Nathalie Loiseau : « Sauvons l’Arménie des menaces qui planent sur elle »

Opinions
04.10.2023

Désormais sous le contrôle de l’Azerbaïdjan, le Haut-Karabakh a été vidé de sa population. Pour la députée européenne Nathalie Loiseau (groupe "Renew"), qui en appelle à la solidarité européenne, ce conflit met en lumière les menaces qui planent au-dessus de l’Arménie.

Sa tribune est parue dans La Croix, le 2 octobre.

 

« Le Haut-Karabakh vit une tragédie. Son peuple, qui n’a plus d’autre choix que celui de l’exode, est arménien. Il a survécu au premier génocide du XXe siècle pour subir le premier nettoyage ethnique du XXIe siècle. Ce nettoyage ethnique, le monde entier l’a laissé commettre.

On ne reviendra pas sur l’écrasante responsabilité de l’Azerbaïdjan, qui a encerclé, affamé et finalement attaqué un territoire qui lui appartient en droit mais dont il martyrise le peuple. On n’y reviendra pas sauf, en toute logique, pour juger l’Azerbaïdjan responsable de tout ce qu’il a commis et qu’il commet encore. Blocus, assauts militaires contre des civils, assassinats, pillages, arrestations arbitraires, Bakou devra rendre des comptes. Ilham Aliyev n’a tenu aucune des promesses qu’il avait faites, mais il est resté fidèle à son discours de haine, lui qui avait promis qu’il « chasserait les Arméniens comme des chiens ». On a grand tort de ne pas écouter les dictateurs.

Le rôle de l’Union européenne

Ce fut la faiblesse de la médiation européenne de prendre moins au sérieux les menaces de l’Azerbaïdjan que ses engagements, qui n’étaient pourtant assortis d’aucune garantie. Le réveil est amer, mais il doit servir à ne plus reproduire les mêmes erreurs. À Grenade jeudi prochain, Charles Michel, Olaf Scholz et Emmanuel Macron tenteront de réunir le président d’Azerbaïdjan et le premier ministre d’Arménie pour essayer d’avancer vers la paix, et ils devront impérativement obtenir des garanties sérieuses de la part de Bakou.

Ils ont raison d’essayer. Il faut en particulier reconnaître à la France de ne pas ménager ses efforts pour alerter le reste de l’Europe et défendre le respect du droit et de la dignité des peuples. Elle a souvent été bien seule à le faire, et l’on reste sans voix face à l’indifférence de nombre de nos voisins, sans parler du cynisme de la Hongrie. Son premier ministre, Viktor Orban, se prétend en effet le défenseur acharné de la chrétienté. Pourtant, que les chrétiens du Haut-Karabakh craignent pour leur vie, leur identité et leur culture le laisse de glace. Ses liens avec la Turquie, l’Azerbaïdjan et la Russie passent d’abord.

L’Arménie en danger

La Russie, il faut en parler, car rien de ce que subit le peuple arménien n’aurait été possible si Moscou n’avait pas laissé faire. Quand le corridor de Latchine a été fermé, les soldats russes pourtant chargés du maintien de la paix et de la protection des populations ne sont pas intervenus. Quand Bakou a lancé son offensive, longuement préparée, ils ont regardé ailleurs. On a tort de sous-estimer la solidarité entre les dictateurs.

Cette solidarité des tyrans menace aujourd’hui l’Arménie elle-même. Ankara et Bakou rêvent d’une continuité territoriale du « monde turc » et de rogner pour cela sur la souveraineté de l’Arménie sur le sud de son territoire. Que le président Erdogan et le président Aliyev se soient retrouvés dans l’enclave du Nakhitchevan au lendemain de l’offensive azerbaïdjanaise est de mauvais augure. L’Europe a eu raison d’envoyer une mission d’observation à la frontière. Elle devrait la renforcer et ne plus hésiter à rendre public ce qu’elle constate.

De son côté, c’est une guerre hybride intense que Vladimir Poutine a lancée contre le gouvernement arménien de Nikol Pashinyan. Désinformation, manifestations téléguidées, menaces, tout est bon pour essayer de déstabiliser un dirigeant démocrate, épris de paix, en lutte contre la corruption des oligarques prorusses et qui, ultime offense, répète que l’Arménie a été abandonnée par la Russie et que ses valeurs le portent à faire confiance à l’Europe.

Solidarité européenne

Nous n’avons pas le droit de décevoir cette confiance. Quand un peuple qui a déjà connu un génocide est menacé, on l’épaule. Quand une démocratie est attaquée, on lui vient en aide, sauf à donner au monde le signal de notre faiblesse et de notre manque de fiabilité. Vladimir Poutine rêve de donner une leçon à son « étranger propre » en soumettant Erevan, de gré ou de force et en y plaçant un obligé.

Il n’y a pas de fatalité à la victoire d’un autocrate, l’Ukraine nous le montre tous les jours. Mais sans nous, l’Arménie démocratique et souveraine est en danger. Elle ne demande pas que l’on parte en guerre pour elle, seulement que nous l’aidions à rester en paix en lui apportant le soutien et les garanties dont elle a besoin. L’Europe en a les moyens si elle se décide enfin à écouter la France, mais aussi le Parlement européen, qui alerte sans relâche depuis de longs mois.

Le monde a cru, par paresse, que le Haut-Karabakh resterait un conflit gelé. Aujourd’hui, c’est une terre brûlée. Si nous n’avons pas pu ou pas su empêcher ce désastre, soyons au moins capables de sauver l’Arménie des menaces qui planent sur elle. Il nous faut seulement apprendre de nos erreurs, agir vite et avec détermination, en un mot mériter la confiance qui nous est accordée. Il n’est pas encore trop tard pour sauver l’honneur, mais le temps presse. »

Source: La Croix