Le 23 octobre, le ministre français des Armées, Sébastien Lecornu, a officiellement annoncé la vente d'un certain nombre d'armes à l'Arménie. Il s'agit d'armes purement défensives destinées à protéger l'intégrité territoriale de la République d'Arménie, ainsi que l'inviolabilité de son espace aérien. Erevan a signé un contrat avec la société française Thales, ainsi qu'une lettre d'intention avec le fabricant européen de missiles MBDA.
Par Tigrane Yegavian
Le contrat porte sur l'achat de trois radars Ground Master (GM200) de Thales, a déclaré M. Lecornu lors d'une conférence de presse avec son homologue arménien, M. Suren Papikyan, sans révéler le montant de la transaction. Ce radar à moyenne portée, déjà fourni à l'Ukraine, « offre des capacités de détection remarquables », a déclaré M. Lecornu. Il peut détecter les avions ennemis à 250 km, qu'ils volent à faible vitesse et à basse altitude, comme les drones, ou à haute altitude, comme les avions de combat.
La France a également accepté de former des officiers et sous-officiers de l'armée arménienne et d'étendre sa coopération militaire dans les domaines du combat en montagne et du tir de précision.
En bref, la France donnera à l'Arménie les moyens de se défendre. D'où la déclaration de Lecornu : « se défendre et défendre sa population ». Mais sommes-nous entrés dans une nouvelle phase des relations franco-arméniennes ? Il ne fait aucun doute que la France, amie de longue date de l'Arménie, a fait preuve d'une solidarité sincère avec la nation arménienne pendant la guerre de 44 jours. En 2021, le Parlement français a adopté une résolution demandant au gouvernement de reconnaître la République d'Artsakh. Au cours des trois dernières années, le nombre de visites de hauts responsables politiques français en Arménie n'a cessé de croître. Mais est-il approprié de qualifier la France d'alliée, étant donné que le terme « amitié », aussi sincère soit-il, n'a pas de traduction dans le langage des relations internationales ?
Quel type d'architecture de sécurité ?
Tout porte à croire que le contexte créé par le conflit en Ukraine est en train de redistribuer les cartes. Ce conflit a des dimensions régionales et mondiales. Le monde est actuellement confronté à une triple crise dans les périmètres euro-méditerranéen et caucasien. L'invasion de l'Ukraine par la Russie a sans aucun doute ouvert la porte à l'agression finale de l'Azerbaïdjan sur l'Artsakh et à l'anéantissement de cette république non reconnue, ainsi qu'à l'agression du Hamas contre Israël. Cette situation est symptomatique d'un vide sécuritaire causé par l'absence d'un arbitre, d'une puissance d'équilibre. Face à cette multiplication de crises simultanées, l'absence de puissance hégémonique génère une vague de déstabilisation qui profite aux acteurs régionaux de moindre importance. Ainsi, l'Azerbaïdjan a largement le temps de lancer une offensive aux frontières de l'Arménie, sachant qu'un Iran préoccupé sera bien trop occupé à faire face à la menace d'une opération punitive américano-israélienne. Cet enchevêtrement de crises, ou encore « linkage politics » comme l'appelle le politologue américain James Rosenau, théorise la logique des liens entre différentes crises (liens « pénétrants », liens « réactifs »), démontrant l'évidence d'un effet de contagion et de communication.
En Arménie, la France est considérée comme une bouée de sauvetage, les dirigeants arméniens ayant pris note de l'abandon par la Russie de toute garantie d'assistance militaire. Paris en est conscient, d'où son intention de sécuriser le territoire arménien avec des moyens qui, bien que limités, pourraient jeter les bases d'une nouvelle architecture de sécurité pour Erevan.
Il est clair que cette assistance ne résoudra pas tous les problèmes urgents et existentiels de l'Arménie. Le moment est mal choisi et il faudra des années pour qu'une nouvelle doctrine militaire devienne opérationnelle. Il faudra du temps pour que les officiers et les officiers de rang intermédiaire s'approprient les nouvelles techniques adaptées au terrain arménien et se confrontent à la difficulté de surveiller une frontière avec l'Azerbaïdjan qui s'est élargie de plusieurs centaines de kilomètres. Il est temps pour l'industrie de défense arménienne de se développer dans les domaines où elle peut apporter une valeur ajoutée et trouver des débouchés.
Mais la France, affaiblie par son inexorable déclin économique et dont la diplomatie peine à se faire entendre, n'est pas en mesure de contribuer à l'élaboration d'une doctrine militaire en quelques semaines, voire en quelques mois. Il est intéressant d'observer la manière dont l'Azerbaïdjan s'est imposé comme une puissance neutre et non alignée, refusant d'adhérer à toute organisation de sécurité collective, qu'il s'agisse de l'OTAN ou de l'OTSC, tout en profitant de sa position géostratégique pour faire monter les enchères le plus haut possible et s'affirmer comme une puissance armée neutre.
Dans un monde de plus en plus dangereux, où le terme d'alliance perd de sa pertinence, la France a tout à gagner à percevoir l'Arménie - une démocratie, membre enthousiaste de l'Organisation internationale de la Francophonie - comme un partenaire fiable et un pays pouvant relayer son influence dans la région, et à sortir d'une simple logique bilatérale. Il ne s'agit plus de s'aligner sur une puissance ou une autre, mais de se multi-aligner en fonction des intérêts du moment. C'est une politique que l'Inde expérimente avec succès depuis l'arrivée au pouvoir du Premier ministre Narendra Modi.
L'Arménie a tout intérêt à se positionner au cœur d'un axe géostratégique reliant la France et l'Inde, deux partenaires géostratégiques depuis les années 1960. Il faut espérer qu'à Erevan, les employés des ministères des Affaires étrangères et de la Défense prendront leurs responsabilités en mettant de côté leurs frustrations à l'égard de la Russie et en pratiquant un multi-alignement responsable. L'objectif est de faire de l'Arménie un pays neutre, armé par la Russie, la France et l'Inde.
Source : civilnet.am