Rachida Dati tiendra-t-elle les engagements de la France pour la protection du patrimoine du Kharabagh ?

Arménie francophone
29.01.2024

Nommée au poste de ministre de la culture lors du dernier remaniement du gouvernement d'Emanuel Macron, Rachida Dati, figure emblématique de la "diplomatie du caviar", suscite diverses inquiétudes en France et en Arménie quant à ses positions passées ouvertement "pro-azéries".

Par Pierre Sinoir

 

Alors que les relations entre la France et l’Azerbaïdjan se tendent ces derniers mois, l’arrivée au ministère de la Culture de Rachida Dati ravive d’anciennes polémiques, celles d’une ancienne eurodéputée qui n’a jamais cachée son soutien à la "pétrodictature", selon le terme du président du Comité de coordination des organisations arméniennes françaises arménien (CCAF), Ara Toranian, pour qualifier le régime de Bakou.

En effet, depuis au moins 13 ans, Rachida Dati n’a jamais manqué l'occasion de vanter le régime Aliyev. En 2011 déjà, l'hebdomadaire "Le Point" rapporte que lors d’un dîner organisé par la ministre dans les jardins du musée Rodin à Paris, la première dame d’Azerbaïdjan, Mehriban Aliyeva, avait tenu un discours vantant les atouts de son pays devant plus de 300 personnalités invitées. Dans la foulée, Rachida Dati avait proposé d'établir « un partenariat entre l'Azerbaïdjan et les grandes écoles d'ingénieurs françaises, et de faire naître un programme d'échanges d'étudiants et de chercheurs ».

En 2020, une tribune parue dans Marianne rappelle de son côté que trois ans plus tôt, l'eurodéputée s'était opposée à une enquête du Parlement européen sur « les tentatives de l'Azerbaïdjan […] d'influencer les décideurs européens par des moyens illégaux ». Son attitude, fortement critiquée par une partie de l’opinion publique et les associations arméniennes de France, montre le visage d’une ex-ministre sarkozyste très réceptive aux efforts de lobbying déployés par l’Association des amis de l’Azerbaïdjan (AAA) dont elle est adhérente, cette fameuse "diplomatie du caviar" menée sur toutes les scènes du monde entier par le régime de Bakou.

Faire bonne figure

Alors que la prise du Haut-Karabagh en septembre dernier par l’Azerbaïdjan a suscité de vives réactions négatives au sein du Conseil européen, la position de Rachida Dati quant à elle, interroge. En effet, sa longue admiration pour la politique qu’elle cite « laïque » et « protectrice des minorités » développée par le régime de Bakou, s’est doublée d’une attitude plus qu’ambiguë vis-à-vis des agressions commises dans la région. Pour tenter de "calmer le jeu", notamment parce que les relations entre la France et l’Azerbaïdjan se sont nettement détériorées ces derniers temps, la ministre aurait voté en faveur de l'attribution de la citoyenneté d’honneur offerte par Paris aux Arméniens du Haut-Karabagh à l’automne 2023.

Ce semblant d’empathie pour la communauté arménienne n’indique en aucun cas qu’elle s’engagera aussi ouvertement dans la politique de renforcement culturel avec l’Arménie annoncée en octobre dernier par sa prédécesseur, Rami Abdul Malak, lors de son déplacement à Erevan à la tête d'une remarquable délégation d'artistes et de personnalités de la culture française. Les promesses d’une année 2024 qui sera « exceptionnelle pour l’Arménie », selon l’ancienne ministre, en référence aux multiples évènements commémoratifs prévus cette année, seront-elles tenues par sa remplaçante ?

L’inquiétude des Arméniens vis-à-vis de l’arrivée de Rachida Dati rue de Valois est donc légitime, à commencer par les engagements pris pour la protection et la préservation du patrimoine du Haut-Karabagh, dont les actions et modalités sont toujours objets de discussions. « Les représentants de la communauté arménienne que j’ai eus au téléphone sont terrifiés par cette nomination », affirme sur "Public Sénat" l'historien et sénateur communiste Pierre Ouzoulias, ardent défenseur de la cause des chrétiens d’Orient.

Bien que Rachida Dati évite désormais de se prononcer sur la situation dans le Caucase, sa longue histoire d’amitié avec l’Azerbaïdjan ne manquera pas de lui être rappelée en cas de défaut aux engagements de son ministère. Rachida Dati devrait néanmoins assister le 21 février à la cérémonie de panthéonisation de Missak Manouchian.


Rachida Dati et Mehriban Aliyeva dans les salons du Palais Gulustan à Bakou, le 8 avril 2011