Progrès et spiritualité en débat à L'UFAR

Complément spécial UFAR
Date: 
14.05.2024

En visite à Erevan à l'occasion des commémorations du génocide des Arméniens, le cardinal Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille, a rencontré les étudiants de l'Université française en Arménie.

Par Darya Jumel

 

Le 24 avril dernier, les 109 ans du Génocide arménien ont été commémorés dans le monde entier, un chapitre sombre de l'histoire, des crimes, commis en 1915, dont la Turquie actuelle continue pourtant officiellement de nier la responsabilité. Pour marquer cette journée emblématique, le cardinal Jean-Marc Aveline, archevêque de Marseille a entrepris un voyage symbolique à Erevan.

Au cœur de cette visite, un moment privilégié a été organisé le 26 avril à l'Université Française en Arménie, un rendez-vous entre le cardinal et les étudiants. Depuis la guerre du Haut-Karabakh de 2020, une quête de sens anime la jeunesse, au cœur de laquelle la religion et le futur de l'Arménie jouent un rôle central. Le cardinal a souhaité comprendre comment ces jeunes maintiennent leur foi à travers les guerres et les injustices auxquelles le pays est confronté.

La rencontre commence dans le bureau de la rectrice, Salwa Nacouzi. Cette dernière et les doyens de chaire évoquent la foi et les traditions des 96% de croyants parmi la population arménienne. Leur pratique religieuse est un sujet complexe. Marquée de violences et d'oppression, l'histoire douloureuse du génocide et enfin par l'ère soviétique, elle s'est développée dans la clandestinité, conférant à cette spiritualité une aura de mystère. Pour un enseignant ayant grandi sous le régime soviétique, la religion est surtout un héritage culturel : « je ne suis pas croyant, mais l'Église arménienne est un chemin de spiritualité ». La jeunesse se tourne vers la foi en raison des conflits armés qui secouent la société en remettant parfois en question leur héritage chrétien, intrinsèque à l'identité arménienne. « Je suis toujours très étonnée de voir des jeunes couples arméniens emmener régulièrement leurs enfants à l'église », remarque une autre enseignante, originaire du Canada. Elle en souligne d'ailleurs le grand contraste avec le déclin de la pratique religieuse chez les jeunes Québécois.

Débats et controverses

Le cardinal rejoint enfin les étudiants qui l'attendent dans l'amphithéâtre. D'emblée, ils abordent la controverse de janvier dernier autour de la non-diffusion sur les chaines de télévision publique du traditionnel discours du Catholicos arménien à l'occasion des vœux du Nouvel An. Ce geste, perçu comme politique, suscite toujours leur indignation. Admettant explicitement le rôle crucial de l'Église dans le pays, le cardinal concède : « la situation est complexe en Arménie », mais pour lui, le bien-être du peuple reste primordial. « Si l'Église estime que les actions du gouvernement ne servent pas les intérêts du peuple, elle doit les expliquer puis les contester », déclare-t-il avec conviction. Malgré les persécutions nombreuses au cours des siècles, la foi chrétienne a persisté, empruntant parfois d'ailleurs à la subversivité. Prenant ainsi l'exemple de la Pologne, le cardinal insiste sur la force de la religion catholique dans la lutte contre l'oppression. Il rappelle que cette résistance, qui prit racine dès la fin du VIIe siècle, permit à la Pologne de s'unir contre le régime communiste soviétique.

Protéger la diversité contre l'uniformisation croissante.

Le cardinal invite aussi son public sur les chemins de la spiritualité. Selon lui, l'avènement des nouvelles technologies et des méthodes économiques globales privilégient souvent un système globalisant au détriment de la diversité et de l'individu. Il engage les étudiants à réfléchir sur la notion de juste équilibre. « Les différences sont essentielles pour préserver la richesse de l'humanité. Avec l'intelligence artificielle les particularités sont parfois oubliées », déplore-t-il, rappelant les dangers d'une telle homogénéisation. Parallèlement, il reconnaît en ces espaces de discussions crées à l'université et dont il profite aujourd'hui, un lieu de diffusion de la pensée critique, propre à l'émergence de voies émancipatrices. Des compétences clé pour les entreprises également.

Le cardinal poursuit enfin et conclut son discours, en mettant en avant l'importance de l'engagement envers les plus démunis comme élément clé du sens de la vie, en complément de celle professionnelle.