Arménie- Azerbaïdjan : frontières à délimiter

Région
28.04.2022

Quelques 1500 kilomètres carrés de terres arméniennes ont été offerts à l’Azerbaïdjan par Moscou entre 1921 et 1970, un pays créé de toutes pièces et sans aucun ancrage culturel dans la région. Zoom sur l’histoire de ces frontières avec le cartographe Rouben Galichian.

Par Anna Aznaour (Echo Magazine)

 

L'Arménie ne garde aujourd’hui qu’à peine 10% de ses territoires séculaires. Situation qui s’est dangereusement détériorée en 2020 après l’offensive de l’Azerbaïdjan sur le Haut-Karabakh / Artsakh. Aujourd’hui, Moscou et Bruxelles insistent sur la délimitation des frontières entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Pourtant, il y a déjà eu un accord territorial respectueux du droit international et conclu sans le moindre intermédiaire entre les deux pays. Ce document, signé en juin 1921, actait la reconnaissance du Haut-Karabakh par Bakou en tant que partie intégrante du territoire arménien. Quelques jours plus tard, il sera piétiné par Kremlin. Ainsi, sur ordre de Staline et sans autre forme de procès, la province va passer dans le giron azerbaïdjanais. Et, quatre mois plus tard, ce sera le tour d’une autre province arménienne, le Nakhitchevan, d’être annexée à l’Azerbaïdjan par la Russie.

 

Comment se fait-il que le Haut-Karabakh apparaisse sur la carte comme une enclave géographiquement éloignée de l’Arménie alors qu’il s’agit de sa douzième province séculaire ?

Rouben Galichian : Entre 1921 et 1922, la Russie a tracé les frontières entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan sans pour autant fournir de carte aux intéressés. Il faudra attendre 1926 et la parution de l’Encyclopédie soviétique pour y accéder. Son contenu est sans équivoque : il n’y avait pas d’enclaves azerbaïdjanaises entre l’Arménie et le Haut-Karabakh. Les territoires en question ont été confisqués à l’Arménie par la Russie avec comme prétexte la création d’un Kurdistan bolchevique. La justification avancée était que les Kurdes, peuple composé essentiellement d’éleveurs, avaient besoin de ces régions de pâturage pour leurs animaux. Cependant, en 1932, cette décision fut annulée sans que ces terres soient restituées à l’Arménie, laissant leur pleine et entière jouissance à l’Azerbaïdjan.

 

Est-il vrai que les cartes de la région ont été continuellement modifiées par Kremlin, et toujours en défaveur de l’Arménie ?

Oui. Entre 1921 et 1970, par petites touches, le pays a été dépossédé de 1500 kilomètres carrés en faveur de l’Azerbaïdjan. Ce dernier affirme aujourd’hui qu’Erevan, au même titre que le Haut Karabakh, est sa terre ancestrale et qu’elle doit lui être rendue ! D’où une politique d’appropriation des vestiges culturels arméniens. Et de destruction dans les cas où l’usurpation est impossible, comme avec les khatchkars, ces pierres de croix arméniennes.  Rappelons qu’en matière d’alphabet, l’Azerbaïdjan n’a pas non plus d’ancrage culturel, et donc d’identité définie. En à peine un siècle, ce pays est passé de l’arabe au latin et du latin au cyrillique pour revenir au latin.

Bakou prétend également être l’héritière légitime de la province iranienne voisine. Est-ce justifié ?

Clairement pas. Il s’agit de la province iranienne appelée "Azerbaïdjan" dont ni la population ni l’histoire n’ont un lien avec la République d’Azerbaïdjan. Celle-ci a été créée de toutes pièces en 1918 en usurpant le nom de la région iranienne. Une manipulation géostratégique dans le but d’offrir aux Soviétiques la possibilité de revendiquer par la suite des droits sur l’Azerbaïdjan iranien en présentant cette province comme faisant partie de la République fraîchement inventée. Cette stratégie avait provoqué la colère de l’Iran : son ambassade avait adressé une lettre officielle de protestation à Bakou, datée du 28 août 1918, contre cette appropriation abusive du nom de sa province.

Comment et en combien de temps la démarcation entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan pourrait-elle se faire et sont-ils d’accord sur le principe ?

Il s’agit d’un processus susceptible de s’étendre sur cinq ans au moins. Et il doit, idéalement, être encadré et accompagné par des observateurs internationaux qui n’ont pas d’intérêts géopolitiques dans la région. C’est d’ailleurs un des nombreux points sensibles de ce nœud régional où le nombre d’acteurs a augmenté ces dernières années. Concernant l’accord sur le principe, si Erevan souhaite commencer rapidement ce processus, Bakou est nettement moins pressé. D’autant que les discussions engloberont également le statut du Haut-Karabakh, que l’Azerbaïdjan affirme avoir déjà réglé par la guerre. Une opinion que ne partage pas le groupe de Minsk – la Russie, les Etats-Unis et la France –, chargé du règlement de ce conflit. Toujours est-il que l’évolution de la situation sera indirectement tributaire du contexte ambiant. Et notamment de la guerre en Ukraine puisque la Russie reste un acteur clé dans les relations entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan.

Cette délimitation des frontières pourrait- elle garantir la paix entre les deux pays ?

Elle préviendrait en tous les cas les incursions impunies de l’Azerbaïdjan dans les régions arméniennes. Depuis le 12 mai 2021, ses troupes sont installées sur divers tronçons frontaliers avec l’Arménie selon de fausses cartes ; d’après elles, ces territoires appartiennent à leur Etat. C’est pourquoi il est urgent d’établir une délimitation. Une fois ce tracé constitué, ces incursions seraient considérées comme des violations de la souveraineté étatique reconnues en tant que telles par le droit international avec les mesures légales qui en découleraient.