Azerbaïdjan : le blocus du corridor de Latchine, qui met des milliers de vies en danger, doit être immédiatement levé

Région
22.02.2023

Le blocus actuel du corridor de Latchine met en danger la vie de milliers de personnes dans la région sécessionniste du Haut-Karabakh, a déclaré Amnesty International le 9 février 2023. L'organisation de défense des droits de l'homme a appelé les autorités azerbaïdjanaises et les forces russes de maintien de la paix à débloquer immédiatement la route et à mettre un terme à la crise humanitaire en cours.

Cette route, qui relie le Haut-Karabakh à l'Arménie, est inaccessible à tout trafic civil et commercial depuis le 12 décembre 2022, après avoir été bloquée par des dizaines de manifestants azerbaïdjanais, que l'on croit soutenus par les autorités du pays. En raison de cette situation, quelque 120 000 résidents arméniens du Haut-Karabakh n'ont plus accès aux biens et services essentiels, notamment aux médicaments et aux soins de santé indispensables.

Des entretiens menés avec des professionnels de la santé et des habitants de la région ont révélé l'impact particulièrement dur du blocus sur les groupes à risque, notamment les femmes, les personnes âgées et les personnes handicapées.

« Le blocus a entraîné de graves pénuries de nourriture et de fournitures médicales, l'aide humanitaire fournie par le Comité international de la Croix-Rouge et les forces de maintien de la paix russes ne suffisant pas à répondre à la demande. Les perturbations de l'approvisionnement en électricité, en gaz naturel et en carburant pour les véhicules entraînent des difficultés extrêmes, en particulier pour les groupes vulnérables à la discrimination et à la marginalisation. Il faut que cela prenne fin immédiatement », a déclaré Marie Struthers, directrice du programme Europe de l'Est et Asie centrale d'Amnesty International.

« L'Azerbaïdjan a l'obligation de s'engager à ce que la population du Haut-Karabakh ne soit pas privée d'accès à la nourriture et aux autres biens et médicaments essentiels. Pour sa part, la mission de maintien de la paix russe a pour mandat d'assurer la sécurité du corridor de Latchine. Or, les deux parties ne remplissent manifestement pas leurs obligations ».

Selon les responsables de facto du Haut-Karabakh, depuis le début du blocus, le nombre de véhicules arrivant dans la région est passé de 1 200 par jour à cinq ou six camions appartenant à la mission de maintien de la paix russe et au CICR.

 

Manque de médicaments et d'accès aux soins de santé

L'accès aux soins de santé est devenu le problème le plus pressant dans la région soumise au blocus, avec un déficit de médicaments et de fournitures médicales ainsi qu'une insuffisance de carburant pour permettre les soins ambulatoires. La situation est particulièrement grave pour les personnes âgées et les personnes handicapées, dont beaucoup souffrent de problèmes de santé chroniques, et dont l'accès aux services de soins de santé est fortement limité ou, dans certains cas, complètement perturbé.

Vardan Lalayan, cardiologue dans un hôpital de Stepanakert, voyait 30 à 40 patients (presque tous des personnes âgées) par mois avant le blocus. Aujourd'hui, il ne voit plus que cinq ou six patients par mois, généralement ceux qui nécessitent des soins aigus après une crise cardiaque.

Il a expliqué à Amnesty International que la plupart des patients qui ont besoin d'un contrôle pour la pose d'une endoprothèse ne peuvent généralement pas recevoir les soins dont ils ont besoin en raison de l'insuffisance de l'approvisionnement en endoprothèses et autres fournitures médicales.

« Nous faisons 10 % des procédures maintenant. Nous n'avons tout simplement pas assez de stents [...] Nous aurons un très grand [nombre] de crises cardiaques à domicile. Chaque jour, nous perdons de nombreuses personnes, de nombreux patients », a-t-il déclaré à Amnesty International.

Biayna Sukhudyan, neurologue, a déclaré à Amnesty International : « Il y a une semaine, nous avions un enfant [épileptique] qui avait besoin d'un médicament urgent, et nous ne l'avions pas, et personne ne l'avait, le stock était vide. [...] Au bout d'une semaine, après des négociations avec la Croix-Rouge, ils ont réussi à envoyer l'enfant se faire soigner à Erevan ».

Selon Vardan Lalayan, le CICR ne transfère que les personnes dont l'état est « stable » vers des structures situées en dehors de la région, où des soins peuvent être disponibles. Des patients dans un état critique qui se trouvent dans son hôpital ont dû rester dans un établissement de santé où les soins appropriés n'étaient pas disponibles, ce qui a entraîné plusieurs décès évitables. De nombreux patients sont également réticents à utiliser le transfert car il signifie souvent la séparation de leur famille pour une période prolongée et incertaine, sans garantie de retour.

La santé des femmes et la santé maternelle sont également gravement menacées par la pénurie de fournitures médicales. Meline Petrosyan, une femme enceinte de huit mois de la ville de Martakert, a déclaré à Amnesty International : « La maternité était pleine, tandis que les médicaments, les produits d'hygiène et les produits essentiels pour les bébés, les couches, le lait maternisé étaient en nombre insuffisant. La chambre d'hôpital était souvent froide à cause de la pénurie d'électricité. Ils ne pouvaient faire fonctionner qu'une seule couveuse et trois bébés prématurés devaient l'utiliser à tour de rôle. Quand je pense à toutes les incertitudes liées à l'accouchement dans ces conditions, je suis terrifiée ».

 

Pénurie de nourriture et de carburant

Le blocus a provoqué une pénurie alimentaire, qui a conduit les autorités de facto à mettre en place un système de rationnement début janvier. Selon un habitant : « chaque personne peut obtenir un demi-kilo de riz, de pâtes et un litre d'huile et peu de sucre », en limitant les produits à un kilo ou un litre par mois et par personne, quel que soit l'âge. Les personnes interrogées ont déclaré que si ces efforts ont permis d'éviter la flambée des prix des produits alimentaires essentiels, les légumes et les fruits frais ont complètement disparu des rayons des magasins, tandis que de longues files d'attente se forment pour le lait et les œufs lorsqu'ils sont disponibles.

D'après les entretiens qu'Amnesty International a eus avec des habitants, il semble que les femmes donnent généralement la priorité à la nourriture des autres membres de la famille plutôt qu'à elles-mêmes. Les professionnels de la santé interrogés par Amnesty International ont noté une augmentation significative des cas d'immunodéficience, d'anémie, de maladies thyroïdiennes et d'aggravation des conditions de diabète chez les femmes et les enfants, conséquence directe des pénuries alimentaires. Nara Karapetyan, mère de deux enfants, a déclaré à Amnesty International : « Cela fait plus d'un mois que nous n'avons plus de fruits ni de légumes. Quelle que soit la nourriture que je trouve, je m'assure que mes enfants soient nourris en premier, je me contente de ce qui reste ».

Plusieurs professionnels de la santé du Haut-Karabakh ont déclaré à Amnesty International que les femmes enceintes présentaient de plus en plus de complications, et que le nombre de fausses couches et de naissances prématurées avait augmenté, car les futures mères n'avaient pas accès aux médicaments vitaux et aux nutriments nécessaires pendant la grossesse.

Les personnes handicapées, notamment celles à mobilité réduite, ont déclaré qu'elles souffraient davantage de l'isolement pendant le blocus, car elles ne pouvaient utiliser ni les transports publics ni les transports privés en raison du manque de carburant. Yakov Altunyan, qui se déplace en fauteuil roulant depuis qu'il a été amputé des deux jambes après avoir marché sur une mine dans les années 1990, est effectivement bloqué dans son appartement. « Même depuis que j'ai été blessé, j'essaie toujours d'être à l'extérieur et de socialiser, car pour moi, être entre ces quatre murs signifie être dans une prison. [...] Le fait de ne pas pouvoir conduire, communiquer et avoir des contacts avec les autres rend ma vie très difficile », a-t-il déclaré à Amnesty International.

 

Aggravation de la crise humanitaire

Parmi les autres conséquences désastreuses infligées par le blocus figure la violation du droit à l'éducation. Toutes les écoles et tous les jardins d'enfants, fréquentés par environ 27 000 enfants, ont été temporairement fermés en raison de l'absence de chauffage et de la pénurie d'électricité. Bien que les écoles aient partiellement rouvert le 30 janvier 2023, le temps scolaire est limité à quatre heures par jour.

Depuis le début du blocus, 1 100 habitants du Haut-Karabakh, dont au moins 270 enfants, se sont retrouvés bloqués en dehors de la région et dans l'impossibilité de rentrer chez eux. Ils sont logés dans des hôtels ou chez des parents et des volontaires en Arménie.

La pénurie de gaz et d'essence est encore aggravée par les coupures fréquentes de l'approvisionnement en gaz en provenance d'Azerbaïdjan et les coupures d'électricité qui durent en moyenne six heures par jour.

« Alors que le blocus en est à sa neuvième semaine, tous les regards sont tournés vers les autorités azerbaïdjanaises et les casques bleus russes. Nous appelons les deux parties à prendre immédiatement des mesures efficaces, conformes aux normes internationales en matière de droits de l'homme, afin de lever le blocus du corridor de Latchine sans plus attendre et de mettre fin à la crise humanitaire en cours », a déclaré Marie Struthers.

 

Source : amnesty.org