« Srbazan, Vartchapet »!

Actualité
27.05.2024

Pari gagné pour le Primat du diocèse du Tavush, Bagrat Galstanyan, qui a rassemblé hier une foule considérable sur la Place de la République avant qu'il ne la conduise toute entière jusque devant les portes mêmes de la résidence du Premier ministre.

Texte et photos par Olivier Merlet

 

Ils n'étaient pas encore si nombreux Place de la République à 16 heures, heure convenue du rassemblement. 23 000 personnes, selon "l'Union des Citoyens informés", qui a ensuite oublié de les compter... Leur flot n'a en effet cessé de grossir : dès 17 heures, la place centrale de la capitale faisait le plein. Il est couramment de dire qu'elle peut en contenir autant que les 75 000 places du stade du Hrazdan... Le rassemblement était massif en tous cas et la ferveur était là, imposante.

Du haut de la tribune, l'archimandrite a tout d'abord souhaité observer une minute de recueillement en soutien aux victimes des crues et des inondations dans le Lori et le Tavush. Puis, entrant dans le vif du sujet, il s'est réjoui de pouvoir faire mentir ceux qui donnaient pour "éteint" son mouvement "pour la Patrie" lancé des frontières du Tavush fin avril. « Il avance patiemment, avec un agenda clair, sur un chemin sûr vers la victoire de la vérité désirée ». Après avoir rapporté les résultats des nombreux entretiens qu'il a mené ces deux dernières semaines, Bagrat Galstanyan a enfin esquissé les orientations que devrait suivre le nouveau gouvernement qu'il appelle de ses vœux. « Un gouvernement de réconciliation nationale fondé sur l'équité et la justice, en luttant contre les mensonges la haine et l'inimitié, pour le bien de la vérité ».

Son programme est cependant resté bien théorique, proposant de mener « une politique sans contradiction » et vis-à-vis des processus en cours de « geler à tout prix la situation actuelle ». Appelant bien sûr au retour « des personnes déplacées de force dans leur patrie », les Kharabaghtsis, à la libération des prisonniers détenus par Bakou, il a aussi parlé « d'amnistie », mais concernant cette fois « nos compatriotes détenus dans les prisons d'Arménie pour des accusations sans fondement ».

De l'économique au social en passant par la santé, l'éducation et la justice, tous les domaines de l'État - d'un État - ont été passés en revue, mais en termes de valeurs beaucoup plus que de réel programme. L'homme d'Église l'a d'ailleurs affirmé : « ce mouvement concerne les valeurs et le changement culturel ».

La foule n'en désirait pas davantage : c'est l'homme qu'elle attendait. « Srbazan, Vartchapet! Srbazan, Vartchapet! » scandait-elle à chacune de ses interventions : « le Saint-homme, (l'expression est difficilement traduisible), Premier ministre ! » Ne se faisant plus prier, le chef du diocèse de Tavush a enfin annoncé qu'après trente années de ministère au sein de l'Église, il demandait au Catholicos de le libérer de sa charge ecclésiastique afin de se tourner vers d'autres œuvres moins élevées, politiques cette fois, et se proposer devant le peuple comme candidat au poste de Premier ministre, l'exigence constitutionnelle préalable à la destitution de l'actuel, à condition que l'Assemblée nationale la demande. Bagrat Galstanyan a toutefois indiqué qu'il s'agissait d'un engagement transitoire, dans l'optique de ce processus et de la tenue de nouvelles élections auxquelles il ne souhaite pas se présenter.

Le slogan du jour est de nouveau monté de la foule, « Srbazan, Vartchapet! »,  puissant, sur fond d'un rideau de fumigènes violet, la couleur de "Tavush pour la Patrie".

« Je vous invite à venir rencontrer ce peuple », a alors lancé le futur-ex révérend à l'intention de Nikol Pashinyan, « mais vous ne venez jamais, bien sûr, votre légitimité juridique est épuisée. Nous partirons donc de cette place et nous rendrons à la maison d'été du gouvernement dans l'espoir de vous rencontrer ». Après quelques minutes d'hésitation et de négociations avec les autorités policières, un long cortège s'est constitué et a progressivement quitté la Place de la République pour ne cesser de grossir en direction de la résidence du Premier ministre, à un peu plus de deux kilomètres de là.

Tout s'est déroulé dans le calme, aucun heurt ni débordement. Rue Proshyan, là où le gouvernement met à disposition de son chef, du président de la République et du Parlement, leur logement de fonction, le dispositif policier était impressionnant. Protégé par cinq cordons de fonctionnaires casqués et abrités derrière une rangée de boucliers, le portail de la résidence d'État était bien gardé. Bérets rouges et noirs bloquaient le haut de la rue et d'autres escadrons se tenaient prêts dans celle adjacente de Derenik Demirtchyan.

« Nikol Pashinyan, nous avons un sujet à discuter ensemble ». Juché sur le toit de la voiture accompagnatrice, le révérend Bagrat a plusieurs fois interpellé le Premier ministre : « Nous ne sommes pas venus briser une porte ou une fenêtre que vous protégez avec tant de policiers. Nous sommes venus pour une simple conversation : votre départ paisible ».  Conscient du caractère explosif de la situation, Srbazan s'adressait aussi à ses partisans : « si vous n'avez pas de discipline, alors vous n'avez rien. Chers gens, soyez très disciplinés, ne permettez pas que des provocations, des auto-immolations, des cris bruyants se produisent dans nos rangs ».

En guise de cris bruyants, ce sont en fait des chansons que les manifestants ont entonnées pendant plus d'une heure qu'a duré le rassemblement, tenu et discipliné comme le voulait son leader. Les manifestants ont ensuite repris le chemin de la place de la République où allaient être données les consignes pour le lendemain, un nouvel appel à la désobéissance civile.

Elle a commencé dès huit heures ce matin par le traditionnel blocage des principales artères du centre de la capitale. Dans les provinces aussi d'ailleurs, à commencer par celles de Gyumri, la deuxième ville du pays. La répression musclée, crainte mais retenue la veille, s'est cette fois pleinement exprimée et dans toute sa brutalité : à treize heures ce lundi, on comptait plus de 273 arrestations.