Dans une tribune libre parue ces derniers jours dans CF2R, la revue du "Centre Français de Recherches sur le Renseignement", Philippe Raffi Kalfayan, ancien Secrétaire général de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme, plaide pour un principe de neutralité positive de l’Arménie qui pourrait contribuer à garantir son intégralité territoriale et faciliter le retour des Karabakhtsis sur leur terre .
Ancien Secrétaire général de la Fédération Internationale des Droits de l’Homme, juriste-consultant en droit international public, Philippe Raffi Kalfayan est également chargé de cours et chercheur associé au Centre de recherche sur les droits de l’homme et le droit humanitaire à l'université Paris 2 Assas. Il a joué un rôle de premier plan dans les réformes institutionnelles de la justice en République d’Arménie de 1998 à 2013, en particulier à celle de la profession d’avocat.
POUR UNE NEUTRALITÉ POSITIVE DE L’ARMÉNIE
Par Philippe Raffi Kalfayan
L’actualité internationale témoigne des injustices flagrantes et de la fin d’un ordre juridique international construit à la suite des catastrophes et atrocités humaines de la Seconde Guerre mondiale. Les grands États comme les Etats-Unis, la Russie, la Chine, par leurs actes ont lentement mais sûrement neutralisé les principes du droit international en ne les respectant pas. Ils ne sont pas les seuls. Israël, par exemple, s’est toujours considéré au- dessus du droit international depuis son occupation des territoires palestiniens1. Il n’existe plus d’égalité entre les États et entre les hommes. Le déclin des droits de l’homme et des principes du droit international n’est pas récent mais la crise grave est arrivée. Les catastrophes du Karabakh et de Gaza en sont des premières conséquences.
Il convient d’analyser la perspective des défis stratégiques posés à l’Arménie et à la nation arménienne à la lumière des événements et des mutations en cours. L’article expose les raisons pour lesquelles l’Arménie devrait adopter une stratégie diplomatique de neutralité avec ses différents partenaires internationaux, et quels sont les défis juridiques et politiques immédiats auxquels elle doit faire face.
Le désastre annoncé de l’épuration ethnique du Haut-Karabakh est devenu réalité
Dans un article écrit fin janvier 2022, « Autodétermination du Haut-Karabakh : un pronostic engagé ou réservé ? »2, je concluais que la seule solution réaliste « pourrait s’inspirer de l’expérience de la Mission d’administration intérimaire des nations unies au Kosovo (MINUK). La Russie administrant déjà de facto la sécurité et la police sur les territoires contestés, il conviendrait qu’un mandat lui soit confié par le Conseil de sécurité. Cette solution aurait l’avantage d’apaiser les tensions immédiates, de donner du temps à des discussions sur le futur statut, de permettre un retour contrôlé des familles arméniennes et azerbaïdjanaises déplacées dans leurs foyers, et d’observer le comportement des communautés les unes envers les autres. La République du Haut-Karabakh devrait profiter de ce répit pour démontrer sa capacité de gouvernement autonome. L’Azerbaïdjan devrait utiliser ce temps pour mettre fin à sa politique de haine et de discrimination raciale institutionnelles. Cette étape transitoire serait longue mais inévitable pour rétablir la confiance entre les deux populations ».
Il était précisé que la mise en œuvre d’une telle solution dépendait de trois facteurs : l’assentiment de tous les protagonistes, la résolution des problèmes de gouvernance en Arménie et l’évolution de la situation géopolitique régionale.
Le déclenchement de la guerre en Ukraine et l’avènement d’une nouvelle guerre par procuration entre le bloc occidental (États-Unis, Canada, Europe) et le bloc oriental (Russie, Chine, Iran) ont précipité l’épuration ethnique de la population arménienne du Haut- Karabakh. La région s’est vidée de ses habitants en un temps record, sans résistance.
L’abandon du Karabakh était un scénario écrit et prévu depuis les accords de Prague. La Russie, Les États-Unis, la France et la Turquie ont poussé l’Arménie à abandonner l’Artsakh. Il est regrettable que l’attaque du 19 septembre 2023 ait coûté de nouvelles vies. Il est probable, ironie de l’histoire, que ce soit le Président turc en personne qui ait prévenu Nikol Pashinyan de cette agression le 11 septembre lors de leur conversation téléphonique, sans que nous sachions s’il existe une contrepartie.
Chercher des coupables et se renvoyer des responsabilités n’est pas une priorité. Il existe des problèmes objectifs de gouvernance et de respect des règles de l’État de droit en Arménie (prisonniers politiques, contrôle des pouvoirs judiciaire, législatif et exécutif par un parti unique). La diaspora est également responsable de la situation créée par sa passivité et son indifférence à la situation politique intérieure et son positionnement victimaire. Les dangers d’une absence de concorde nationale et de stratégie globale dans un environnement extérieur menaçant étaient anticipés3.
L‘accord de cessez-le-feu du 10 novembre 2020, qui allait bien au-delà des conditions de cessation des hostilités, aurait dû être discuté au Parlement, seule instance habilitée à ratifier les accords internationaux. Cette violation du droit constitutionnel vient aussi de se produire en Artsakh (Haut-Karabakh) : le Président Shahramanyan a dissous la République autoproclamée sans en référer au Parlement ou au peuple4. Quelles que puissent avoir été les circonstances et la pression extérieure, le décret qu’il a émis est anticonstitutionnel et n’a aucune portée juridique.
La sécurité de l’Arménie est-elle pour autant garantie ?
Ce territoire ancestral authentiquement arménien a été sacrifié par l’Arménie pour des hypothétiques garanties de sa propre sécurité nationale et de son intégrité territoriale. Les dirigeants de la République d’Artsakh n’ont en parallèle rien entrepris de sérieux au plan diplomatique et ont démontré leur incapacité à s’imposer comme une entité politiquement autonome. Un plan présenté fin mars 2023, constitué de plusieurs étapes faisait sens : le peuple menacé pouvait saisir directement le Secrétaire général des Nations Unies pour demander au Conseil de sécurité des mesures de protection. Ce plan a été négligé.
Le changement radical de la situation sur le terrain (il n’y a plus d’Arméniens au Haut- Karabakh) rend la mise en œuvre de ce plan aléatoire, mais il reste valable sur le plan juridique. Sa première étape n’est plus la prévention de l’épuration ethnique mais le droit au retour des réfugiés du Haut-Karabakh sous protection internationale. Tous les efforts juridiques et diplomatiques devraient se concentrer sur cet objectif. La priorité doit être l’obtention d’une résolution par le Conseil de sécurité des Nations Unies actant le droit au retour des populations arméniennes d’Artsakh sur leur territoire sous une administration et protection provisoires des Nations Unies, ainsi que la libération de tous les prisonniers de guerre et politiques détenus en Azerbaïdjan.
Le rapport de force psychologique entre les négociateurs des deux parties était inégal depuis 2020. Il l’est encore plus aujourd’hui. La mise en place d’un gouvernement d’union nationale est vitale car la séquence à venir va être encore plus critique pour l’avenir de la nation arménienne. Il est maintenant question d’une possible atteinte soit à la souveraineté de l’Arménie, soit à son intégrité territoriale.
Les travaux de construction des voies et moyens de communication dans le Syunik sont engagés. L’enjeu est de savoir qui conservera le contrôle du territoire et supervisera la sécurité de ces voies de communication. L’Azerbaïdjan ne fait pas mystère de ses ambitions territoriales sur l’Arménie, l’Iran défend l’intégrité territoriale de l’Arménie, la Russie, échaudée par les accents antirusses de l’exécutif arménien, pourrait se passer de l’Arménie, et un rapprochement d’Erevan avec l’Occident se ferait en faveur et sous le contrôle de la Turquie. Le facteur déterminant sera le contexte international.
Le contexte international et l’affaiblissement de la Russie
La Russie est empêtrée dans le conflit ukrainien. Elle a voulu apaiser les appétits turcs et azéris sur le Caucase du Sud pour ne pas ouvrir un second front, tout comme le pouvoir stalinien avait conduit la même politique il y a cent ans en transférant le Karabakh arménien à la RSS d’Azerbaïdjan pour apaiser les conflits interethniques.
Si les Arméniens du Karabakh ne retournent pas chez eux, la perte de territoire sera fatale aux Arméniens mais aussi à la Russie : l’Azerbaïdjan serait légitime à demander le retrait des troupes russes de maintien du cessez-le-feu. À long terme les ambitions néo- impériales de la Turquie au Caucase et en Asie centrale, qui sont affirmées haut et fort, scelleront le sort de la Russie dans ces régions : le budget de défense de la Turquie en forte expansion (+150% en 2024), tout comme le réarmement généralisé dans tous les pays de l’OTAN sont des signes annonciateurs de tensions accrues.
Les États-Unis, la France et l’Union européenne ont promis sécurité et protection à l’Arménie. Sans armée sur le terrain, ces promesses n’ont aucune valeur. Le Premier ministre arménien maintient son projet de signature d’un accord de paix avec l’Azerbaïdjan d’ici à la fin de l’année 2023. Il espérait obtenir un premier engagement de Bakou lors du sommet européen de Grenade, le 5 octobre. Le Président Aliyev ayant obtenu l’évacuation des Arméniens d’Artsakh ne se précipite plus pour signer le traité de paix : il ne s’est pas rendu à Grenade. Il est maintenant dans son intérêt de faire grimper les enchères.
L’Azerbaïdjan et la Turquie attendront leur heure et préfèrent concrétiser un tracé alternatif d’une voie de communication qui passe le long de la frontière côté Iran. Cela crée une pression supplémentaire sur l’Arménie pour qu’elle concède le passage sur son territoire, le « corridor du Zanguezur ». Le principe d’un schéma d’intégration régionale (format 3+3 : Arménie/Géorgie/Azerbaïdjan + Turquie/Russie/Iran) semble satisfaire tous les protagonistes sauf la Géorgie.
L’Arménie sera-t-elle sacrifiée ?
Si tous les Occidentaux et la Turquie visent un objectif commun, celui d’éliminer la Russie de la région du Sud Caucase, ils ont des positionnements différents par rapport à l’intégrité territoriale de l’Arménie. La France est peu claire sur ses objectifs, même si elle se fait le champion de l’Arménie. Il n’en est pas de même pour les États-Unis dont la politique dans la région, tout comme au Proche et Moyen-Orient est dictée par Israël (toute personne qui veut comprendre ce qui se passe dans la région doit lire ou relire le best-seller de John J. Mearsheimer et Stephen M. Walt : Le Lobby pro-israélien et la politique étrangère américaine5).
La prochaine cible d’Israël est l’Iran. Cela vient d’être confirmé par Netanyahu et les militaires de haut rang mais aussi par l’administration américaine. La machine médiatique israélienne vise à convaincre que l’Iran est le véritable architecte de l’attaque du Hamas (une affirmation qui n’est confirmée ni par le Pentagone ni par le secrétaire d’État Blinken). En 2002, ce sont les néo-conservateurs (John Bolton en tête) qui ont convaincu George W. Bush que l’Irak disposait d’armes de destruction massive (ce qui était notoirement faux) pour justifier l’invasion militaire6. Les lobbys pro-israéliens ont tous discrètement mais efficacement soutenu cette version7.
La stratégie pour parvenir à déstabiliser l’Iran repose sur l’Azerbaïdjan. Ce dernier a un double intérêt : circuler librement au sud de l’Arménie et réunir les peuples azéris du Nakhitchevan et du Nord-Ouest iranien au reste du pays. L’intérêt pour Israël est également double : couper le lien géographique de l’Iran avec l’Arménie pour l’isoler et soulever les populations azéries d’Iran pour désintégrer ce pays et neutraliser son influence régionale (Syrie, Liban, Gaza).
Au titre de son partenariat stratégique avec l’Azerbaïdjan, Israël s’est rendu complice de l’entreprise criminelle de nettoyage ethnique de la population arménienne du Karabakh, non seulement en fournissant les armes de haute précision mais aussi en conseillant sa méthode éprouvée (établissement de points de contrôle, stratégie de siège, expulsion forcée, arrestation des dirigeants, colonisation à pas forcés des territoires nouvellement conquis pour créer une situation de fait accompli et de non-retour possible des déplacés).
Le discours antirusse de certains cercles arméniens n’est pas sans rapport avec la coopération établie avec des groupes néoconservateurs extrêmes (John Bolton), l’American Enterprise Institute et les sionistes chrétiens. Ces groupes poursuivent des objectifs contraires à la sécurité et à la souveraineté de l’Arménie car l’Iran est leur cible.
D’autres en Arménie et en diaspora ont la vision angélique d’un Occident qui viendrait protéger l’Arménie en cas d’attaque turco-azerbaïdjanaise. Ils font la même erreur de calcul qu’à la fin du XIXe siècle (après le traité de Berlin de 1878), à la veille du génocide des Arméniens de 1915, jusqu’au retrait des forces alliées de l’Empire ottoman en 1922. À supposer que cette hypothèse existât, le temps de réaction des puissances serait opérationnellement trop long, étant donné l’exiguïté du territoire arménien et l’existence de deux fronts.
L’Occident ne s’engagera pas militairement. Il n’en a pas la volonté. Il convient de rappeler comme exemples que Chypre est occupée par la Turquie depuis 1974, que la Crimée, l’Ossétie du Sud, l’Abkhazie et la Transnistrie sont passés sous contrôle de la Russie ces quinze dernières années. Certaines régions de l’Ukraine risquent d’être abandonnées à la Russie si un accord intervient entre Russes et Américains.
La France a pris la décision d’engager une coopération militaire : fourniture de moyens défensifs et formation des personnels militaires. Ces moyens ne seront pas opérationnels avant un certain temps, celui nécessaire pour qu’une armée assimile une nouvelle doctrine militaire, intègre de nouvelles armes dans son dispositif de défense et forme ses personnels. L’Azerbaïdjan continue à acheter de nombreux armements et a les moyens de ne pas être rattrapé dans cette course.
Pour un rééquilibrage des relations entre l’Occident et la Russie
Il existe une amertume certaine dans tous les cercles politiques en Arménie comme en diaspora quant au fait que la Russie a failli dans son rôle de protecteur des Arméniens. Ce fait est incontestable mais il convient de rappeler plusieurs autres éléments qui nuancent ce point de vue.
- Premièrement, il est trop facile de dire que la Russie a abandonné le Haut-Karabakh. L’Arménie n’a jamais reconnu la République d’Artsakh et a validé sa réintégration à l’Azerbaïdjan.
- Deuxièmement, les mandats des forces de maintien de la paix ou d’interposition incluent rarement l’usage de la force militaire contre les parties belligérantes. L’exemple le plus tragique fût le manquement des forces d’interposition des Nations Unies à prévenir le génocide des Bosniaques de Srebrenica par des groupes paramilitaires serbes.
- Troisièmement, l’Arménie ne peut pas prendre le risque de s’affranchir totalement de la Russie dans une période de turbulences régionales et internationales aussi aigües. Son économie dépend à plus de 50% de la Russie (système bancaire et exportations), les approvisionnements énergétiques sont à 100% sous le contrôle de la Russie. La centrale nucléaire et l’exploitation des mines sont également sous contrôle russe. Ses frontières sont toujours gardées par la Russie et des accords de coopération militaire de long terme ont été signés en 2010 et 2013. Se séparer totalement de la Russie aujourd’hui c’est remettre les clefs de l’Arménie à la Turquie. Une présence russe permet de repousser les échéances, le temps pour l’Arménie de se renforcer sur le plan militaire et d’élaborer une nouvelle stratégie diplomatique.
Quatrièmement, il convient d’être plus mesuré sur ce qu’il va finalement ressortir des crises internationales en cours. Il ne faut pas négliger les effets de la faillite morale des Occidentaux (États-Unis et Européens), la violation des valeurs qu’ils prétendent défendre, la destruction de l’ordre public international et la contestation de l’hégémonie occidentale, principalement étasunienne, par le reste du monde.
L’Occident perd sa légitimité morale
La Russie est-elle moins fréquentable que les Etats-Unis sur le plan des violations du droit international ? La guerre entre la Russie et l’Ukraine fait figure de guerre équilibrée en comparaison avec la guerre totalement asymétrique et la réponse militaire disproportionnée d’Israël à Gaza. Le Hamas a commis des actes terroristes aveugles, ce qui constitue une erreur fondamentale et un acte condamnable. La population civile prise au piège est la principale victime. La jeunesse palestinienne est désespérée car elle toujours vécu dans des conditions de siège, d’humiliation, de bombardement, et on ne lui offre aucune perspective politique. Elle préfère mourir en résistant. L’influence du Hamas est née de la politique intentionnelle d’Israël consistant à rejeter toute solution diplomatique reposant sur le principe de deux États, sur les bases des frontières d’avant 1967. Israël a systématiquement saboté toutes les entreprises allant dans ce sens, affaibli ou éliminé ceux qui auraient pu négocier un plan de paix. Le siège de Gaza qui dure depuis seize ans (ce territoire était déjà une prison à ciel ouvert car la frontière avec l’Égypte est sous contrôle israélien) a renforcé le Hamas.
La religion n’a rien à voir avec les racines du conflit. Les desseins sont avant tout nationalistes et les ambitions sont territoriales : la destruction en cours de Gaza a deux objectifs : le premier est de détruire les infrastructures apparentes et souterraines du Hamas ; en procédant ainsi, le territoire devient inhabitable et cela contraint sa population palestinienne à le quitter : une seconde Nakba8 est en cours. L’annexion du territoire est donc le second objectif d’Israël.
Le parallèle entre les processus de déplacement forcé des populations natives d’’Artsakh et de Gaza est saisissant. Mais dans leur mise en œuvre, celle des présidents Erdogan et Aliyev pourrait presque valoir à ces derniers la qualification d’humanistes.
La France, l’Europe et les États-Unis portent une lourde responsabilité politique, morale et juridique dans les conflits du Haut-Karabakh et de Gaza. Ils sont complices des crimes commis : nettoyage ethnique et violation du droit international humanitaire. Il s’agit de violations graves de normes impératives du droit international. L’application arbitraire des règles du droit international n’a jamais été aussi criante.
Nous assistons en plus à une répression sans précédent des droits et libertés civils et politiques au niveau intérieur : interdiction des rassemblements en soutien à la population et à la cause palestiniennes et arrestations des manifestants ; l’assimilation de la critique de l’État d’Israël à de l’antisémitisme a franchi un nouveau palier. Les étudiants et les professeurs sont menacés d’expulsion dans leurs universités, en raison des pressions faites par les donateurs9.
La restructuration de l’ordre international aura bien lieu et il n’est pas certain que les États-Unis et les Européens en sortiront vainqueurs car leur légitimité morale s’effondre et le ressentiment à leur encontre augmente; leur endettement public abyssal les obligera à cesser le financement des guerres menées par leurs alliés permanents ou de circonstance ; leur politique désastreuse en Afrique, Asie et au Moyen-Orient déclenche des crises et augmente le flux des migrants vers l’Europe, ce qui va accroître les tensions politiques et sociales au sein des États européens et favoriser un recentrage politique vers la droite extrême.
Aussi, certaines déclarations pro-américaines en Arménie mériteraient d’être plus nuancées. Le Premier ministre, d’habitude provocateur, critique la Russie mais de manière objective et mesurée car il ne ferme pas la porte à un dialogue constructif. Le silence de l’opposition ces derniers mois et sa résignation devant l’évacuation forcée du Karabakh serait-il le signe d’un consensus politique national ?
Il est soutenu qu’en l’état actuel du contexte régional et international et de la faillite morale de l’Occident, l’Arménie ne devrait pas renoncer à une politique équilibrée de ses relations avec le bloc oriental (Russie, Iran, Inde, Chine) et les puissances occidentales (Europe, France, Canada, États-Unis) et devrait au contraire élaborer une stratégie de neutralité positive si elle souhaite conserver son intégrité territoriale et préserver les chances de retour des Arméniens en Artsakh. L’abandon du Sud de l’Arménie serait la fin de l’Arménie, car la population arménienne, déjà en proie à une forte émigration10, ne verrait plus de futur viable.
NOTES :
1 Le système des Nations Unies a adopté plus de 100 résolutions condamnant Israël depuis 1947. Elles sont restées lettres mortes. La dernière date du 27 octobre 2023. https://press.un.org/fr/2023/ag12548.doc.htm
2 Philippe Raffi Kalfayan, « Autodétermination du Haut-Karabakh : un pronostic engagé ou réservé ? » in Haut-Karabakh, le Livre Noir, sous la direction d’Éric Denécé et Tigrane Yégavian, Ellipses, Paris, 2022.
3 Voir la collection d’articles de l’auteur sur ce sujet dans l’Armenian Mirror : https://mirrorspectator.com/author/philippe/page/2/
4 Selon la Constitution de la République d’Artsakh, seul un référendum populaire ou le Parlement peut décider de la dissolution de la République d’Artsakh
5 Ces deux éminents universitaires expliquent de manière très documentée comment ce lobby a influencé les Etats-Unis pour détruire les États arabes les plus hostiles les uns après les autres, sans se préoccuper des intérêts nationaux américains à long terme. Cet aveuglement étasunien se poursuit en ce moment même au point qu’ils sont ouvertement complices des crimes commis contre le peuple palestinien de Gaza.
6 La Découverte, Paris, 2007, pp. 262-263.
7 Ibid., pp. 264-267.
8 Nakba est un mot arabe qui signifie « grande catastrophe ». Entre 1947 et 1949, environ 800 000 Palestiniens ont été chassés de leurs terres par les forces israéliennes.
9 Ken Roth, l’ancien directeur fondateur de Human Rights Watch s’était vu refuser une charge d’enseignement à Harvard en raison de ses positions sur la politique d’Apartheid d’Israël. https://www.nytimes.com/2023/01/19/arts/harvard-israel-antisemitism-roth...
10 Le rapport d’experts sur les questions démographiques, présenté à la Convention « Future Armenian » en mars 2023 à Erevan, indique qu’au rythme actuel de dépopulation, la population arménienne atteindrait 1,9 million en 2050 et 1 million en 2100.
Source : CF2R