Certains les appellent déjà les "nouveaux Arméniens". Ils sont russes, émigrants, relocalisés, vacanciers, ou réfugiés, arrivés en masse en Arménie depuis le début du mois de mars.
Par Lusine Abgaryan et Olivier Merlet.
« La saison touristique prévue a commencé plus tôt cette année par rapport aux années précédentes ». U-Com a le sens de l'humour ! C'est le moins que l'on puisse dire à lire la réponse officielle du premier opérateur de téléphonie mobile arménien, interrogé sur la forte progression de ses nouveaux abonnés début mars.
Car effectivement, depuis près d'une dizaine de jours à Erevan, les conversations de rue résonnent d'accents russes. Déambulant en famille sur les trottoirs, poussant leurs valises aux abords des hôtels, discutant dans les cafés, les bureaux de change, les banques ou devant les distributeurs de billet, d'anonymes jeunes badauds dénotent dans le paysage local encore hivernal et ne trompent pas les locaux. « Les russes sont en ville ! ». Nulle stigmatisation, juste un constat. On pourrait presqu'en sourire si la cause n'était pas tragique. Depuis le début du conflit en Ukraine, des citoyens russes affluent en Arménie par avions entiers. Certains médias arméniens parlent de 50 000 personnes… en plus de 9 000 Belarus et de 4 000 ukrainiens. L'Arménie compte moins de 3000 000 d'habitants…
Entre le 3 et le 10 mars dernier, le site web de Zvartnots, l'aéroport d'Erevan annonçait de 30 à 35 vols à l'arrivée par jour en provenance de Moscou, Saint-Pétersbourg, Sotchi, Mineralnye Vody, Volgograd, Aktau et d'ailleurs pour un trafic normal d'une quinzaine d'avions quotidiens et des billets se négociant jusqu’à 60 000 roubles (520 euros environ) contre 5 à 6000 en temps normal. Les hôtels font le plein, les loyers flambent - un agent immobilier estime l'augmentation à 20 à 30 % au cours de la semaine dernière - les réseaux sociaux rapportent le cas de locataires remerciés pour laisser place à des payeurs plus fortunés.
Ils sont jeunes pour la plupart, il se disent tous touristes, lorsqu'on les aborde. Et puis, au fil de la conversation, ils se livrent un peu… Pour la plupart, ils travaillent dans le secteur de l'informatique ou des nouvelles technologies, de l'édition ou des médias indépendants aussi, des dirigeants d'entreprise parfois, en quête de relocalisation de leurs activités. Ils sont en repérage, d'un nouveau cadre de vie, d'opportunités professionnelles, ne savent pas vraiment combien de temps ils vont rester… « On a 180 jours, sans visa » … Mais prêts à s'établir si leur chance se présente. Certains sont en transit, vers Tbilissi, pourtant peu accueillante envers ses voisins du Nord, mais ils y ont de la famille ou des amis. D'autres partent rejoindre des destinations plus lointaines, hors des sanctions, de la censure, ou d'un régime qu'ils jugent trop oppressant.
Les autorités arméniennes, que ce soit de l'immigration, des affaires étrangères ou de l'aviation civile refusent de communiquer toute statistique à leur sujet mais voient plutôt d'un très bon œil l'arrivée inopinée de ces migrants d'infortune. Le ministère de l'Économie a créé la semaine dernière un groupe de travail chargé de les aider à s'installer dans le pays. Le ministre, Vahan Kerobyan, affirmait dès le 1er mars que des entreprises technologiques russes cherchaient à transférer leurs activités en Arménie et contourner ainsi les sanctions occidentales.
Micro-trottoir dans les rues d’Erevan :
Anna et Dimitri
« Notre société va être relocalisée à Chypre elle travaille dans le domaine du digital et du divertissement. Sa relocalisation a coïncidé avec début de la guerre. Mon employeur m’a proposé de quitter la Russie, j’ai accepté. J’ai régulièrement participé à des manifestations contre Poutine et contre la guerre ces dernières semaines.
Nous sommes juste en transit à Erevan. Nous sommes partis de Moscou ce matin et repartons dans quelques heures. La situation en Russie est terrible. Jusqu'hier, on pouvait retirer son argent librement, aujourd’hui, si je comprends bien, on est limité à dix-mille dollars en devises et le reste, seulement en roubles. Impossible de retirer des euros.
Je pense que la situation s’arrangera mais malheureusement, je crois que les gens ne sont pas prêts à s’exprimer contre la guerre, bien au contraire, dans leur grande majorité ils la soutiennent. Moi, je suis d'accord avec les sanctions de l’Union européenne et les États-Unis contre la population russe. Je crois qu'elle partage la responsabilité avec le gouvernement et du point de vue de l’Ukraine, l’intégration à l’OTAN serait simplement une possibilité de se protéger ».
Jeunes biélorusses
« Nous venons de Biélorussie. Nous sommes touristes et repartons demain en Géorgie. Nous sommes programmeurs et travaillons à distance.
Nous quittons la Biélorussie pour des raisons politiques. Nous ne pouvons pas vivre tranquillement, normalement, nous ne pouvons même pas nous réunir dans la rue, parce que notre dictateur en a décidé ainsi, il ne laisse pas vivre le peuple biélorusse. Nous ne pouvons pas nous exprimer librement. Les gens qui le font sont immédiatement mis en prison. La situation est encore pire en Biélorussie qu’en Russie. Plus de médias indépendants aucune liberté de l’expression, c’est une dictature absolue, la population est placé sous le joug de l’armée et de la police.
Nous, en tant que Biélorusses, nous sommes pour l’Ukraine et son intégration à l’OTAN, l’Ukraine souhaite protéger son territoire ».
Pol et Yekaterina
« Nous sommes de Moscou, en vacances mais je pense que nous allons rester ici pour une période plus longue, peut-être trois mois déjà dans un premier temps et voir si je peux travailler ici. Je suis informaticien, pas de problème pour travailler d'ici, le pays est agréable, les arméniens très accueillants et avec le passeport russe, nous pouvons rester en Arménie 180 jours sans visa. Nos cartes bancaires fonctionnent, c'est le réseau MIR, reconnu dans tous les anciens pays d'URSS.
Beaucoup de Russes ne sont pas d'accord avec ce qui se passe en Ukraine, mais en Russie, le gouvernement est prêt pour les manifestations de masse, nous avons une police politique très forte et des brigades anti-émeutes surentrainées. Si vous aidez le peuple ukrainien, en donnant de l'argent par exemple, vous pouvez être envoyé en prison pour 15 ans car pour notre gouvernement, c'est considéré comme une trahison.
Nous sommes très proches des Ukrainiens sont très proches, nous partageons la même langue. Pour moi, personnellement, c'est est une tragédie. Quand j'étais enfant, je vivais et j'allais à l'école à Vinnytsia, dans le centre de l'Ukraine. Et pour les sanctions, elles sont injustes, des gens qui souhaiteraient quitter le pays ne peuvent pas le faire parce qu'ils ne peuvent obtenir de visa pour l'étranger. Je ne comprends pas pourquoi le simple peuple russe est puni, c'est comme si les pays développés punissaient les civils qui sont victimes de notre propre gouvernement.
J'espère que nous pourrons faire la paix, je ne sais pas comment, mais je l'espère. »