, à moins, évidemment, que la situation politique ne change.
L'échec du Liban en tant qu'État aura de graves conséquences sur la vie des Arméniens libanais et sur la présence arménienne au Liban en général. Quels sont les principaux problèmes auxquels sont confrontés les Arméniens du Liban à l'heure actuelle?
Bien entendu, la communauté libano-arménienne ne pouvait pas rester à l'écart de la situation générale. Il convient de noter que la communauté libano-arménienne, qui est restée en place après la guerre civile, n'a pas la même qualité et la même base économique dans le pays. Il est donc naturel que les Arméniens libanais se retrouvent soudainement dans une situation difficile et imprévisible. Le principal problème aujourd'hui est la dévaluation de la monnaie libanaise, qui a entraîné une inflation. Le revenu des gens en monnaie libanaise ne vaut rien, alors que l'achat de presque tous les produits de consommation sur le marché international est basé sur le dollar. Cela a entraîné la perte du pouvoir d'achat des Arméniens libanais et de la plupart des Libanais en général. Cela concerne non seulement les classes moyenne et pauvre, dont les salaires sont non seulement sans valeur, mais aussi, en raison de la crise économique et des problèmes liés au coronavirus, ils perçoivent déjà la moitié de leurs salaires ou sont complètement au chômage. Cette difficulté touche également la classe riche dont les ateliers et les entreprises sont exposés au risque et dont les devises sont bloquées dans les banques. Ce sont les problèmes d'aujourd'hui. Cependant, plus la situation est tendue, plus elle peut devenir incontrôlable. La pauvreté et les problèmes financiers déstabiliseront davantage le pays et créeront un problème de sécurité nationale qui pourrait menacer l'existence physique des gens.
Quelle est l'ampleur de la diminution de la communauté arménienne pendant cette crise ?
La communauté libano-arménienne est en diminution depuis 1975. Pour diverses raisons, les Arméniens libanais ont parfois quitté le Liban par petits ou grands flux, pour se rendre dans des pays occidentaux. Aujourd'hui, la communauté, qui comptait autrefois 250 000 Arméniens, en compte à peine 50 000 à 60 000, et ce chiffre ne cesse de diminuer.
Comment voyez-vous l'avenir des Arméniens libanais dans les conditions actuelles du pays ?
Le déménagement silencieux des Arméniens libanais vers l'Arménie a commencé. Cependant, aujourd'hui, compte tenu de la situation actuelle en Arménie, des difficultés des Arméniens libanais à récupérer des dollars, je ne peux pas dire comment la situation va évoluer. Mais je pense qu'il y aura un véritable afflux d'étudiants en Arménie, étant donné l'énorme différence de frais de scolarité entre les deux pays. Quant au rapatriement des familles, il dépend en grande partie de la stratégie de rapatriement des autorités arméniennes et des mesures prises dans ce sens. Bien sûr, tout cela ne signifie pas que la communauté libano-arménienne ne doit pas exister. Les Arméniens libanais, même dans les jours les plus difficiles, ont en quelque sorte survécu et sont restés la communauté arménienne la plus organisée de la diaspora, donnant toujours un nouvel élan à toutes les autres communautés arméniennes dans le monde.
Qu'est-ce qui a changé dans la situation sociale de la communauté arménienne ? Les gens ont-ils pu survivre ?
Cette situation a révélé une nouvelle circonstance qui n'était pas évidente auparavant. Le nombre d'Arméniens vivant dans l'extrême pauvreté et ayant besoin de produits de première nécessité augmente de jour en jour. Pour assurer leur survie, les institutions locales, publiques, de la diaspora arménienne et les bienfaiteurs individuels font de leur mieux pour aider les gens au meilleur de leurs capacités. Cependant, la priorité doit être donnée au salut des individus et des familles aux dépens des institutions (médias et écoles libano-arméniennes). Certaines d’entre elles seront inévitablement fermées.
Selon vous, quelle est la solution à ce problème ? Quelles sont les mesures que les autorités libanaises ne prennent pas pour sortir le pays de cette situation ? Combien de temps pensez-vous que cette situation va durer ?
Comme je l'ai déjà précisé, la crise financière au Liban n'est pas purement économique, comme ce fut le cas récemment en Argentine ou plus tard en Grèce ou à Chypre, ce qui peut être résolu par l'adoption de certaines théories économiques. La crise économique au Liban est directement liée à la politique et à l'instabilité régionale : le problème syrien, l'instabilité en Irak, la guerre au Yémen, l'embargo imposé à l'Iran, les récentes sanctions américaines contre le régime syrien en vertu de la loi César, la rivalité russo-américaine pour leur influence dans la région. Dans le même temps, les Turcs tentent de reprendre le contrôle des frontières de l'Empire ottoman, de la Syrie à la Libye.
Tout cela affecte la situation au Liban, et le problème est presque insoluble tant que les problèmes susmentionnés ne sont pas résolus. Je comprends que la situation restera la même, et le jeu inégal entre les parties doit continuer jusqu'à ce qu’une sorte d’accord américano-iranienne soit conclu qui aurait pour conséquence que l'Iran sacrifie le Hezbollah et obtienne l'amitié américaine pour son programme nucléaire, et plus encore.
Sinon, le problème pourrait se prolonger, et certaines modifications de la Constitution libanaise seraient apportées en faveur de la communauté chiite libanaise au prix du désarmement du Hezbollah.
Ou, si nous parlons de solutions plus radicales, je dois dire que le programme de la fédération de la communauté libanaise et de la région dans son ensemble n'est pas un scénario très improbable.
Des solutions temporaires peuvent toujours être trouvées, mais ce sera un pansement à la solution principale du problème.
Que Dieu aide le Liban et les Arméniens libanais victimes de la guerre (casualties of war). Après tout, quand il y a un grand projet sur un immense terrain où il faut préparer d'énormes dispositifs pour jeter les bases de ce projet, ils peuvent piétiner ou éradiquer beaucoup d'arbres ou de vieilles structures sur leur chemin, à qui demande-t-on ou qui s'en soucie ? Combien de nids d'insectes ou d'oiseaux seront détruits et leur vie prendra fin. Le programme peut être si important que tout le reste est insignifiant...
Je suis désolé d'être réaliste, je ne peux pas terminer cette conversation avec optimisme. On ne peut qu'espérer que Dieu aidera le Liban et les Arméniens libanais.
Source : 1in.am