Les soldats verts de Bakou

Région
12.12.2022

Une semaine après l'occupation du poste de contrôle russe de Kari sur le corridor de Latchin et son blocage quatre heures durant, des employés des ministères azerbaïdjanais de l'Environnement et de l'Économie, ont tenté de pénétrer, le 10 décembre, sur le site minier de Kashen à Martakert.

Par Olivier Merlet

Ce ne sont plus ses forces armées mais ses fonctionnaires que Bakou tente désormais de déployer au Karabagh. La stratégie est nouvelle mais tout aussi pernicieuse tant elle témoigne de la tentative de passage à l'acte de son contrôle et de son intégration progressive par l'administration Azerbaïdjanaise. Soudain animées de préoccupations environnementales, les autorités de Bakou ont annoncé il y une semaine vouloir mener une série d'inspections des complexes miniers de Drmbon et de Kashen dans la région de Martakert, dont les rejets seraient à l'origine d'importantes pollutions des nappes phréatiques et des cours d'eau de surface.

Le secteur minier est d'un enjeu capital pour la Karabagh, ses revenus constituant l'une de ses principales sources de financement, nous en parlions lors d'une précédente édition. Le gisement aurifère de Drmbon et celui de cuivre-molybdène de Kashen, dont les réserves sont estimées à environ 100 millions de tonnes, sont restés sous contrôle arménien après la guerre de 44 jours. Selon "Base Metals", société filiale du groupe arménien "Vallex" qui en assure l'exploitation, Kashen emploierait plus d'un millier de personnes. Drmbon et Kashen représentent aujourd'hui les deux plus grandes mines de la République autoproclamée.

Pour l'Azerbaïdjan qui en revendique le sous-sol, leur exploitation est illégale. Les autorités azerbaïdjanaises ont mené des négociations avec le commandement des forces de la paix russes pour en obtenir l'accès situé dans leur zone de contrôle, après que l'incident de Kari ait provoqué la fermeture du corridor de Latchin le 3 décembre. En milieu de semaine dernière, le conseiller du ministre azéri de l'économie, Masim Mammadov, annonçait avoir transmis des recommandations concernant une feuille de route « dans le cadre de la surveillance de l'exploitation illégale des mines de de Demirli [Kashen] et de Heyvaly [Drombon] et de l'évaluation des dommages causés à l'environnement ». Ni les troupes russes, ni les autorités arméniennes du Karabakh n'avaient souhaité réagir à ces déclarations.

Un communiqué conjoint des ministères azerbaïdjanais de l'Économie et de celui de l'Environnement tombait le 10 décembre, informant du démarrage d'une opération de « surveillance préliminaire pour enquêter sur les faits d'exploitation illégale de gisements miniers sur le territoire de la République d'Azerbaïdjan, où le contingent russe de maintien de la paix est temporairement stationné, suite aux résultats des négociations avec le commandement de la force de maintien de la paix russe », précisait-il encore.

Le groupe de fonctionnaires azerbaidjanais s'est effectivement présenté sur le site de Kashen samedi matin, « les employés de l'organisation minière et les habitants des communautés environnantes ont spontanément bloqué l'entrée », rapporte le centre d'information de la République du Karabakh. Il ajoute : « Le commandement des troupes de maintien de la paix, conformément aux instructions de leurs organes supérieurs, a permis une "visite visuelle unique" des mines susmentionnées […] le plan proposé n'a pas été convenu avec les autorités de la République d'Artsakh ni avec la société exploitante. […] À la suite des négociations, il a été décidé d'arrêter la visite prévue et de régler le problème après discussions supplémentaires ».

Interrogé sur ces developpements lors de sa visite en France, Arayik Harutyunyan avait reconnu la semaine dernière « des pressions azerbaidjanaises », mais ni lui ni les autorités officielles du Karabakh ne les ont davantage commenté. La veille, le nouveau ministre d'État Ruben Vardanyan, déclarait dans une interview à la télévision publique d'Artsakh : « Maintenant, les provocations azerbaïdjanaises sont devenues plus fréquentes, il fallait s'y attendre. […] Nous devons être prêts à faire face à diverses difficultés tout au long de l'hiver. »