Demir Sönmez, journaliste-photographe suisse d'origine arméno-kurde, a couvert la guerre des 44 jours au Karabagh dont il a tiré un livre : "L'aiglon blessé". Il est avant tout un infatigable militant des Droits de l'Homme et des peuples, embrassant la cause de toutes les minorités opprimées.
Il l'a payé de sa chair, emprisonné et torturé dons les geôles turques pour cause de dissidence. Exilé en Suisse depuis 1990 il anime jusqu'en 2022 un blog à La Tribune de Genève avec plus de 1500 articles et plusieurs milliers de photos et vidéos. Il publie aujourd'hui ce véritable manifeste pour la défense de l'Artsakh, contre la brutalité et le silence.
Le blocus et le siège de l’Artsakh se poursuivent depuis le 12 décembre 2022 sous la protection des soldats de maintien de la paix azerbaïdjanais et russes.
Afin de bien comprendre ce siège et ce blocus, il est nécessaire de définir clairement le sujet. Ce siège et ce blocus ont un objectif et une définition stratégiques. Ce siège n'est pas seulement une action initiée et maintenue par l'Azerbaïdjan. Nous pouvons tous en définir les différentes dimensions, mais ce faisant, il convient de présenter tous les faits dans toute leur intégralité. Il sera dès lors plus compréhensible d’agir à partir de réalités sans rendre le sujet trop complexe.
L'article 6, l'un des articles les plus importants de l'accord de cessez-le-feu signé par la Russie, l'Azerbaïdjan et l'Arménie le 9 novembre 2020, concerne la question du corridor de Latchine :
« La République d'Arménie restituera le district de Kelbajar à la République d'Azerbaïdjan d'ici le 15 novembre 2020 et le district de Latchine d'ici le premier décembre 2020. Même s’il ne traverse pas le territoire de Choucha, le corridor de Latchine (5 km de large), qui assurera la connexion entre le Haut-Karabagh et l'Arménie, restera sous le contrôle des forces de maintien de la paix de la Fédération de Russie.
Comme convenu par les parties, un plan de construction d'une nouvelle route reliant le Haut-Karabagh à l'Arménie au corridor de Latchine sera élaboré dans les trois prochaines années et par la suite, il sera prévu de déployer des soldats de maintien de la paix russes dans cette région afin pour protéger l'itinéraire entrant et sortant.
La République d'Azerbaïdjan garantira la sécurité des personnes, des véhicules et des marchandises circulant dans les deux sens le long du corridor de Latchine. »
La seule voie terrestre reliant l’Artsakh à l’Arménie et au monde entier a été occupée et bloquée par les casques bleus russes et les azerbaïdjanais.
L'objectif de l’Azerbaïdjan est d’exiler les Arméniens vivant en Artsakh en les déracinant de leurs terres ou en laissant le peuple arménien de la région souffrir de la faim et de la soif, en le privant de produits de santé, de médicaments de base et en causant leur mort en masse sous un blocus économique. Le but est, avec cette méthode, de commettre un génocide mettant fin à l'existence des Arméniens vivant sur ces terres.
Casques bleus russes ou force militaire azerbaïdjanaise ?
Selon l'accord de cessez-le-feu signé le 10 novembre 2020, la sécurité du couloir de Latchine, qui relie l'Artsakh à l'Arménie et au monde entier, serait assurée par des soldats de la paix russes. Force est de constater qu'elle ne l'est pas.Lles casques bleus russes ne servent pas la paix dans la région, mais les intérêts et les provocations de l’Azerbaïdjan.
Les attaques militaires contre l'Arménie du côté azerbaïdjanais sont menées dans les zones sous le contrôle des casques bleus russes. Les postes de contrôle construits par l'Azerbaïdjan sur le corridor de Latchine l’ont été sous le contrôle des casques bleus russes. Le passage de l'aide humanitaire envoyée vers l'Artsakh depuis divers pays du monde entier et par les institutions internationales (médicaments, aliments pour bébés, fournitures sanitaires et médicales et produits alimentaires essentiels) est bloqué par les forces militaires et officielles azerbaïdjanaises dans la région sous le contrôle des casques bleus russes.
Même en temps de guerre, les efforts humanitaires du Croissant-Rouge international et de la Croix-Rouge ont été entravés.
Les États-Unis, l'Union européenne, le Conseil de l'Europe, les Nations Unies et diverses institutions internationales ne sont pas autorisés à mener des inspections dans la région et à se rendre en Artsakh sous supervision des soldats russes de maintien de la paix.
Il faut maintenant réfléchir et se demander: à qui servent ces soldats russes de maintien de la paix sous le régime de Vladimir Poutine?
C’est son gouvernement qui avait mis fin à la guerre le 10 novembre 2020.
C’est la Russie qui détient le pouvoir militaire, économique et politique dans la région. La force décisive qui a réalisé ce blocus et cette occupation, c'est encore l’administration Poutine.
La coalition de guerre composée de la Russie, de l’Azerbaïdjan et de la Turquie promet d’entraîner la région vers de nouvelles catastrophes. La crise économique, politique et énergétique dans laquelle l’Europe s’est embourbée a rendu les pays européens encore plus dépendants de la Turquie et de l’Azerbaïdjan.
La guerre en cours en Ukraine, qui affaiblit les relations entre l’Europe et la Russie, profite principalement à la Turquie et à l’Azerbaïdjan. Les pays européens ayant besoin des ressources énergétiques azerbaïdjanaises ont dû augmenter leurs commandes de 50%. Afin de répondre à la demande croissante de pétrole et de gaz des pays européens, l’Azerbaïdjan viole l’embargo imposé à la Russie en commercialisant le pétrole et le gaz russes. La Russie réalise de nouveaux investissements en Turquie pour étendre son réseau d’exportation de pétrole et de gaz.
Le corridor de Zangezur est un projet d'occupation international contre l'intégrité territoriale de l'Arménie.
Le corridor de Zangezur, un projet conjoint de la Turquie et de l'Azerbaïdjan, est un projet d'occupation des terres arméniennes. Le corridor de Zangezur, route Turan ou "Corridor Turan" comme l'appellent les Turcs, est un projet de voie terrestre et ferroviaire qui traversera le territoire arménien, reliera l'Azerbaïdjan au Nakhitchevan et s'unira à la Turquie.
Le corridor de Zangezur est un projet panturquiste et touraniste, des idéologies nationalistes nées au XIXe siècle, visant à renforcer les liens entre les pays musulmans turcophones et à les unir sous un même toit étatique. Cette idéologie équivaut au pangermanisme d’Adolf Hitler. Il s’agit d’un projet géopolitique visant à unir les minorités turques et musulmanes d’Azerbaïdjan, du Turkménistan, d’Ouzbékistan, du Kirghizistan, du Kazakhstan et les Tatars du Caucase et d’Asie centrale sous un seul État.
Ainsi, le seul obstacle barrant la route à l’idéologie panturquiste et touraniste : l’Arménie, non musulmane et non turque, doit être liquidée d’une manière ou d’une autre.
Avec ce corridor, la Turquie atteindra plus facilement les républiques turques de l’Asie centrale. Le corridor de Zangezur permettra au pétrole et au gaz naturel des pays de cette République panturque d'être commercialisés plus facilement et de manière plus économique dans les pays européens via l'Azerbaïdjan et la Turquie. La Route de la Soie historique permettra d’accéder à l’Europe via ce corridor, il éliminera également les frontières entre l'Iran et l'Arménie.
Le mot «corridor» n'est pas mentionné à l'article 9 de l'accord signé entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan le 10 novembre 2020, sous l’égide de la Russie. Alors que le texte de l'accord mentionne l'ouverture des routes et des voies de chemins de fer qui assureront le transport entre l'Azerbaïdjan et la région autonome du Nakhitchevan, cet article 9 déclare également : « Le contrôle des transports sera effectué par les organes du Service de protection des frontières, du Service fédéral de sécurité de la Fédération de Russie.»
C'est l’un des articles les plus dangereux de l’accord : Pourquoi la sécurité des chemins de fer et des voies terrestres passant par l’Arménie, pays indépendant, est-elle transférée à un autre pays ? Dans quel pays et quelle région du monde une telle pratique existe-t-elle ? Quel pays au monde dispose d'un couloir de transit spécial sur le territoire d'un autre pays et dont la sécurité est gérée par un autre pays ?
Nous avons mentionné ci-dessus comment les soldats de maintien de la paix russes assuraient la sécurité du couloir de Latchine. Ici, les agneaux sont littéralement confiés aux loups.
Si les relations entre l’Azerbaïdjan, la Russie et la Turquie perdurent ainsi, elles constitueront à terme une menace non seulement pour la région, mais aussi pour l’Europe et le Moyen-Orient.
Bien entendu, les relations que je tente de résumer ici sont bien plus profondes et d’autres acteurs doivent également être pris en compte.
La cible au centre de cet enchevêtrement de relations c'est le peuple arménien et celui d’Artsakh. Ni l’Arménie, ni l’Artsakh ne sont en mesure de défendre leurs propres intérêts auprès des autres acteurs régionaux et européens, que ce soit sur le plan économique, politique, stratégique ou culturel. Dans notre monde d’aujourd’hui, les relations internationales sont déterminées par les richesses militaires, économiques, politiques, diplomatiques, naturelles et par la situation géopolitique.
Il est possible de résister à ces forces égoïstes et à ces machines de guerre grâce à des politiques honorables et déterminées. Nous ne devons pas oublier qu’il y a toujours deux mondes : celui qui l'entraine vers le désastre pour servir ses objectifs et intérêts impérialistes, et celui des peuples et des nations honorables qui y résistent. Hitler, Mussolini, Pinochet, Saddam, etc. ont entraîné le monde vers le désastre. Tout comme ces derniers ont été jetés dans les poubelles de l’histoire, la fin d’Aliyev, d’Erdogan, de Poutine et d’autres connaitra la même issue.
Artsakh: siège et occupation sans fin
Le génocide et les attaques contre les peuples d’Arménie et d’Artsakh se poursuivent depuis des années. Nous ne devons pas oublier les acteurs en coulisse de ce siège et de cette occupation que sont Aliyev, Erdoğan et Poutine. Sans leur soutien matériel, politique, militaire et diplomatique, il ne serait pas possible qu'ils continuent.
En raison notamment de la guerre en Ukraine ainsi que de la crise énergétique et des intérêts économiques que l'Azerbaïdjan représente à leurs yeux, de nombreux pays européens approuvent silencieusement sa politique agressive. Nous ne devons pas oublier la corruption et les autres activités illégales menées par la société pétrolière et gazière azerbaïdjanaise SOCAR en Europe.
Selon des documents confidentiels divulgués, il a été établi que l'administration Aliyev a distribué des pots-de-vin d'une valeur de plusieurs milliards de dollars à diverses institutions, notamment aux parlementaires américains et européens. Le nom de ces opérations de corruption qui visent à dissimuler les violations des droits de l'homme en Azerbaïdjan et les crimes contre l'humanité commis par Aliyev contre le peuple d'Artsakh, est connu dans l'opinion publique mondiale sous le nom de diplomatie du caviar. Cette diplomatie de la corruption est encore l’une des raisons pour lesquelles les pays européens et les États-Unis restent silencieux face aux crimes contre l’humanité commis par Aliyev.
Le siège européen de la société pétrolière et gazière SOCAR sise en Suisse emploie plus de 800 collaborateurs et exploite également plus de 200 stations-service en coopération avec la société Migros.
Les relations économiques et diplomatiques entre la Suisse et l'Azerbaïdjan ont une dimension très étendue et la Suisse fait face à une responsabilité historique. Soit elle approuvera tacitement le génocide du peuple arménien en raison ses propres intérêts économiques, soit son gouvernement prendra des mesures pour stopper ce génocide. Ces remarques sont également valables pour les relations Turquie-Suisse. Encore une fois, la Suisse a le pouvoir et les moyens de prendre les devants pour mettre fin à ce génocide.
Dans la guerre qui a été enclenché le 27 septembre 2020 et qui a duré 44 jours, la situation n’était pas différente, elle était même pire. Un peuple était en train d'être génocidé par une horde de barbares sous les yeux du monde entier. L’inaction des pays, des peuples et des institutions internationales continue d’approuver les massacres. Il suffit de regarder les déclarations des pays européens, des États-Unis, des Nations Unies, de l'OTAN, de l'Union européenne, du Conseil de l'Europe, de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, des institutions internationales et d'autres pays du monde, pour comprendre leurs réactions et leurs intentions.
Quand il s’agit de l’Arménie et du peuple arménien, l’attitude dominante est un silence complet et des réactions peu sérieuses. Hormis la rhétorique de quelques pays, nous n’avons assisté ni à aucune sanction économique, ni à de sérieuses réponses diplomatiques contre ces forces agressives. Comme si l'on disait aux assaillants: « Allez-y, messieurs, la victime est à vous, vous pouvez la massacrer comme vous le souhaitez ».
Le Conseil de sécurité des Nations Unies est le symbole d'un désespoir total: « Laissez passer l'aide humanitaire», a-t-il déclaré. La justification diplomatique en est la suivante: « La guerre continue, mais l’aide humanitaire doit continuer ». En d’autres termes, une décision approuvant le blocus et l’occupation.
La Cour internationale de justice des Nations Unies a ordonné à l'Azerbaïdjan d'ouvrir immédiatement le couloir de Latchine et cette décision est internationalement contraignante. Mais il n’existe aucun mécanisme de sanction pour la mettre en œuvre, tout comme celles des Nations Unies. Les réactions manifestées à l'unisson par l'Union européenne, le Conseil de l'Europe, de nombreux pays et institutions internationales se limitent à l'ouverture d'un couloir d'aide humanitaire et s’expriment dans un discours de très bas niveau. Pas un pour cent des réactions économiques, politiques et diplomatiques, des embargos mis en place et de toutes les sortes de solidarité manifestées vis-à-vis de la guerre Ukraine-Russie n'ont été repris pour l'Artsakh et l'Arménie. Cela a une fois de plus révélé la double politique trompeuse de l’Europe et des États-Unis. L’humanité est une fois de plus témoin de la façon dont ces forces sacrifient des personnes pour leurs propres intérêts économiques.
L'acceptation du statut politique de l'Artsakh par tous les acteurs de la région est une étape positive pour l'humanité. L’Azerbaïdjan devrait alors immédiatement se retirer des terres occupées d’Artsakh et mettre fin à sa politique agressive. Aliyev exprime clairement sa véritable intention: « 120 000 Arméniens vivent en Artsakh. Soit ils acceptent notre existence et notre souveraineté, soit nous les détruisons. Nous amènerons et installerons ici nos propres citoyens». Il entend changer la structure démographique de la région en sa faveur, en colonisant les terres occupées par les groupes djihadistes envoyés de Syrie par la Turquie lors de la guerre d’Artsakh, et faire de la région un centre islamiste et djihadiste extrémiste.
Dans notre histoire très récente, nous avons été témoins de meurtres et de massacres commis par ces groupes djihadistes, notamment en Syrie, en Irak, en Libye et dans de nombreux pays du monde. Les dernières nouvelles et images de Syrie montrent comment ils ont brutalement assassiné de jeunes Kurdes en pleine rue. Le fait qu'ils parlent facilement turc entre eux témoigne de la présence de Turcs dans ces groupes. C'est un fait remarquable que je ne veux passer sous silence.
Chaque fois qu’Erdoğan menaçait des pays européens, des attaques sanglantes étaient perpétrées par des djihadistes dans des villes européennes quelques jours ou quelques semaines plus tard.
Ces groupes qui ont été utilisés contre le génocide du peuple arménien lors de la guerre d’Artsakh n’ont pas été renvoyés dans les pays d'où ils ont été amenés par la Turquie, car leur mission n’était pas encore terminée. Les raisons pour lesquelles ils se sont installés sur les terres arméniennes occupées par l’Azerbaïdjan et la Turquie sont de confisquer les terres et les biens arméniens, d’exiler le peuple arménien en le menaçant systématiquement et le séparer de force de ses terres ou de l’utiliser dans de nouvelles guerres génocidaires.
En soumettant à votre réflexion, je voudrais souligner que nous ne voulons même pas penser aux meurtres que ces groupes djihadistes commettront contre le peuple arménien non musulman, eux qui massacrent brutalement le peuple musulman, notamment au Moyen-Orient.
Les groupes djihadistes continuent de constituer une menace non seulement pour le peuple arménien mais aussi pour l’humanité, et tous les pays et tous les peuples doivent agir afin de ne pas approuver les crimes contre l’humanité en gardant le silence.
Avec ces pensées et déclarations, Aliyev admet également que l’Artsakh appartient aux Arméniens. L'histoire humaine et le patrimoine montrent que ces terres sont la patrie des Arméniens depuis des milliers d'années et qu'aujourd'hui, les habitants de ces terres sont les Arméniens. Aujourd'hui, l'Artsakh est soumis à un siège et à une occupation internationale, causés principalement par la faute d'Aliyev, d'Erdoğan, de Poutine, des pays de l'UE, des États-Unis de l'OTAN, des Nations Unies, du Conseil de l'Europe, de l'Union européenne, des institutions internationales et des centaines de millions de personnes silencieuses. Les criminels paieront un jour le prix des crimes qu’ils ont commis.
Demir SÖNMEZ, Genève, Septembre 2023