Béné-vole, qui veut du bien : beau programme ! Mais en pratique très complexe tant il est à la fois essentiel et pourtant contesté.
Par Monique Bondolfi-Masraff, présidente de KASA
Essentiel : j’aurais envie de dire que le bénévolat, c’est le poumon du monde. Pour soigner les enfants, accompagner les personnes âgées ou malades, dispenser mille coups de main afin de parer à l’imprévu. Et aussi une précieuse porte d’entrée dans la vie sociale. A preuve que de nombreuses écoles l’encouragent, voire l’imposent en fin de scolarité obligatoire, inscrivant à leur programme une expérience de ce type.
Et pourtant contesté. Que sont devenues les innombrables religieuses qui se dévouaient sans compter au chevet des malades, les célibataires dans des familles nombreuses dont le rôle était de veiller sur leurs vieux parents ou sur leurs neveux et nièces ? De multiples tâches jadis gratuites, en particulier dans le domaine de l’éducation et de la santé, se veulent aujourd’hui payantes, et cette évolution va de pair avec un besoin de plus grande justice sociale. Lié aussi au fait qu’alors que la majeure partie du bénévolat était féminin, les femmes revendiquent aujourd’hui un légitime statut d’égalité et d’indépendance. Et que dans une société de plus en plus individualiste on ne voit pas pourquoi l’on devrait se dépenser pour autrui au lieu de profiter égoïstement de ses loisirs. Le bénévolat est-il promis à une mort lente ?
Non, mais il doit se repenser pour retrouver pleinement son sens.
Première réflexion. Le bénévolat se déploie au rythme des besoins. L’immense engagement des Arméniens en automne 2020 pour soutenir soldats et personnes déplacées en est une preuve patente. Spontanément une majeure partie de la population s’est investie au-delà de ce qu’elle croyait possible… De manière organique, et non structurelle : tous sont capables de gratuité quand la nécessité devient impérieuse. Et sans prévalence de sexe : le cœur est universel !
Ceci étant, le bénévolat s’apprend et se cultive. Très tôt. Ne pouponnons-nous pas trop nos enfants, auxquels nous passons tous les caprices, au lieu de les inviter à se soucier des autres dès leur plus jeune âge ? Et ne misons-nous pas trop exclusivement sur les réussites, en particulier scolaires, au lieu d’encourager les jeunes à être créatifs, débrouillards, attentifs à leurs proches ? Ce d’autant que le bénévolat ouvre souvent des portes que la vie quotidienne laisse fermées. Il nous incite à nous impliquer dans d’autres domaines de compétences que les nôtres, à découvrir d’autres horizons, à sortir de notre zone de confort. Bref à devenir plus forts pour affronter les aléas de l’existence : une belle école de vie, et de surcroît riche en satisfactions !
Reste que le bénévolat bien compris doit rendre heureux autant celui qui s’engage que celui qui est soutenu. Faute de quoi il peut mener aux pires déviations. Nous connaissons tous des personnes apparemment toujours au service d’autrui mais aigries et qui le font payer durement, à leur environnement ou à elles-mêmes. “Il y a plus de bonheur à donner qu’à recevoir”, dit le proverbe. Certes, mais parce qu’en donnant on s’enrichit. Si l’altruisme ne traduit pas un bonheur de partager il peut vite s’altérer en acrimonie ou attente amère d’une reconnaissance qui ne vient pas….
Le bénévolat nous introduit dans le monde de la gratuité et c’est là sa vraie justification : quitter le domaine du donnant-donnant et de l’échange calculé, pour ouvrir des portails de liberté… et de relations plus vraies. C’est en tout cas l’expérience magnifique et constante que nous faisons à KASA, au-delà des inévitables crève-cœurs : laisser jaillir l’inattendu, fleur précieuse sur la rocaille d’un monde par trop quantifié…