Azerbaïdjan. Une amnistie sans Arméniens

Région
25.12.2025

Ilham Aliev, Premier ministre de l’Azerbaïdjan, a annoncé le 15 décembre dernier présenter à son parlement un grand texte d’amnistie. Sous réserve d’approbation par les députés, celui-ci pourrait bénéficier à plus de 20 000 détenus, à l’exclusion bien nette des prisonniers arméniens, victimes expiatoires d’un nationalisme azerbaïdjanais qui peine à trouver de formulation positive.

 

Par Marius Heinisch 

Amnistie historique

Jamais l’Azerbaïdjan n’était allé aussi loin en la matière. Le texte, largement adopté en première lecture vendredi 19 décembre par le Milli Medjlis, parlement azéri, est le projet d’amnistie le plus ambitieux jamais porté devant la représentation nationale dans l’histoire du pays. L’objectif affiché est celui de tourner la page des trente années de conflits avec l’Arménie, en levant les peines de tous ceux qui avaient participé à l'”opération antiterroriste” de 2023 - comprendre : le nettoyage ethnique du Haut-Karabagh. 

Moins reluisant, il y aussi l’enjeu de désengorger un système carcéral dramatiquement surchargé. L’Azerbaïdjan, avec environ 250 détenus pour 100 000 habitants, pointait il y a encore peu à la troisième place européenne du plus haut taux d’incarcération, seulement devancé par la Turquie alliée et la Géorgie voisine. La vague d’amnistie concerne en effet, certes les combattants de 2020 et de 2023, mais aussi des détenus de droit commun, enfermés pour diverses raisons, et dont les peines pourraient être réduites voire carrément annulées, à l’exclusion toutefois des condamnations les plus graves. Ce sont ainsi plus de 20 000 détenus qui bénéficieraient, sous réserve d’adoption du projet en seconde lecture, d’une clémence historique de l’Etat azerbaïdjanais.

 

Avec qui faire la nation ?

Mais si l’amnistie pardonne… l’amnistie oublie. Pas un mot, ni dans le texte de loi, ni dans la communication du gouvernement, sur la centaine de prisonniers arméniens, capturés à l’issue des affrontements de 2020 et 2023, et qui peuplent encore les geôles de Bakou. Ce petit groupe de détenus, aussi bien composé d’anciens hauts-dignitaires de la défunte République d’Artsakh que de soldats du rang est totalement ignoré par le projet de loi, strictement réservé aux azéris. L’état de santé dégradé de plusieurs de ces détenus continue de susciter l’inquiétude des ONG, dans la plus grande indifférence de l’Azerbaïdjan. *

 

On comprend donc mieux la signification de cette amnistie : il ne s’agit pas de tourner la page d’un conflit meurtrier, mais plutôt de signifier aux soldats azéris la reconnaissance que leur porte la patrie.

 

D’autres groupes de personnes sont en revanche visés par le projet, et viennent en révéler la véritable nature. Le texte soumis au Parlement fait mention de nombreux préjudices subis par le peuple azéri, et dont les victimes directes peuvent se prévaloir pour obtenir l’amnistie : les blessés du “génocide” de Khojaly, les “personnes déportées d’Arménie entre 1948 et 1954”, mais encore celles qui ont “combattu le fascisme pendant la Seconde guerre mondiale avec l’URSS” et même celles qui ont “participé à la gestion de la catastrophe de Tchernobyl”. 

Une liste hétéroclite, donc, dont la fonction principale est de donner une cohérence à l’idée nationale azérie. Alors que le pays célèbre en 2025 les trente ans de sa Constitution, le texte d’amnistie cherche les contours de son peuple, tout en énumérant les tragédies qui lui auraient fabriqué un destin national, et ce bien avant l’indépendance de 1991. Se voient alors reliés, par l’amnistie offerte, des individus forts différents d’époques forts différentes, mais auxquels le gouvernement de Bakou propose de se reconnaître comme membres d’un même peuple : celui qu’il gouverne. En sont donc logiquement exclus les arméniens, désignés comme coupables des différents crimes (massacre de Khojaly, déportations de 1948-1953, etc.) par lesquels la nation azérie se découvre un destin commun. 

Sans en bénéficier, les Arméniens sont donc bien présents dans le texte d’amnistie, qui entend leur faire jouer le rôle d’éternels persécuteurs. Il reste à s’interroger sur ce ressentiment arménien : faut-il y voir une démonstration de puissance de la pétro-dynastie Aliev, ou un aveu d’impuissance de l’Azerbaïdjan à formuler une idée nationale positive ?