Arahet Armenia - Les sentiers du développement rural en Arménie

Arménie francophone
15.09.2023

"Arahet Armenia - Sentiers d'Arménie", plateforme d'échanges franco-arméniens  pour la promotion de la randonnée pédestre et de l'éco-tourisme organisait le week-end dernier à Sevan son deuxième "Fest-camp", un festival de la randonnée qui a rassemblé près de 250 pratiquants et professionnels passionnés.

Texte et photos Olivier Merlet

 

Le temps n'a malheureusement pas toujours été de la partie, le week-end dernier à Sevan, mais il n'a pas empêché tous ces adeptes de nature de venir se retrouver et planter leur tente sur les bords du lac. Duvets et doudounes de rigueur ! Concert en plein-air, grillades, jeux, beaucoup de joie au programme et l'occasion pour ces jeunes de trois provinces d'Arménie de se rencontrer pour la première fois et d'échanger leurs expériences d'une passion qu'ils partagent, celle de la montagne et de la randonnée

Plus tôt dans la journée, ils s'étaient tous retrouvés au centre culturel Suren Zakaryan pour l'ouverture de ce deuxième Fest-Camp. Deux jours de randonnée,  mais aussi des ateliers de formation à la cartographie, à la botanique et à découverte de la flore locale, à l'observation des oiseaux ou encore aux premiers secours. Parallèlement, les professionnels du secteur se retrouvaient eux pour un forum sur le développement de l'écotourisme, réunion de partenariat stratégique franco-arménienne consacrée à l'aménagement des sentiers de randonnée et des infrastructures dédiées, à laquelle participait notamment Anahit Voskanyan, responsable du développement au Comité d'État du tourisme.


On s'apprête à passer la nuit

L'AFRAT, co-organisatrice de l'évènement avec le "Club de jeunes de Sevan", œuvre depuis dix ans déjà en Arménie pour le développement du tourisme vert et de la randonnée pédestre. Avec soixante ans d'expérience dans le domaine, en France comme à l'international, cette association iséroise "pour la formation des ruraux aux activités de tourisme" a en effet été retenue pour son savoir-faire par le collectif IRAPA (Inter- coopération rhônalpine de collectivités pour l’Arménie) lancé en 2007, issu des jumelages franco-arméniens du département de l'Isère et de la province de Gegharkunik, ainsi que des villes de Grenoble, de Vienne et de Lyon avec celles de Sevan, Goris et Ervan, respectivement. La région Sud-PACA s'y est associée en 2019 avec la signature d'un accord de coopération avec la province du Lori.

Après une mise en jambe consacrée au recensement des projets, structures et acteurs concernés, l'AFRAT s'est tout d'abord investie dans des interventions saisonnières visant à valoriser les initiatives écotouristiques locales. Elle est notamment à l'origine de l'ouverture du centre d'Information touristique de Sevan dont elle a financé le bureau, formé les équipes, de même que les hébergeurs et prestataires de la région en les conseillant sur la mise en valeur de leurs produits.

De nouveaux financements - 200 000 euros de budget pour cette année 2023 -  ont depuis permis à l'AFRAT de presser le pas. Pour la deuxième année consécutive, de jeunes professionnels français sont envoyés sur le terrain - ils sont six cette année - chargés de structurer les activités de randonnée pédestre en Arménie dans les provinces du Lori, de Gegharkunik et du Syunik. Accompagnateurs en montagne, animateurs et formateurs d'animateurs de centres de vacances, tous volontaires, travaillent d'arrache-pied depuis le mois d'avril.

« Nous avons quatre missions », indique Lucile Orlando, formatrice d'animateurs et chargée de la communication du projet : « former les guides, sensibiliser les plus jeunes (et les moins jeunes aussi) à la découverte et la protection de la nature, créer les chemins et enfin constituer une offre arménienne à destination des offices de tourisme et des agences de voyage en France ».

Les volontaires essaient de partager leur temps équitablement : 3-4 jours de formation et d'information, dans les écoles, les centres aérés, auprès des clubs, et 3-4 jours de pratique, sur le terrain. Première de leurs constatations : la randonnée en Arménie est avant tout "sociale". On y recherche surtout la convivialité, et la quête d'un bon coin pour faire griller les khorovats, en toute bonne humeur, prime souvent sur l'effort physique. Une autre philosophie... Deuxième constatation : lorsqu'il s'agit d'aborder les sentiers de montagne, la jeep ou le 4x4 l'emportent bien souvent sur la paire de Pataugas…

Mais depuis une dizaine d'années, les mentalités évoluent, tirées d'une part par une jeunesse plus respectueuse de son environnement et consciente de sa fragilité - plus sportive aussi - mais aussi par une demande des touristes étrangers. Des clubs se sont formés aux quatre coins du pays, pas encore de chiffres officiels, mais rien que pour les trois régions précédemment citées, on en dénombre au moins quinze. « L'activité reste émergeante mais elle est en train de prendre », confirme Sébastien Favier, coordinateur des activités formation et territoire, en charge du projet Arménie à l'AFRAT.


Observation des oiseaux

L'initiation aux bonnes pratiques écologiques est l'un des tous premiers challenges qu'entend relever l'équipe des formateurs français. Pour former les randonneurs à limiter leur impact sur l’environnement, ils s'appuient sur les sept principes éco-responsables d'une charte internationale spécialement élaborée, la "Leave no trace", déjà adoptée par plus de 90 pays. À charge ensuite aux futurs guides et encadrants de sports de plein-air en Arménie de transmettre les bons gestes, l'attitude éco-responsable.

La reconnaissance et le balisage des sentiers existants progressent pas à pas... La meilleure façon de marcher dit-on. Ce printemps, deux nouveaux sentiers ont  été repérés et aménagés, de Sevan à Tsaghkunk dans le Gegharkunik et à Akhtala, sur le Mont Lalvar dans le Lori. Pas de carte topographique à disposition, quelques chemins répertoriés mais peu, le travail s'effectue avec les gens du coin. L'occasion parfois de leur révéler des perles qu'ils ont sous les yeux depuis toujours mais qu'ils ignorent. « À Goris, nous avons emmené avec nous sur un chemin la personne qui nous l'avait indiqué. Depuis 40 ans elle l'avait sous ses fenêtres, un paysage magnifique, mais elle n'y était jamais allé ! Elle n'en revenait pas », s'exclame Lucile Orlando.

L'intérêt vient également des locaux lorsqu'ils ont vent du projet. Fin août, un club de Chambarak a contacté les volontaires pour qu'ils l'assistent dans l'élaboration d'un projet écologie et randonnée. « Il ne s'agit pas de faire à leur place, ils sont experts sur leur terrain, mais de leur venir en appui : comment construire un itinéraire, de façon ludique, susciter l'intérêt de la découverte de la nature, échanger nos compétences et  former les futurs formateurs à la conduite de groupes, à la sécurité, à la découverte d'une nature qu'ils connaissent bien mais ne pensent pas toujours à commenter », explique Victor, accompagnateur en montagne dans le Vercors. « À terme, l'enjeu de ces formations est d'arriver à instituer un diplôme national, reconnu au niveau européen et de finaliser le balisage existant, un peu délaissé ces années ».

De nombreux sentiers restent à découvrir. Établir des liaisons de village à village, identifier les guest-house, prévoir des infrastructures d'accueil avec les fédérations, proposer des guides… Le travail est également administratif, très chronophage. Une coordinatrice arménienne Lilya Shalunts, responsable d'un centre d'apprentissage de langue française, "France formation international", est en charge de cette tâche et intercède au nom de l'AFRAT auprès des institutions locales.

« Nous travaillons en réseau de façon à ce que tous les institutionnels soient impliqués, le Comité d'État du tourisme comme les collectivités locales, les clubs et les fédérations, de façon à ce que les activités économiques se structurent sur les territoires », reprend Sébastien Favier. « En termes de fréquentation du pays, les touristes étrangers ont bien souvent tendance à "rayonner" depuis Erevan pour visiter l'Arménie. L'objectif est de les faire rester sur les territoires, qu'ils pratiquent la randonnée sur deux ou trois jours, qu'ils fonctionnent "en local' pour contribuer au développement des régions ».


Formation aux premiers secours

De nouveaux partenariats sont en cours de discussion et notamment celui du département des Hauts de Seine et de la province du Tavush pour une coopération dans le secteur de l'agro-tourisme. Par ailleurs, l'Agence française de développement a déjà prévalidé sa participation au projet à l'horizon des années 2024-2026, un ballon d'oxygène qui permettra d'aller encore plus loin sur le développement économique des territoires ruraux.

Avec un capital naturel et remarquable, l'Arménie non seulement se prête particulièrement à la randonnée pédestre et de montagne mais pourrait vite devenir une destination d'exception pour sa pratique, pour peu que tous les acteurs concernées y consacrent un minimum d'efforts. « Les paysages sont fantastiques », s'enthousiasme encore Victor, « avec des itinéraires adaptés à tous les niveaux et des parcours de deux heures, de monastère en monastère, jusqu’à des treks de plusieurs jours. Le "Trail transcaucasien" part de de Géorgie et permet même de traverser toute l'Arménie... Il existe plein de choses, le tout, c'est de les structurer et d'en faire la promotion ».

 


Grande randonnée, petite pause