"Une histoire de fou" - la reconstruction du mythe

Complément spécial UFAR
Date: 
07.02.2023

Pour la première séance du Ciné-club qu'elle organisera désormais tous les mois et pour tous les publics, l'UFAR recevait un invité de prestige : le réalisateur Robert Guediguian, venu parler de l'histoire de son film sur la résistance armée arménienne, "Une histoire de fou", sorti en 2015.

Par Eugène Dantser

Le film "Une histoire de fou" est inspiré librement de faits réels et historiques, à savoir l’établissement et l’activité du groupe armé terroriste issu de la diaspora arménienne, l'ASALA (Armée secrète arménienne de libération de l'Arménie), active de 1975 à 1984 en Europe, au Liban et en Turquie. Robert Guédiguian, marseillais de naissance, d'origine arménienne par son père et allemande par sa mère, raconte avec ce film une histoire poignante dédiée à la période troublante de l’activité militante, telle qu'aurait pu la vivre une famille de la diaspora arménienne de France.

Le roman de José Antonio Gurriarán, La Bombe, qui a servi de base littéraire pour l’histoire cinématographique, place son action en France dans les années 1970-1980. Son auteur, lui-même victime et grièvement blessé suite à un attentat perpétré par l'ASALA à Madrid, consacré une partie de son œuvre journalistique et littéraire à la découverte et à la reconnaissance de la cause arménienne.

La projection du film à l'UFAR, le 2 février dernier, a donné lieu à un débat riche et animé, ouvert à tous les publics aussi bien qu'aux étudiants et au personnel enseignant. Des questions pertinentes sur le thème du film et de l’œuvre de Robert Guédiguian ont permis de révéler les divers facettes de son talent en tant que réalisateur. Robert Guédiguian se revendique comme un éternel tenant du communisme philosophique,  engagé dans les questions sociales, et ce concept culturaliste est présent dans toutes ses œuvres cinématographiques. Mais à la question d’une jeune étudiante sur le ressort personnel de ses créations, le réalisateur a avancé que ses motivations consistaient avant tout dans le besoin de "faire du cinéma", de remémorer des moments vécus et de remettre en lumière une histoire méconnue et des évènements du passé, même très anciens.

"Une histoire de fou" dont la première a eu lieu en France en 2015, l'année du centenaire du génocide des Arméniens, représentait pour lui une sorte de défi à relever dans un climat de non-reconnaissance du génocide par plusieurs pays, encore à l'époque, et de la non-repentance de la Turquie, toujours aujourd'hui. Selon les dires de Robert Guédiguian, la mémoire liée à un évènement majeur peut le faire ressurgir un siècle plus tard. C’est à cet effet qu'une longue séquence-prologue dédiée à l'exécution de Talaat Pacha par Soghomon Tehlirian a été introduite dans la trame du récit. Malgré tout, "Une histoire de fou" n’est pas un film strictement historique. Pour son réalisateur, c’est plutôt la reconstruction d'un mythe exécuté selon ce principe : « quand la légende dépasse la réalité, alors on publie la légende ».

« La jeunesse ne change jamais, elle reste toujours impétueuse, active, excessive, militante » a fait remarquer Robert Guediguian lorsqu'une étudiante lui a demandé s'il constatait des différences entre les jeunes d’antan et ceux du présent. Juste que les jeunes d’aujourd’hui ne sont plus en mesure de revendiquer ou de s'engager de la même manière que ceux du passé, a-t-il précisé.

Force est de constater que le film pose aussi un dilemme intéressant en abordant la question de la distinction entre le droit et la justice. Lors d'une dispute entre les militants qu'ils incarnent, deux des personnages du film discutent de la « justesse de l'action » et de la « justesse de notre cause ». Pour Robert Guédiguian, la justice n’égale pas le droit et la fin ne saurait justifier les moyens, citant à ce propos l'exemple d'Antigone dans la tragédie grecque. Établissant le parallèle avec la crise actuelle d’Artsakh, le réalisateur a renchérit que le droit international était une chose tandis que les frontières historiques en étaient une autre et que la distinction entre le droit et la justice porte toujours un caractère dynamique, pas statique.