
L’Arménie, enclavée et sans prédisposition particulière pour l’agriculture, ni pour l’industrie depuis la fin de l’URSS peut tirer profit de son terrain et de son histoire pour le tourisme, à la manière de son voisin géorgien. Cependant les guerres, les plaies mal refermées du tremblement de terre ainsi que la fermeture des frontières n’ont pas permis de prendre le train en marche, et ce n’est que récemment que le tourisme a décollé dans le pays. Mais désormais, à l’heure où Erevan est la prochaine ville à accueillir la COP17 sur la biodiversité, il s’agit pour l’Arménie de développer son tourisme écologique et durable, tendance dans laquelle le pays commence à prendre ses marques.
Par Mathilde Baudouin et Camille Ramecourt
D’un tourisme soviétique aux débuts d’un tourisme ouvert
Sous le régime soviétique, les habitants pratiquaient principalement le tourisme interne à l’URSS, et s'ils partaient à l'étranger, c'était sous le contrôle de la société Intourist. Les étrangers pouvaient entrer sur le territoire, mais ils étaient également sous le contrôle des autorités, qui prévoyaient les visites et ce qu’il était possible de voir. À la suite de son indépendance en 1991, l’Arménie a connu une chute massive du tourisme, en raison des conflits avec le Haut-Karabagh (1991-1994), de la fermeture des frontières avec la Turquie et l’Azerbaïdjan, ainsi que de l’effondrement économique qu’elle a subi. La diaspora a longtemps été la principale source de tourisme du pays.
À partir des années 2000, le pays se stabilise et commence à élaborer une stratégie touristique pour mettre en valeur son patrimoine, notamment ses monastères et sites religieux, en les classant au patrimoine mondial de l’UNESCO, ainsi que sa richesse environnementale, historique et culturelle. Ainsi, selon le ministère arménien du Tourisme, le nombre de touristes avoisine les 2 millions par an depuis 2019, en dehors des années marquées par la pandémie de Covid-19 et la deuxième guerre du Haut-Karabagh. Malgré ces années difficiles, cette stratégie a permis à l'Arménie de se hisser, en 2020, au sommet de la liste des pays dont le secteur touristique se développe le plus rapidement, et même de devenir un leader au sein de l'Union économique eurasienne.
« Armenia, the Hidden Track » (« Arménie, le chemin caché ») est depuis 2022 la nouvelle image de marque du pays. Pour attirer les visiteurs, le Comité du tourisme met en valeur l’aventure que l’on peut y vivre, sa culture et sa gastronomie, et insiste sur l’aspect « immaculé » de sa nature. Ainsi, si l’Arménie n’a pas pris le chemin du tourisme de masse, elle se dit prête à saisir l’opportunité de l’écotourisme, une tendance en croissance depuis les années 1990, et entend mettre en valeur son patrimoine environnemental dans le cadre de ce nouveau courant.
Les débuts d’un tourisme arménien durable
Le tourisme durable consiste à prendre en compte les besoins actuels des touristes et des régions visitées, tout en préservant l’intégrité culturelle, sociale et environnementale de ces dernières, et en développant des opportunités pour le tourisme et le territoire à long terme. Ce terme et cette tendance sont apparus au début des années 1990, soit au moment de l'ouverture de l'Arménie à son potentiel touristique.
Le pays, qui n’a pas été touché par les destructions radicales de son environnement qu’aurait pu occasionner le « surtourisme », demeure l’un des endroits d’Europe les plus intacts et les plus préservés. Le pays compte des parcs nationaux, des réserves et d’autres aires protégées couvrant plus d’un quart de sa surface.
Selon une enquête du Fonds arménien de développement territorial de 2025, la nature est la principale motivation des touristes qui choisissent l’Arménie, et les activités de plein air qu’elle permet sont l’une des raisons pour lesquelles la nouvelle vague de touristes afflue. Des opérateurs ont saisi l’occasion, comme HIKE Armenia, qui propose, depuis 2015, des itinéraires de randonnée à travers l’Arménie pour un public international, en plusieurs langues.
Proposer une offre de tourisme responsable fait partie de la stratégie nationale. La part des moins de 45 ans dans le total des touristes étant majoritaire, et l’importance qu’ils accordent au développement durable étant plus prégnante chez eux, l’écotourisme est un levier de développement incontournable.
Le nombre d'écotouristes a plus que triplé entre 2019 et 2022, passant de 8 000 à 28 000, et les revenus touristiques issus des zones protégées arméniennes ont doublé sur la même période. La construction de routes « écotouristiques » dans les zones protégées et le développement des guides soutiennent cette croissance.
Toutefois, si les dynamiques sont positives, les chiffres restent faibles, car si l’Arménie a été « épargnée » par le surtourisme, cela signifie également qu’elle n’a pas pris les codes de ce phénomène, ni bâti d’infrastructures adaptées à l’accueil de visiteurs étrangers en masse sur son territoire.
En effet, le nombre d'écotouristes, bien qu'en hausse, ne représente encore qu'une faible proportion du nombre total de touristes se rendant sur le territoire (1,7 % en 2022), et les acteurs publics reconnaissent eux-mêmes que les infrastructures constituent un défi à relever.
La répartition des infrastructures constitue également un obstacle à la création d'une offre homogène d'écocircuits à travers le pays, les 40 routes étant réparties sur seulement cinq aires protégées, alors que le pays en compte plus d'une trentaine. De plus, même si le tourisme arménien a grandi en même temps que l’apparition de l’écotourisme, la jonction des deux est encore balbutiante : l’exemple de la page de présentation de l’écotourisme du gouvernement, qui ne fonctionne pas à ce jour, en est un exemple criant.
Le tourisme responsable international en action, avis de Laurent Besson, fondateur de l’agence de voyage Vision du Monde
Créée en 1993 en France, l’agence Vision du Monde vise à développer un tourisme durable ancré dans la culture locale. En 2006, elle est devenue membre fondateur de l’Association pour le tourisme équitable et solidaire, puis a obtenu le label Tourisme équitable en 2008. L’aventure arménienne a débuté grâce à la ville de Romans-sur-Isère, jumelée à la ville arménienne de Vardenis, « qui a sollicité notre aide pour créer des voyages en Arménie », explique Laurent Besson. « Notre objectif est de proposer des voyages permettant de découvrir des cultures étrangères, en contact direct avec les habitants. Pour cela, nous privilégions les logements chez l’habitant, qui sont rémunérés », détaille-t-il.
« Nous proposons trois types de voyages en Arménie : huit jours pour découvrir les traditions arméniennes pendant la période de Pâques, onze jours pour parcourir Erevan, Dilijan, dans le nord, puis l’est, au bord du lac Sevan, avant de descendre vers le sud, vers Tatev et Goris. Enfin, un voyage de 15 jours permet de parcourir l’Arménie du nord au sud », présente Laurent Besson. Plusieurs activités consacrées à la culture arménienne sont proposées : cours de cuisine et de langue arménienne, visites de monastères et de musées.
À Vardénis, les voyageurs sont initiés « aux danses traditionnelles, au vin d’Arménie et à la taille de khatchkars (croix en bois sculptées) », énumère le voyagiste. Le défi majeur concerne la question de l’impact environnemental. En effet, « voyager a forcément un impact. Nous ne prétendons pas être à 100 % un tourisme durable ». Nous sensibilisons les voyageurs à effectuer des séjours longs et nous leur proposons de participer à la solidarité climatique par un don de 42 euros. » Sur place, « les déplacements sont limités et la marche à pied est privilégiée ».
De plus, 3 % du prix de chaque voyage sont consacrés au financement d'actions solidaires dans le pays visité. Ainsi, 23 projets solidaires ont été menés en Arménie. En 2023, une aide de 7 000 euros a été récoltée pour les familles réfugiées du Haut-Karabagh ; en 2017, l’école maternelle de Kartdjaghbyur a été rénovée pour 4 600 euros ; et en 2016, l’association des enfants handicapés de Vardenis a reçu une aide de 715 euros. L’agence s’appuie également sur des artisans et des associations locales, comme Aregouni ou Goris Women Association, en finançant certains projets que ces acteurs locaux lui soumettent.
L’écotourisme et le développement local, cercle vertueux d’avenir
L’apparition de l’écotourisme en Arménie est une tendance récente qui peut être mise en rapport avec la diversification des touristes dans le pays. La destination était connue depuis longtemps de leurs voisins, qui y trouvaient des conditions de vie plus libres (on parle de « tourisme de liberté »), mais qui restaient principalement à la capitale. Or, les écotouristes se déplacent beaucoup plus à travers les différentes régions arméniennes que les touristes « traditionnels », ce qui permet de développer les communautés plus isolées et qui bénéficient moins du rayonnement de la capitale.
L’engouement pour le tourisme écologique et durable étant nouveau pour le secteur arménien, des opérateurs étrangers, comme Vision du monde, ont été les premiers à se lancer pour répondre aux attentes de leur clientèle. Ce bénéfice mutuel pour le développement local et pour les touristes étrangers occasionne des financements et des coopérations, dont celles signées avec la France sont de parfaits exemples, les Français représentant un segment en croissance des touristes en Arménie. Cependant, l'ancrage local de cette nouvelle forme de tourisme incite les pouvoirs publics à miser sur des acteurs de terrain, en coopération ou en relais des entreprises étrangères, afin que ces derniers soient impliqués dans l'échange et en bénéficient, comme le développement durable le prévoyait finalement depuis ses débuts.