Inattendu et inédit, les ministres des Affaires étrangères Azerbaidjanais, Jeyhun Bayramov et Ararat Mirzoyan, se sont rencontrés samedi 16 juillet à Tbilissi, seul à seul pendant près de trois heures. C'était le premier rendez-vous diplomatique à ce niveau entre les chefs de la diplomatie des deux pays, exclusivement bilatéral.
Par Olivier Merlet
Toïvo Klaar, le représentant spécial de l'Union Européenne avait passé deux jours dans la capitale arménienne la semaine dernière avant de se rendre vendredi 15 juillet à Bakou. Fait inhabituel de ce nouveau déplacement diplomatique, la presse locale n'avait rapporté que deux rendez-vous de ces 48 heures à Erevan de l'envoyé de Charles Michel, le premier avec Armen Grigoryan, secrétaire du conseil national de sécurité et le second avec le Premier ministre Nikol Pashinyan. Aucune déclaration ni communiqué n'avait émané du ministère des Affaires étrangères, habituellement premier consulté lors de ce type de missions diplomatiques, devenues régulières depuis le démarrage du processus de règlement entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan.
Discrétion et tractations de dernière minute ont donc sans doute été de mise puisque ce serait à l'initiative de l'émissaire spécial de Bruxelles qu'a eu lieu la rencontre de Tbilissi du 16 juillet. La veille, il tweetait de Bakou : « Aujourd'hui, d'excellentes rencontres avec le président azerbaïdjanais Ilham Aliyev, le ministre des Affaires étrangères Jeyhun Bayramov et le vice-Premier ministre Mustafayev. J'ai évalué l'état du processus de paix. J'ai également exprimé le soutien de l'UE à la décision bilatérale de l'Arménie et de l'Azerbaïdjan de tenir une réunion des ministres des Affaires étrangères en Géorgie ».
Se retrouvant donc à Tbilissi, Ararat Mirzoyan et Jeyhun Bayramov se sont tout d'abord entretenus séparément avec le Premier ministre géorgien Irakli Gharibashvili avant d'entamer leur réunion en tête à tête. Les deux hommes s'étaient déjà rencontrés le 12 mai dernier à Dushanbe, mais sous la médiation de Sergei Lavrov, le ministre russe des Affaires étrangères, c'était la première fois qu'ils échangeaient seul à seul.
Du contenu des discussions on ne sait que peu de choses. La question de la démarcation des frontières a certainement été au centre des débats, une réunion prévue sur le sujet à Moscou avait en effet été annulée précédemment. Le communiqué officiel du ministère des Affaires étrangères arménien évoque classiquement « un large éventail de questions concernant la normalisation des relations entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan ». Ararat Mirzoyan a également rappelé « l'importance d'un règlement politique de la question du Karabakh dans le processus de paix, et à cet effet, de l'institution et de l'expérience du Groupe de coordination de Minsk de l'OSCE».
Baku souligne de son côté « la nécessité de la pleine mise en œuvre de toutes les dispositions de la déclaration trilatérale signée par les dirigeants de l'Azerbaïdjan, de l'Arménie et de la Russie ». Quant au rapatriement des prisonniers de guerre arméniens et aux clarifications sur le sort des personnes disparues, évoqué par le représentant d'Erevan, le communiqué azerbaïdjanais exige dans sa réponse « le retrait des forces armées arméniennes du territoire de l'Azerbaïdjan et l'importance de clarifier le sort de près de 4 000 personnes azerbaïdjanaises disparues ».
Les deux ministres ont toutefois souligné l'importance qu'ils attachent, et leur volonté commune, à poursuivre un dialogue direct entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie.
Anthony Blinken, le secrétaire d'État américain s'est immédiatement félicité de la réunion : « Jeihun Bayramov et Ararat Mirzoyan ont franchi une étape positive en se rencontrant à Tbilissi. Le dialogue direct est le moyen le plus sûr de résoudre les différends entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie », a-t-il tweeté lui aussi Du côté de Moscou, le silence est criant.
La réunion de Tbilissi est symbolique à plus d'un titre, c'est tout d'abord la première rencontre exclusivement bilatérale à ce niveau et le choix du lieu, la capitale géorgienne, soutenu par l'Union Européenne pourrait aussi être traduit comme un message fort à Moscou. Malgré les invitations répétées de la Russie, la Géorgie se refuse toujours à rejoindre le format 3+3 prôné par Moscou comme garant de la sécurité régionale et d'une prospérité durable dans le Sud-Caucase. Le fait que la capitale géorgienne, sous l'influence de l'Europe et vraisemblablement des Etats-Unis, accueille cette première réunion des hommes d'état arménien et azerbaidjanais pourrait marquer le début d'un processus régional et trilatéral du règlement du conflit. Un format 3 sans 3 en quelques sorte, sans Moscou, voire 3+2, en comptant les Etats-Unis et l'Europe, manière également de réaffirmer vis-à-vis de la capitale russe l'existence et l'assiduité du Groupe de Minsk.
Dans le contexte de la préparation de la rencontre de Tbilissi, on apprenait par ailleurs, du cabinet de Nikol Pashinyan, sa rencontre, vendredi 15 juin, avec William Burns, le directeur de la CIA, l'Agence du renseignement americain. « Les interlocuteurs ont discuté des questions liées à la sécurité internationale et régionale, la lutte contre le terrorisme. Il a été fait référence aux processus en cours dans la région du Caucase du Sud », indique le communiqué.