Certaines vérités sont dures à entendre : l’Arménie abandonne l’Artsakh

L'édito du mois
01.04.2022

Le monde arménien est encore sous le choc de la dernière conférence de presse de Nikol Pachinian. Sans rentrer dans les détails de sa vision du développement des événements autour de l’Arménie, pourtant assez parlants, ses propos sur le futur de l’Artsakh et son rapport à l’Arménie sont graves mais reflètent parfaitement, pour ceux qui en doutaient encore, l’idée qui était dans l’air depuis 1994, sans que l’on ose l’évoquer. A savoir : la victoire de 1994 n’a jamais été véritablement consommée par l’Arménie. La partie de l’Artsakh conquise dans le but de servir de « monnaie d’échange » lors des futures négociations servait de « zone grise » pour la classe dirigeante de la république autoproclamée, et le Miatsum (« réunification ») avec la mère Arménie, pourtant clamé haut et fort dans toutes les manifestations du mouvement national qui a sonné le glas de l’époque soviétique, n’a jamais été dans les plans des générations des politiciens qui se sont succédées en Arménie et, vraisemblablement, en Artsakh. Sans parler de la corruption des deux côtés pour qui cette situation était une aubaine...

De là découlent les années d’indécision sur des mesures fortes et des négociations véritablement fructueuses qui auraient pu permettre de couper ce nœud gordien freinant le développement de l’Arménie et privant des dizaines de milliers d’Arméniens d’Artsakh de la chance de vivre rassurés sur leur terre ancestrale. Les dirigeants successifs n’ont fait que retarder la guerre, dans l’espoir que celle-ci n’arriverait pas de leurs jours, et le dernier l’a menée avec une abstraction totale de la réalité…

Aujourd’hui, nous sommes arrivés à une catastrophe, pour appeler les choses par leurs noms, qui signe la fin des revendications de l’Arménie de ses droits sur cette partie de son territoire historique, mais, ce qui est encore plus grave, qui laisse la population arménienne de l’Artsakh au bon vouloir de la Russie. Cette Russie qui, d’un côté, a sauvé les restes d’Artsakh en stoppant l’agression turco-azérie l’automne dernier, mais aussi n’a pas hésité à vendre les armes les plus modernes à l’Azerbaïdjan et à développer ses relations politico-économiques avec la Turquie.

Quelles sont les perspectives de l’avenir dans ces conditions ? La présence des forces d’interposition russes dans la région est limitée à cinq ans à compter de l’année dernière. Cela veut dire que dans quatre ans, nous allons faire face à l’un des deux scénarios possibles : 1. les militaires russes restent avec une prolongation de leur mandat, et le suspense continue ; 2. Ils se retirent, en laissant l’Artsakh rejoindre l’Azerbaïdjan (rappelons que le discours officiel de la Russie a toujours reconnu le Haut-Karabakh en tant que partie de l’Azerbaïdjan). Le premier est peu probable, du moins au vu de la situation telle qu’elle se présente aujourd’hui. Le second voudrait dire que la quasi-totalité de la population artsakhiote deviendra des réfugiés, en premier lieu en Arménie.

Les dirigeants arméniens devraient dès aujourd’hui commencer à se préparer à cette éventualité en construisant des quartiers entiers munis d’infrastructures, pourquoi pas dans les villes non-éloignées d’Erevan comme Hrazdan, Tcharentsavan, Artsachat, Masis ou autres, afin d’éviter de faire face aux dizaines de milliers de personnes démunies arrivant en catastrophe et livrés, pour la plupart, aux bons soins des volontaires, comme cela avait été le cas lors de la dernière guerre.

Ces constructions, dans le meilleur des cas, serviraient les habitants de l’Arménie, en particulier les jeunes couples souhaitant améliorer leurs conditions d’habitat. Et l’autre option, vous l’avez compris..