À l’occasion du 130ème anniversaire de la naissance du "Darvish", André Sevrugian, le Matenadaran met à l'honneur les toiles de l'artiste, peintre irano-arménien, dans une exposition intitulée "Poésie des images".
Par Darya Jumel
Peintre et miniaturiste du 20ème siècle, d'André Sevrugian a ouvert par son style un nouveau chapitre dans la peinture persane. À la recherche de tendances et de formes esthétiques novatrices, l'artiste irano-arménien a su mettre en exergue l'harmonie de la ligne, la perspective et le mouvement, tout en révélant les caractéristiques délicates du monde intérieur de l'homme. Ses œuvres s'inspirent de la peinture et de la miniature persane ancienne, celles des grands noms de la période safavide qui accordaient une attention particulière aux détails ornementaux. Sevrugian a cependant su harmoniser les éléments anciens et modernes, portant un souffle d'air frais et d'innovation dans les arts visuels persans.
Une ode à la culture arménienne
On ne saurait toutefois résumer son œuvre à cette seule production. Car la peinture d'André Sevrugian incarne aussi cette proximité entre deux civilisations et deux cultures, la perse et l'arménienne, dont les thèmes occupent une place toutes particulière de son œuvre. L'artiste a en effet ressenti les liens étroits qui le liaient au peuple arménien, à son folklore, sa littérature et son passé historique. Son travail en est l'image vivante, une ode à la culture et à l'histoire arménienne, des œuvres toutes aussi symboliques que le titre qu'elle porte : "Artashes et Satenik", "Grégoire l'Illuminateur", "Vardanank", " Les quarante jours de Musa Dagh", et encore "La mort du général Andranik"…
Longtemps remisées dans des coffres et réserves, ces trésors de peintures, de manuscrits et d'illustrations ont été sélectionnées et sont exposées publiquement pour la première fois, faisant briller les regards émerveillés des visiteurs. Les plus célèbres, Sardarapat, " de Musa Dahg ou encore "L'expulsion des Arméniens" ont été réalisées entre 1960 et 1975. Dans cette série de tableaux, le maître explore avec une intensité extrême les thématiques des guerres et du génocide qui ont marqué l'histoire du peuple arménien.
Les toiles exposées dépeignent des scènes brutales, des exodes massifs, des combats acharnés sur les champs de bataille mais aussi des récits religieux. Ce qui frappe particulièrement le visiteur, c’est ce flamboiement des couleurs, vives et saturées, qui instillent l'idée de l'éternelle vivacité et confèrent à ces récits pourtant tragiques une dimension poétique. Cette section de la galerie, convoque à la brutalité une ode à la survie, intrinsèque aux origines de l'artiste, né en diaspora à Téhéran.
Parallèlement, la section droite de l'exposition présente des miniatures persanes sur papier noble qui abordent des thèmes plus subtils tels l'amour et la philosophie. André Sevrugian s'est inspiré des grands poètes persans comme Hafez, grand écrivain du XIVème siècle. Des œuvres consacrées à Sayat Nova, Omar Khayam et Ferdowsi sont désormais exhibées. Celles consacrées à Sayat Nova, peintes en 1989, sont d'une grande valeur artistique, riche en embellissements et savoir-faire technique. Certaines sont imprimées sur batik, introduisant de nouveaux concepts tels que la perspective et la tridimensionnalité. Une série plus ancienne, "Shahnameh", réalisée dans les années 1924 à 1934, est tirée de l'histoire de Siyâvash, le prince persan légendaire de l’œuvre épique de Ferdowsi, le Livre des Rois. Toutes mettent encore en lumière la double identité culturelle entretenue par l'artiste entre la Perse et l'Arménie.
Renforcer les liens entre deux mondes
Lors de l'inauguration de la "Poésie des images", le directeur du Matenadaran, Ara Khzmalyan, a souligné l'importance de l'événement culturel, mettant en avant la solidarité entre deux civilisations historiques et l'aspiration à en enforcer les liens culturels. L'attachement du musée aux œuvres de Sevrugian n'est d'ailleurs pas une nouveauté puisqu'en 2014, son fils Emmanuel, âgé de 84 ans, a offert au musée un trésor intime : une collection précieuse de plus d'une centaine de tableaux ainsi que des photographies héritées de son grand-père, Antoine Khan Servuguin, photographe à la cour royale iranienne dont les clichés en ont immortalisé la splendeur, les secrets des harems et la majesté des mosquées sous l'ère de l'Empire perse.
Le musée Mesrops Mashtots Matenadaran y consacre depuis une exposition permanente présentant des pièces d'une valeur inestimable dans une partie de galerie dédiée à ces artistes éminents.
