L'Arménie peut lancer un programme efficace de modernisation de son armée : expert

Opinions
19.01.2022

Le Courrier d'Erevan reprend l'entretien de Eurasia Diary avec Benjamin Poghosyan, directeur du Centre d'études stratégiques politiques et économiques (Erevan).

 

L'Azerbaïdjan propose à l'Arménie de signer un traité de paix. Pensez-vous qu'Erevan ne prendra pas cette mesure ?

Cela dépend de ce que l'Azerbaïdjan entend par traité de paix. Si cela signifie que l'Arménie doit reconnaître l'intégrité territoriale de l'Azerbaïdjan, y compris le Haut-Karabakh, une partie importante de la société arménienne s'opposerait à un tel accord. Toutefois, lors de sa conférence de presse du 24 décembre, le Premier ministre arménien a laissé entendre qu'il pourrait reconnaître le Haut-Karabakh comme faisant partie de l'Azerbaïdjan à l'intérieur des frontières établies le 10 novembre 2020, sans exiger le retrait des troupes azerbaïdjanaises au moins des territoires de l'ancienne région autonome du Haut-Karabakh, si l'Azerbaïdjan fournit des garanties de sécurité pour les Arméniens. Cependant, sa demande a été fortement rejetée par toutes les forces politiques du Haut-Karabakh. Ils ont publié une déclaration spéciale le 27 décembre dans laquelle ils affirment que personne n'a le droit de parler ou d'agir au nom du Haut-Karabakh, à l'exception des « autorités » élues du Haut-Karabakh, et qu'ils n'accepteront jamais un quelconque statut au sein de l'Azerbaïdjan ni la perte de territoires au cours de la guerre de 2020. D'importantes forces en Arménie et dans la diaspora soutiennent ce point de vue.

 

L'Arménie acceptera-t-elle de débloquer les communications de transport ? Que gagnera-t-elle ?

L'Arménie a toujours insisté sur l'ouverture des liaisons de transport dans la région. L'Azerbaïdjan et la Turquie ont imposé un blocus à l'Arménie, qu'ils considèrent comme un outil pour contraindre l'Arménie à faire des concessions unilatérales lors des négociations visant à résoudre le conflit du Haut-Karabakh. L'Arménie est également favorable au rétablissement des communications dès maintenant.

Toutefois, l'Arménie est fermement convaincue que chaque pays doit effectuer des contrôles douaniers et des contrôles de passeports à ses frontières. Les Arméniens doivent se soumettre à un contrôle des passeports et des douanes lorsqu'ils entrent au Nakhitchevan pour se rendre en Iran ou en Russie, et de même, les Azéris et les Turcs doivent se soumettre à un contrôle des passeports et des douanes lorsqu'ils franchissent la frontière arménienne dans la province de Syunik ou ailleurs.

 

Pensez-vous qu'un nouveau conflit entre l'Azerbaïdjan et l'Arménie soit possible à l'avenir ?

Cela dépend de l'évolution de la situation dans le Haut-Karabakh. La stratégie de l'Azerbaïdjan est claire : repousser le plus grand nombre possible d'Arméniens hors du Karabakh, tout en accommodant la population azerbaïdjanaise. L'Azerbaïdjan veut modifier la démographie de la région et, dans le même temps, contraindre le gouvernement arménien à reconnaître le Haut-Karabakh comme faisant partie de l'Azerbaïdjan.

Si l'Azerbaïdjan réussit à mettre en œuvre cette stratégie, je pense qu'il n'y aura pas de conflit à grande échelle, car le Karabakh deviendra progressivement un autre Nakhitchevan avec zéro Arménien.

Entre-temps, supposons que l'Arménie et le Haut-Karabakh parviennent à maintenir le nombre d'Arméniens vivant au Karabakh au même niveau qu'aujourd'hui d'ici 7 à 10 ans. Dans ce cas, l'Arménie pourrait également se lancer dans un programme efficace de modernisation de son armée, tandis que les troupes russes resteront au Karabakh jusqu'en 2030 au moins. Dans ce scénario, après 2030, l'Arménie pourrait soulever la question du retrait des troupes azerbaïdjanaises, au moins des territoires de l'ancienne NKAO. Dans ce cas, l'Azerbaïdjan doit décider de la marche à suivre.

 

Comment évaluez-vous le rôle des soldats de la paix russes ?

Ils sont la seule garantie pour les Arméniens du Haut-Karabakh. Comme l'Arménie n'a pas suffisamment modernisé son armée pour défendre le Karabakh sans introduire de troupes étrangères, les Russes doivent rester sur place, sinon l'Arménie perdra complètement le Haut-Karabakh. Les aspects juridiques du déploiement, qu'il soit fondé sur la déclaration trilatérale de novembre 2020 ou qu'il s'agisse d'une opération de maintien de la paix sous mandat de l'OSCE, font l'objet d'un débat, du moins au niveau des experts.

 

L'UE souhaite-t-elle s'ingérer dans le Caucase du Sud, sur le plan politique ou autre ?

L'UE est intéressée par la stabilité dans la région. Bruxelles ne veut pas d'une autre guerre à grande échelle. Toutefois, l'UE n'a pas l'intention de pousser la Russie hors de la région ou de faire concurrence à la Turquie. L'UE comprend que la Russie et la Turquie sont et resteront des acteurs de premier plan dans la région dans un avenir prévisible, mais elle estime également que la présence russe et turque n'exclut pas une participation de l'UE.

Je pense que dans le contexte de la stabilité, la Russie et l'UE ont des intérêts qui se chevauchent dans la région. La position de l'UE est claire : établissons une coopération économique entre l'Arménie et l'Azerbaïdjan, et si certains hommes d'affaires arméniens et azerbaïdjanais gagnent réellement de l'argent grâce à cette coopération, ils réfléchiront à deux fois avant de soutenir une nouvelle guerre.