"L’Atelier d’art dramatique" bilingue ouvre ses portes, la langue française sur les planches!

Arts et culture
13.10.2021

Aller au-delà des techniques académiques, enrichir le parcours professionnel des jeunes artistes, « un nouveau positionnement vis-à-vis de la construction de la vie d’un comédien » … Initié par le comédien, réalisateur et producteur franco-arménien Serge Avédikian, l'Atelier d’Art Dramatique a été pensé en ce sens.  Il vient d'ouvrir ses portes, sa première session s'y déroule en ce moment même au théâtre Stanislavsky, sous la conduite de l'artiste.

Par Lusine Abgarian

Ses années de présence professionnelle active en Arménie, ses mises en scènes au théâtre, à l’opéra, ses apparitions en tant que comédien dans des films et des téléfilms, lui ont permis d’apprécier tout le potentiel des jeunes artistes arméniens. Désireux de leur ouvrir de plus larges perspectives, Serge Avedikian a invité sur le sol de sa terre natale des artistes français et franco-arméniens. Riches de leurs expériences, ils assumeront ensemble cette transmission du talent et des savoirs.

À l’occasion du lancement officiel de l'Atelier d’Art dramatique, Serge Avédikian nous a accordé cet entretien.

Pourquoi ce format bilingue d'atelier d'art dramatique ?

Je trouvais plus intéressant que ce soit un atelier et non pas une école ou un conservatoire, comme on dit en France, et qu'il soit plutôt lié à la personnalité des artistes qui vont venir et transmettre leur propre expérience. Je considère que l’académisme, passé un certain âge, a besoin d’être mis à mal, à l’épreuve de l’imaginaire et de l’expérience des gens qui ont trouvé un langage.

J'ai un autre cheval de bataille, c’est la langue française qui m’est très chère. J’ai appris le français en Arménie, et c’est vrai que rendre le français à l’Arménie était plus qu'une envie. Presqu'un devoir. C'est grâce à la langue française que j'ai pu devenir un artiste français en France. D’autre part, je trouve que l’Arménie a un grand potentiel francophone. Elle fait partie de l'Organisation de la Francophonie, elle compte une université, des lycées français, et l’Ambassade de France est très active. J’ai d'ailleurs senti auprès de son service de coopération et d’action culturelle une réelle envie de défendre ce projet.

Et puis c’était intéressant, également, que la langue française puisse monter sur les planches en Arménie ! Grâce à notre partenariat avec SPFA (Solidarité Protestante France-Arménie), les stagiaires ont bénéficié de cours de français gratuits avant de commencer les ateliers. Certains candidats souhaitent continuer leur apprentissage par la suite et c’est très encourageant.

Sur quels critères a porté le choix de vos intervenants ?

J’ai coopté les artistes de façon intuitive, parmi les gens qui m’entourent. Ils connaissent mon expérience, et pour certains, comme Ariane Ascaride, Simon Abkarian ou Catherine Schaub-Abkaria, ils connaissent déjà l’Arménie et son histoire. D'autres comme Pierre Pradinas, Stéphane Braunschweig, Chloé Réjon, Océane Mozas ou Igor Skreblin, ne sont jamais venus ici en revanche, ils vont découvrir l’Arménie. Mais ce sont des artistes avec qui j’ai travaillé et dont je connais bien le travail.

C’est cela qui a déterminé mon choix. La palette des artistes qui va venir ces six prochains mois est très variée et leurs approches sont différentes. C’est justement cela qui va permettre de sortir des sentiers battus de l’académisme et d'apporter des croisées de chemins différentes. Les artistes de France qui vont venir ont tous des expériences très personnelles, très différentes les unes des autres. Néanmoins ils partagent tous l’envie de transmettre et la juste attitude pour y arriver. Ils sont aussi curieux d’être traduit dans une autre langue et de découvrir une autre culture.

Nous allons approcher Musset, Marivaux, mais aussi Shakespeare, Tchekhov… Tous les extraits de pièces seront traduits en arménien. Je tiens à ce que le bilinguisme soit partie intégrante du travail et mette en évidence les changements de postures, de sens et de dynamique d’une langue à l’autre.

Comment vous avez sélectionné les participants parmi les 80 candidats à ce projet ?

Après l’appel à candidatures, il a fallu faire des choix. Un crève-cœur... Nous nous étions fixé quelques "obligations" : la participation de la Fondation Aurora nous imposait implicitement de retenir 5 personnes originaires d’Artsakh et je souhaitais également recruter des participants de Gyumri et de Vanadzor. Ce sont deux villes avec des personnalités culturelles très particulières.

On a ensuite essayé de trouver un certain équilibre entre les villes d’où étaient issus les candidats, leur milieu social, entre ceux qui suivent les cours de l’Institut de cinéma et de théâtre et ceux qui en sont déjà sortis. Certains sont parfaitement francophones, mais pas forcément voués au départ à devenir actrices ou acteurs : ils sont juristes, avocate ou cantatrice, mais ils démontrent une vraie relation à l’acte de jouer.

D’ailleurs, et ce, dès la première journée de travail, il s’est avéré que professionnalisme et amateurisme ne sont pas si éloignés lorsque la passion est là. Je trouve ce mélange est très enrichissant pour tout le monde.

Quelles perspectives l’Atelier peut-il ouvrir aux participants ?

La Francophonie est là comme support. Elle permettra à ceux qui maitriseront le mieux la langue française de partir en stage à Paris ou en région parisienne, dans des conservatoires que je connais.

Cette expérience leur offrira aussi la possibilité d’appréhender le théâtre d’une autre façon et de rejoindre d’autres groupes parce qu’ils auront effectué ce travail.

La formation dispensée par l'Atelier a-t-elle vocation à s'institutionnaliser -devenir un master reconnu par exemple- ou bien conservera-t-elle ce même esprit, non académique ?

Nous en avons parlé avec l’Institut du théâtre et du cinéma. J’ai néanmoins l’impression que sa posture actuelle est assez dépendante de sa direction qui est assez figée à mon avis. Certaines personnes à sa direction souhaitent intégrer la langue française dans les programmes mais pour l’instant, rien n’est encore acquis. J’espère que d’ici quelques mois les choses évolueront dans le bon sens.

Quoi qu'il en soit le travail de l’Atelier se suffit à lui-même et offre une ouverture d’esprit différente.

Avez-vous reçu un soutien des autorités arméniennes dans ce projet ?

Dès le départ, il y a deux ans, j’ai tenté d’instaurer un dialogue avec le Ministère de l'éducation, des sciences, de la culture et des sports. Il y avait une sorte d’accord verbal de participation et de prise en charge de quelques candidats. Finalement, rien n'a abouti. Probablement à cause de la guerre, mais pas seulement.

En fait, à ce jour, il y a aucune aide de l’État pour ce projet, comme c’est d'ailleurs souvent le cas pour ceux qui émanent de la diaspora. Comme d'habitude, certaines fondations s'y substituent et viennent compléter ce que l’État ne fait pas. Mais la question n’est pas là : je ne voulais pas d’argent public. Je voulais surtout la reconnaissance et la validation par l’État de la place et du rôle de ces jeunes comédiens et réalisateurs, justement parce qu’ils ont étudié dans des écoles étatiques.

Quels partenariats vous ont permis de développer ce projet ?

Le partenaire privilégié du projet c’est l’Ambassade de France en Arménie. Elle nous a permis de faire démarrer le projet. Nous avons tout d'abord collaboré avec Alex Bortolan et poursuivons depuis avec Guillaume Narjollet qui s'y implique de manière très dynamique. Ce premier partenariat nous a permis ensuite d'entrer en contact avec les Fondation Aznavour et Aurora, SPFA, l’UGAB France et les autres partenaires.

Chacun, à sa mesure, s’est positionné positivement parce qu’il s’agit d’éducation, qu’il y a des participants originaires d’Artsakh et parce qu’il y a des artistes français reconnus. Pour toutes ces raisons-là, le projet a reçu un écho favorable qui nous a permis, au fur et à mesure, de boucler le budget nécessaire à l'accueil des artistes et des candidats qui viennent des régions.  De ce côté-là, tout est prévu, les artistes intervenants ne reçoivent pas de salaire mais sont pris en charge par l'organisation. Une toute petite équipe est là pour tout gérer de A à Z. Voilà pour la structure. Pour les stages à proprement parler, nous bénéficierons du soutien de la Mairie de Paris et de la Région Ile de France.

 

Média partenaire du projet, Le Courrier d’Erevan présentera au fil de ses éditions l’évolution de l’Atelier et le travail de chacun des artistes invités.

Leur liste ainsi que celle des participants à cette première cession est disponible sur le dossier en ligne, sous ce lien.