Sanahin, faubourg d'Alaverdi dans la province du Lori, fait depuis une semaine les gros titres de l'actualité arménienne. Victime de la folie du Debed et de ses crues le 26 mai, village sinistré au cœur des inondations qui ont frappé le Nord de l'Arménie, Sanahin fut pourtant, en d'autres temps, un lieu de refuge et d'espoir.
Par Aram Gareginyan
Le documentaire “1942, la route de la vie vers Sanahin” raconte l’histoire de l’orphelinat N51, évacué lors du siège de Leningrad pendant la Seconde Guerre Mondiale et transféré en Arménie, à Sanahin, y trouvant abri et sécurité.
Cette histoire méconnue a été mise en lumière par une groupe des journalistes de Saint-Petersbourg mené par Yekaterina Dodzina et Andreï Radin après de méticuleuses recherches. Le film a déjà été projeté dans la capitale culturelle russe, à Sanahin et à Erevan, puis retransmis à la télévision arménienne. D'autres projections sont programmées sur les chaines russes.
À l'origine de l'histoire, une simple rencontre, dans une boutique, avec la petite fille de la directrice d’un ancien orphelinat., cette dernière avait conservé des décennies durant les archives de sa grand-mère d’origine juive, Hana Gerchenok. Aux premiers mois de la guerre, N51, encore jardin d’enfants, se transforma peu à peu en orphelinat ou en refuge pour ceux dont la mère restée seule ne pouvait plus s'occuper. Hana enregistrait tout dans un journal personnel, avec ses pensées et mémoires, elle écrivait, dans les moindres détails, tous les épisodes de ce changement, l'état de santé de chaque enfant surtout, tous extrêmement fatigués par la faim. Elle conservait même les coupures de journaux lorsqu'elles parlaient de l’orphelinat y compris celles en arménien.
L’enfer du siège
Au printemps, après l’enfer de l’hiver 41-42, plusieurs orphelinats furent déplacés sur le lac Ladoga, via La route de la vie, la seule voie de communication qui subsistait entre Leningrad et le reste du territoire soviétique.
Sur les notes d'Hana, le film fait parler Galina Kharitonova, sœur d’Alik Dymschitz, l’un des élèves de l’orphelinat. « Nous étions totalement affamés. Mon frère, déjà, ne pouvait plus se porter. Il avait 10 ans et moi 15. Quand notre mère a appris que nous pouvions être évacués, elle vint elle-même avec une luge pour le trainer jusqu'au point d'évacuation. Le médecin lui dit : « Il ne peut pas se lever, il va mourir. Ma mère répondit : « il va mourir s’il reste là. Évacuez-le ».
L’orphelinat est transféré à Krasnodar, au sud de Russie. Évacué une nouvelle fois en août 1942, il franchit les montagnes du Caucase et s'établit en Arménie, où il restera jusqu’à la fin de la guerre ainsi que 4 autres orphelinats de Leningrad). Sanahin sa destine finale, était connu pour son monastère du Moyen-âge. C'était aussi le lieu de naissance d’Anastas Mikoyan, l’un des hauts fonctionnaires du gouvernement du Staline.
Mek, yerku, yerek…
Les Sanahnetsis aidaient les enfants avec tout ce qu’ils pouvaient, même si eux-mêmes n’avaient presque rien à manger. Les hommes étaient sur le front, les femmes restées au village pour accomplir seules tout le travail agricole. Les céréales, la viande, le lait et les fruits étaient immédiatement réquisitionnés pour les besoins de l’armée et des hôpitaux militaires.
Les orphelins aidaient aussi en cueillant les épis de blé restés dans les champs après la récolte. Ils n’en laissaient un seul épi : ils savaient trop bien le prix du pain…
« Quand nous avons rencontré et parlé avec les survivants de ces orphelins, à Saint-Petersbourg, nous avons vu que l’histoire de l’Arménie est encore vivante dans leurs familles. Ils utilisent quelques mots d'arménien au quotidien, et même leurs petits enfants savent compter jusqu’à 10 », raconte Yekaterina Dodzina.
Un cadeau inestimable
Les enfants ne parlaient pas des souvenirs de leurs familles après leur arrivée en Arménie. Courant forêts et montagnes, ils cueillaient des mûres, des noisettes et des herbes sauvages… La guerre continuait et les rations restaient maigres. « À cette époque, les enfants ont commencé à se rappeler », écrit Hana Gerchenok. La mère de l'entre eux était parti vendre son gramophone, en espérant pouvoir acheter un peu de pain. Elle n'est jamais revenue. La mère d’une autre qui tissaient des filets de camouflage pour les canons, a été tuée par un tir d'obus…
« J’étais dans un hôpital à Erevan pour un traitement. Une femme a voulu m'adopter. Je ne voulais pas. J’attendais ma mère : j’espérais qu’elle soit encore en vie », dit Varvara Vasilyeva, une ancienne élève de l’orphelinat et grand-mère de l’auteur de cet article. Son futur mari, mon grand-père, Vazrik Korkotyan, et son frère ainée, Vahram, étaient à la guerre.
Après l'armistice, la directrice de l'orphelinat raconte qu'elle ne pouvait plus recueillir d'autres enfants. Leningrad avait été dévastée par les déluges de bombes nazies et il y avait une pénurie aigüe de logements. Les enfants de moins de 14 ans resteraient donc à Sanahin et plus tard à Erevan. Dans les décennies qui suivirent, plusieurs d’entre eux retournèrent dans leur ville natale, certains y vivent encore, un autre en Israël et encore un autre en Allemagne. Mais Sanahin reste à jamais dans leur mémoire.
« Les épis d’Arménie ?! Mais… C’est un cadeau inestimable », dit Galina Griaznova à Saint-Pétersbourg, à qui l'on a porté les épis de son enfance, ceux de Sanahin.