Les récents combats constituent un défi pour le rôle de pacificateur de Moscou. Mais la Russie a-t-elle beaucoup d'options ? Alors que de nouveaux affrontements secouent le Caucase et que l'Arménie rapporte la violation de ses frontières internationales par les troupes azerbaïdjanaises, une question récurrente se pose à nouveau : Où est la Russie ?
Alors que de nouveaux affrontements secouent le Caucase et que l'Arménie rapporte la violation de ses frontières internationales par les troupes azerbaïdjanaises, une question récurrente se pose à nouveau : Où est la Russie ?
Après des heures de combats intenses le 16 novembre, qui ont fait le plus grand nombre de victimes depuis la guerre de l'année dernière, la Russie est parvenue à négocier un cessez-le-feu en fin de journée. Le 17 novembre, aucun incident violent n'était signalé.
Les responsables arméniens ont déclaré qu'une grande partie des combats se sont déroulés à l'intérieur même de leur territoire sans en spécifier la zone précise. De nombreux médias arméniens évoquent les alentours du Lac noir, "Sev Lich", dans la région du Syunik, où des soldats azerbaïdjanais ont franchi la frontière en mai dernier et y stationnent depuis.
Les nouvelles incursions frontalières ont incité l'Arménie à demander l'aide de son allié conventionnel, la Russie. Le président du Conseil national de sécurité arménien, Armen Grigoryan, a déclaré le 16 novembre que le pays faisait appel à la Russie sur la base du traité de défense mutuelle de 1997. Le lendemain, interrogé par le journal russe Kommersant qui lui demandait la nature de l'assistance souhaitée par Erevan, il répondait : « Nous sommes favorables à ce que le problème soit résolu de manière diplomatique […], mais s'il ne peut pas l'être, alors il devra être résolu militairement. » Il a ajouté en forme d'avertissement : « si une résolution n'est pas trouvée, alors nous devrons envisager d'autres possibilités. »
La réponse publique de la Russie a été sous-estimée. Le 17 novembre, le porte-parole du Kremlin, Dmitriy Peskov, déclarait que le président Vladimir Poutine avait entrepris des « efforts actifs » pour arrêter les combats, notamment en s'entretenant avec le Premier ministre arménien Nikol Pashinyan (mais pas, apparemment, avec le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev). « Grâce à ces efforts de médiation, la partie russe a pu hier contenir les parties en conflit », a déclaré Peskov lors d'une conférence de presse.
Mais les incursions répétées à la frontière de l'Arménie semblent appeler une réponse russe plus ferme. La Russie est soumise à des garanties de sécurité, tant au niveau bilatéral que par le biais de l'Organisation du traité de sécurité collective (OTSC), qui l'obligent à prendre la défense de l'Arménie en cas d'attaque.
Lors d'une réunion du Conseil national de sécurité dans la soirée du 16 novembre, Nikol Pashinyan déclarait que les forces azerbaïdjanaises avaient pris le contrôle d'environ 41 kilomètres carrés en Arménie et a imputé les combats au « silence de nos partenaires internationaux ». (Le chiffre de 41 kilomètres est utilisé depuis le mois de mai, suite à l'incursion à Sev Lich et également dans une autre région, près de Vardenis. Il laisse supposer qu'aucun nouveau territoire n'a été occupée lors de cette nouvelle série de combats, mais le ministère arménien de la défense a également indiqué de son côté qu'il avait perdu deux positions militaires dans les combats).
Si Pashinyan a pris soin de ne pas citer de noms parmi les "partenaires internationaux", d'autres ont été plus précis. « Pourquoi l'OTSC et la Russie ignorent-ils leurs engagements d'alliance envers Erevan alors que l'Azerbaïdjan mène régulièrement et ouvertement des incursions sur le territoire souverain de l'Arménie », écrit le journaliste Tatul Hakobyan. « Quelles sont les lignes rouges, s'il y en a, au-delà desquelles la Russie ne se taira plus ? » Hakobyan rapporte également, citant des sources diplomatiques anonymes, que lors de leur conversation téléphonique, Poutine a dissuadé Pashinyan de lancer un appel formel à l'aide de Moscou.
L'inaction de la Russie avait également fait l'objet de nombreuses spéculations lors de la guerre de l'année dernière. Cependant, elle était menée dans et autour du Haut-Karabakh, sur un territoire contrôlé par les forces arméniennes depuis les années 1990, mais reconnu internationalement comme azerbaïdjanais, donc non soumis aux pactes de défense mutuelle. Ces récentes incursions dans le territoire arménien proprement dit sont différentes.
Techniquement, en l'absence d'un accord bilatéral, il n'y a pas de frontière officielle entre les deux pays qui négocient actuellement la démarcation de leur frontière commune. Les deux parties sont déjà parvenues à un accord de facto fondé sur les cartes soviétiques, mais insatisfaisant au regard par exemple de la route traversant le sud de l'Arménie et coupant le territoire azerbaïdjanais en plusieurs tranches. Selon ces cartes, toutefois, Sev Lich est explicitement situé en territoire arménien.
Les troupes russes gardent certaines sections de la frontière arménienne. Durant la guerre de l'année dernière, elles ont fait une démonstration de force, bien que discrète, en installant de nouveaux postes de garde le long de la frontière azerbaïdjanaise, y compris le long de la section nord de la frontière, près de l'exclave azerbaïdjanaise d'Askipara (que les Arméniens appellent Voskepar). Il n'est toutefois pas certain que les Russes aient établi un tel poste autour de Sev Lich, qui se trouve dans une zone difficile d'accès.
Si l'Azerbaïdjan affirme que cette nouvelle série de combats a été déclenchée par des "provocations" arméniennes le long de la frontière, peu de gens prennent ce prétexte au sérieux. Les analystes azerbaïdjanais suggèrent qu'il s'agit d'une initiative de Bakou visant à forcer Erevan à signer de nouveaux accords sur la démarcation de la frontière et l'ouverture de nouvelles voies de transport transfrontalières, en complément à l'accord de cessez-le-feu de l'année dernière.
Si tel est le cas, il s'agit d'un défi direct à la Russie, qui a non seulement conclu des traités de défense mutuelle avec l'Arménie, mais qui est également cosignataire et garant de cet accord.
La Russie pourrait toutefois ne pas avoir beaucoup d'options pour répondre. « La Russie n'a aucune marge de manœuvre ici », écrit sur sa page Facebook Sergey Markedonov, analyste du Caucase à l'Institut d'État des relations internationales de Moscou. « Il s'agit du territoire arménien, pas du Karabakh. L'influence de la Turquie est beaucoup plus grande qu'il y a un an, des mouvements brusques seraient donc problématiques car ils pourraient mettre [la Russie] en désaccord à la fois avec l'Occident et Ankara."
S'il est apparu que l'Azerbaïdjan « utilisait très probablement la force comme moyen de pression sur les négociations », M. Markedonov a ajouté que « le silence est dangereux et l'espace d'information actuel n'est pas en faveur de Moscou. [...] Rester simplement silencieux et faire des déclarations optimistes n'est pas une solution ! »
Source : Eurasianet - Joshua Kurcera