Pierre Pradinas sur le plateau de l’Atelier à Erevan

Arts et culture
02.12.2021

Pour sa session du mois de novembre, l’Atelier d’art dramatique bilingue avait invité Pierre Pradinas, auteur-metteur en scène français et Directeur de la Compagnie du chapeau rouge, pour partager avec les participants son expérience riche et multiforme.

Par Lusiné Abgarian

Fondée dans les années 80 lors du festival d’Avignon, la Compagnie du Chapeau Rouge a vu grandir les comédiens du théâtre français comme Catherine Frot, Yann Collette, Thierry Gimenez et d'autres.

Parallèlement à sa riche carrière de dramaturge et de metteur en scène, Pierre Pradinas a dispensé plusieurs stages et formations dans plusieurs pays. Cette fois, il se présente en Arménie pour partager son expérience avec de jeunes artistes arméniens de l’Atelier, avec lesquels il témoigne avoir partagé une proximité sensible.

Votre chemin de metteur en scène débute avec la création de la Compagnie du Chapeau Rouge. Depuis, vous avez mis en scène des dizaines de pièces dans différents centres dramatiques. Pourriez-vous nous parler un peu de votre parcours ?

Très jeune, j’ai commencé à m’intéresser à la mise en scène avec les gens de ma génération. Nous avions envie de créer un théâtre contemporain et de travailler sur les textes de ce répertoire. J’ai fondé une compagnie avec laquelle nous avons débuté à Avignon, pendant le Festival. Notre lieu est assez vite devenu très connu au festival Off d’Avignon, car on faisait aussi de la programmation, on invitait des artistes de notre génération venus de l’étranger, des troupes polonaises, des chorégraphes venus de Norvège. Très vite, avec nos acteurs, on a pu jouer dans un théâtre national. On montait notamment des textes écrits par l’auteur Alain Gautré.

Les spectacles ont eu beaucoup de succès et on m’a proposé de diriger un centre dramatique national. Puis, pendant les années 90 j’ai été attaché à La Piscine de Châtenay-Malabry, un théâtre et une résidence d'artistes. J’y ai fait la connaissance d'acteurs comme Denis Lavant, avec qui j’ai monté plusieurs spectacles, dont "Richard III" de Shakespeare. A cette époque je mettais en scène des textes contemporains, mais aussi classiques, comme par exemple "La Mouette" de Tchékhov.

Ensuite, j’ai pris la direction d’un centre national à Limoges et la direction d’une école de théâtre devenue école nationale pendant que j’y étais. J’ai également enseigné à ce moment-là.

Aujourd’hui je suis metteur en scène indépendant. Tout récemment, j’ai monté "La Cantatrice chauve" de Ionesco et un texte d’Anny Hernaux, qui s’appelle "L’Occupation", avec Romane Bohringer, avec qui j’ai fait presque dix spectacles.

Vous avez également dispensé des enseignements et des formations à l’international. Racontez-nous vos expériences de travail à la croisée de différentes cultures et différentes langues.

J’ai enseigné plusieurs fois à l’École nationale, l'ENSATT ou école de la "Rue Blanche", à Paris. Parallèlement j’ai fait des masters class et des stages à Athènes, Rio, à Curitiba, où il y a un festival de théâtre, au Caire ou à Pékin.

J’ai toujours aimé l’idée de voyager et de découvrir d’autres cultures, non pas en tant que touriste mais pour travailler. Et justement, grâce au théâtre, j’ai eu l’occasion de rencontrer des comédiens étrangers et de les confronter à des textes universels. Par exemple, à Pékin, j’ai travaillé sur "Roméo et Juliette" de Shakespeare, qu’ils connaissaient et qui les intéressait beaucoup.

Le double intérêt pour moi c’est de voir comment les comédiens réagissent et interprètent avec leurs cultures et dans leurs langues. Cela m’intéresse aussi de rencontrer les nouvelles générations et d’observer leurs réactions par rapport aux temps présents.

J’essaie de livrer mon expérience de la direction et du jeu d’acteur. A chaque fois je déduis une chose que je confirme aujourd’hui en Arménie, bien que les cultures soient différentes, il y a, en vérité, une chose qui les fait se ressembler étrangement, c’est la sensibilité des personnes. Il y a quelque chose d’universelle dans l’humanité.

Quel est votre ressenti après dix jours de travail en Arménie dans le cadre de l’Atelier d’Art dramatique bilingue ?

Je trouve que l’Atelier est une excellente initiative, car les participants vont être confrontés à des personnalités du théâtre français. Serge Avédikian a choisi des personnalités assez importantes dans le théâtre qui le confronteront à différents styles de travail, à la diversité.

J’avais déjà beaucoup parlé de l’Arménie avec des amis, avec bien sûr aussi Serge Avédikian que je connais depuis très longtemps. On a travaillé ensemble quelques fois. Quand il m’a parlé de ce projet, j’ai eu très envie de venir. Maintenant que je suis ici, je peux dire que c’est complètement différent de ce qu’on perçoit de l’extérieur. Je suis curieux et me sens en empathie avec les gens. J’aime qu'ils donnent le maximum d’eux même dans ce travail. J’avoue qu’ici, la réponse est très vivante. La curiosité des gens m’a également touché.

Ainsi, je trouve que l’Atelier constitue également une expérience importante pour les formateurs en tant qu’artistes. Pour moi, cela change ma façon de voir : il y a un avant et un après, ce séjour est très riche en rencontres, en expérimentations et en découvertes. 

Pensez-vous que la langue constitue une barrière dans le métier du comédien ? Comment se déroule votre travail sur des pièces en deux langues avec ces jeunes artistes arméniens peu francophones ?

Il y a quand même une barrière, je ne peux pas prétendre comprendre tous les détails de la langue, les nuances et les subtilités de l’arménien.

En revanche, il n’y a pas de difficultés lorsque le comédien joue plus ou moins bien, plus ou moi précis ou juste. Et je le perçois davantage chez les Arméniens qu'avec des comédiens d'autres pays.

J’ai ressenti une proximité, à des moments, j’oubliais que j’étais Français, même quand ils jouaient en arménien. Le travail exemplaire de la traductrice y a largement contribué.

Chaque langue ou culture, apporte-t-elle "du sien" au métier du comédien ou du metteur en scène, selon vous ?

Oui, je trouve. Dans nos travaux d’improvisations, certains comédiens ont apporté des choses vraiment très originales, un humour très singulier. Je ne sais pas si cela tient à leur personnalité propre ou si c’est culturel. Mais c’est un humour que je partage volontiers et ils m’ont beaucoup fait rire. C’est pour cela que je parlais de proximité.