Mardi 5 novembre dernier s’est ouvert, au sein de la magnifique Maison-Musée d’Avetik Isahakyan, un colloque organisé par la fondation INALCO, sur le thème des “Témoins silencieux de l’Histoire”. Soutenu par l’Alliance internationale pour la protection du patrimoine dans les zones de conflits, la Calouste Gulbenkian Foundation, et le centre de recherches Europe-Asie, ce colloque a lieu dans le cadre du projet scientifique de documentation et de préservation du patrimoine arménien.
Par Ninon Brenans
C’est Anna Leyloyan-Yekmalyan, spécialiste de l’art et de l’architecture arménienne, de l’art médiéval du Caucase chrétien, de l’art russe et de l’iconographie médiévale des églises orientales et enseignante chercheuse à l’INALCO qui a porté ce projet. “En tant qu’enseignante-chercheuse à l’INALCO, j’ai lancé un projet de surveillance et de documentation du patrimoine matériel de l’Artsakh, dans le but de contribuer à sa préservation. Ce projet s’inscrit naturellement dans les initiatives de valorisation et de préservation du patrimoine universel [...]. L’objectif principal de ce projet est de documenter le patrimoine arménien afin d’en assurer la conservation pour les générations futures.” - raconte Mme Leyloyan-Yekmalyan (NDLR: les citations ici-bas lui appartiennent également).
Ce colloque souligne, dans un premier lieu, le lien qui unit la fondation INALCO - qui soutient des projets académiques et stratégiques visant à accroître l’influence, l’attractivité et le rayonnement de l'institut, tant en France qu’à l’international - et l’Arménie, dont la langue est l’une de quatre fondatrices de l'institut, et enseignée depuis 1795. Le projet met ensuite en lumière un phénomène de plus en plus discuté en Arménie ; le danger qui pèse sur le patrimoine traditionnel de l’Artsakh, particulièrement depuis la guerre des 44 jours, et la signature du cessez-le-feu le 9 novembre 2020.
“La situation du riche patrimoine arménien est devenue extrêmement précaire, rendant l’action urgente et nécessaire.”
C’est donc au travers de l’association Hishatakaran et de ses membres que l’engagement de madame Leyloyan-Yekmalyan s’est manifesté. Si leur action avait déjà commencé avant même la création de l’association, dès le lendemain de la signature du cessez-le-feu du 9 novembre 2020, avec des actions documentation des monuments situés sur les territoires passés sous le contrôle de l’armée azerbaïdjanaise, c’est officiellement pendant le blocus de l’Artsakh que l’ONG est créée. “Notre priorité initiale a été d’instaurer un système de suivi des monuments. Cependant, l’évolution de la situation, marquée par le blocus du territoire et le déplacement forcé de 120 000 habitants d’Artsakh, a rendu notre mission extrêmement difficile.”
Le programme est alors officiellement lancé il y a un an à Paris, à l'Inalco, lors du colloque intitulé "Chouchi, la perle du Caucase." En parallèle se développe une collaboration étroite avec l’Ambassade de France, dont “le soutien a été crucial pour la réussite de l’événement”. Le colloque des 5 et 6 novembre a ainsi reçu le soutien total de l’Ambassade, avec la présence et un discours du Conseiller de coopération et d'action culturelle en Arménie, M. Xavier Richard, lors de l’ouverture, et une cérémonie de clôture au sein même de l’Ambassade, ou Son Excellence, Monsieur Olivier Decottignies, Ambassadeur de France en Arménie, a prononcé un discours “clair et inspirant [...] témoignant d’un soutien solide pour [le] programme et les actions.”
C’est donc les uns après les autres qu’architectes, restaurateurs, chercheurs spécialisés, professeurs, archéologues, et même hommes d’église, se sont exprimés à propos de l’importance et des différentes manières de sauvegarder le patrimoine arménien. Dans des présentations à la fois variées et instructives, c’est toute l’urgence du travail de référencement de ce patrimoine en danger qui a été abordée.
“À court terme, ce que nous faisons avec mon équipe peut sembler, et parfois être interprété, comme une démarche politique. Cependant, tout dépend de la temporalité et du positionnement que nous choisissons d’adopter. Notre ambition est bien plus vaste. La politique change, les responsables politiques passent, les gouvernements évoluent… Notre travail, lui, vise à fixer, documenter, conserver, traiter scientifiquement et authentifier le patrimoine matériel et culturel de l’Artsakh.”
Ce souci d’avenir dépasse les frontières immédiates du programme et souligne deux éléments fondamentaux. D’abord, l’importance cruciale d’une collaboration saine avec les porteurs de projets partageant des objectifs similaires, afin de mutualiser les efforts et d’amplifier l’impact de cette mission de préservation. Ensuite, l’intégration de ce travail dans des projets internationaux et des plateformes universelles représente une priorité. Ce double engagement a déjà été démontré à petite échelle lors des initiatives menées à Erevan, et il prendra une dimension encore plus ambitieuse lors du prochain colloque prévu à Paris en 2025. Une étape qui marque une continuité dans la volonté de conférer une résonance globale à cette mission de sauvegarde du patrimoine.
“Néanmoins, notre mission est tournée vers l’avenir. C’est pourquoi j’insiste sur la vocation strictement scientifique de notre programme et sur l’importance de préserver ce patrimoine pour les générations futures. Ce qui nous distingue de nombreux projets similaires, souvent pris au piège de la politisation, qui les éloigne de leur objectif principal. Je vous avoue qu’il est extrêmement difficile pour nous de garder notre sang-froid, en particulier face aux actes de barbarie que nous constatons quotidiennement. Cependant, nous devons maintenir cette rigueur scientifique et ne pas faillir — pour l’avenir.”
En définitive, ce travail de préservation dépasse la seule dimension scientifique pour s'inscrire dans une mission universelle : celle de transmettre un patrimoine inestimable aux générations futures. À travers ces initiatives, c’est tout un pan de l’histoire collective qui est sauvé de l’oubli, pour continuer à inspirer et enrichir les cultures du monde entier.