Une présence canadienne attendue en Arménie

Actualité
22.03.2023

Les relations diplomatiques entre l’Arménie et le Canada existent depuis 30 ans. En 2022, le Canada a nommé un nouveau consul honoraire en Arménie. La création d’une Ambassade du Canada est également en perspective, et un nouvel essor des relations arméno-canadiennes s’envisage. À cette occasion, ainsi que pour prendre part aux célébrations de la Francophonie, Son Excellence Madame l’Ambassadrice Alison LeClaire s’est rendue en Arménie depuis Moscou. Découvrez son entretien exclusif pour Le Courrier d’Erevan.

Propos recueillis par Zara Nazarian

 

Madame l’Ambassadrice, les relations diplomatiques entre l’Arménie et le Canada existent depuis 30 ans, mais elles n’ont pas été mises en exergue, du moins, c’est le sentiment qu’on en a ici en Arménie. L’année dernière, une « relance » de ces relations a eu lieu, notamment avec l’ouverture du nouveau Consulat et la désignation d’un nouveau consul honoraire. Pourriez-vous, s’il vous plaît, nous en dire plus sur cet événement et sur les perspectives des relations bilatérales ?

Merci pour votre invitation, c’est un plaisir et c’est justement une occasion pour manifester de nouveau la présence du Canada, ici, à Erevan.

Je dirais que les relations entre les deux pays sont traditionnellement très chaleureuses. Ces relations doivent encore aller de l'avant en capitalisant sur nos liens existants, notamment avec la communauté arménienne très active au Canada, sa riche contribution à plusieurs niveaux, ainsi qu'à travers nos valeurs partagées, y compris au sein de la Francophonie.

Ma nomination au poste d'ambassadrice à Moscou, en 2020, s'inscrit dans une période difficile, en raison de la pandémie et des deux guerres, en Arménie tout d'abord puis en Russie. Ce n’était donc pas un moment favorable pour profiter pleinement des possibilités et des opportunités.

Je souhaite noter toutefois que notre Premier ministre est venu ici pour faire une visite officielle en 2018 pendant le Sommet de la Francophonie. Il avait une rencontre avec son homologue, Nikol Pashinyan, juste après son élection. C’était une période de transition très dynamique en Arménie et un moment très important de nos relations.

Malheureusement la période qui s'en est suivie ne fut pas facile avec la pandémie et la guerre. Je pense que nous sommes aujourd’hui dans un autre moment très important avec la publication, l’année passée, d’un rapport de Monsieur Stéphane Dion, le représentant canadien auprès de l’Union européenne. Il est aussi l’ancien ministre des Affaires étrangères du Canada et, en tant que député, il représente une communauté très forte, celle des Arméniens, il connaît donc très bien votre pays. Il est venu ici l’année dernière dans le cadre d'un mandat du gouvernement pour aborder la question du soutien et de l’apport du Canada à la démocratie en Arménie. Son rapport contenait 11 recommandations, deux sont déjà mises en œuvre ou en train de l’être.

Nous travaillons désormais  l'ouverture d'une ambassade cette année-même, et pour le renforcement d’un dialogue gouvernemental entre l’Arménie et le Canada. Le vice-ministre arménien des Affaires étrangères s'est rendu au Canada pour l'initier et en décembre dernier, votre ministre des Affaires étrangères et Madame Joly se sont rencontrés au sein de la réunion ministérielle de l'OSCE.

On constate déjà une accélération des contacts entre nos gouvernements. Ce n’est pas exactement la réponse à votre question mais c’est important pour les deux gouvernements de faire avancer nos priorités partagées, y compris et notamment les relations commerciales, porteuses de plein d’opportunités.

 

Pensez-vous qu’il est possible d’intensifier les échanges entre nos deux pays ? Il s’agit en premier lieu des échanges économiques, mais la culture ne doit pas être oubliée… L’année dernière, Mme Joly avait évoqué même l’ouverture d’une Ambassade du Canada à Erevan.

À mon avis, l’ouverture d’une ambassade est une étape primordiale et cruciale pour promouvoir la croissance. Pas seulement du côté commercial, mais aussi académique, scientifique, culturel et de toutes les dimensions sous lesquelles peut s'envisager une relation. C’est vrai qu'elles devraient être plus fortes, plus étendues, mais je crois que les pistes sont là pour atteindre nos objectifs partagés.

Mais il faut noter également que nous avons déjà une collaboration très importante entre nos parlements, notamment au travers d'un projet d'échanges techniques sur leur fonctionnement en général. Nous avons également des projets pour faire avancer les objectifs des communes arméniennes. Je suis très impatiente de me rendre à Lori pour découvrir le projet, il est lié à l’autonomisation des femmes de la région, notamment dans le secteur touristique, le développement professionnel et la gestion des hôtels avec le Centre SMART COAF.

Nous sommes toujours à la recherche des possibilités de collaboration directe avec des représentants de la société civile en Arménie. Nous entretenons de fortes connexions avec la communauté arménienne au Canada et avec l’Arménie-même. Je connais beaucoup de Canadiens-Arméniens, des Arméniens nés au Canada et revenus en Arménie pour se réinventer une vie ici. La tendance est vraiment positive.

 

Quelle est la position du Canada par rapport aux événements de deux dernières années qu’ont vécu l’Arménie et le Haut-Karabakh ? Et surtout, quelle est sa position maintenant, quand le Haut-Karabakh se trouve dans un blocus depuis trois mois déjà, et l’intégrité territoriale de l’Arménie même est violée ?

La position du Canada est celle de sa profonde préoccupation. C’est une situation tellement difficile. L’Arménie, pour progresser et atteindre les objectifs auxquels tient sa population et a un intérêt évident à la paix et la sécurité. Nous sommes très préoccupés. C’est la raison pour laquelle, par exemple, pendant la pandémie, j’ai fait une visite ici en novembre 2020, juste après la guerre, pour souligner cette préoccupation du Canada face au conflit. La ministre Mélanie Joly en a de nouveau fait part à plusieurs, et tout dernièrement à propos du blocage du corridor de Latchine. Elle en a fait appel aux autorités azerbaïdjanaises pour qu'elles lèvent le blocus et leur a également fait part de son indignation concernant leurs actions militaires contre les communautés et infrastructures civiles en Arménie. À la fin elle les encourage à rechercher ensemble une paix durable et leur sécurité réciproque.

Le Canada soutient absolument le travail de l’Union européenne en ce qui concerne sa mission de surveillance, c’est vraiment notre espoir que les deux pays puissent poursuivre le dialogue pour atteindre une paix durable.

 

Vous vous trouvez en Arménie à l’occasion de la célébration de la Journée internationale de la Francophonie. La Francophonie qui a sa place d’honneur soigneusement gardée au Canada, notamment au Québec. Comment expliquez-vous cet attachement au français dans un monde de plus en plus anglophone ? La pratique de deux –ou plus – langues officielles vous paraît-elle une bonne chose ? Est-elle transposable sur d’autres pays ?

Je vais faire une réponse en deux parties.

En termes de Francophonie, pour moi ce qui est le plus important, ce sont les valeurs partagées : l’importance de la langue et de la culture, mais surtout la démocratie, l’égalité des sexes, la liberté d'expression, la diversité. Pour moi ces valeurs sont cruciales pour la santé de nos sociétés et il faut travailler constamment pour les protéger. Je dirai que la Francophonie est une communauté qui préserve ces valeurs, tout comme le Canada.

Je suis un exemple de notre histoire : mon nom de famille, c’est LeClaire, un nom français dont l’épellation a été anglicisée au fil du temps. Mon grand-père, francophone de naissance, a décidé un jour de ne plus parler le français pour réussir dans la vie. Si on regarde l’histoire jusqu’à maintenant, il y avait un moment où la communauté française était moins développée, moins prospère, et nous avons eu la révolution tranquille, une politique de bilinguisme, de valorisation de la langue française, mais ce n’est toujours pas une tâche facile. Elle n'en est pas moins importante car c’est une richesse culturelle, sociale et économique, une identité nationale. Je pense qu'il est nécessaire d’apprendre et de comprendre une langue et une culture étrangère. Le bilinguisme est à l'intersection de nombreuses valeurs et la manifestation de l’acceptation et du respect de l’autre.

La Francophonie promeut également les valeurs de l’égalité des sexes et c’est l’un des éléments prioritaires dans notre relation pour avancer vers une meilleure participation des femmes dans la politique et dans l’économie.

Je travaille dans la fonction publique depuis plus de 30 ans. Quand j'ai rejoint le gouvernement, au sein d'un groupe de vingt personnes du service étranger, nous étions deux femmes. L’une d'entre nous a démissionné dès sa première année et quant à moi, je travaillais dans un environnement essentiellement masculin. J’imagine que c’était la même chose pour vous. Il faut marquer le progrès aussi dans diplomatie féministe, qui est importante au sein de la Francophonie.

Pour conclure, je tiens à dire que je suis très heureuse d’être ici, de voir ces perspectives de développement aussi dans la Francophonie. Cette année, il y aura deux films canadiens programmés au Festival du film francophone.