Océane Mozas et Igor Skreblin, animaient l'ultime session de la saison 2021- 2022 de l'Atelier d'art dramatique.
Par Lusine Abgarian
L’aventure de l’Atelier d’art dramatique avait commencé au mois d’octobre dernier, lorsque Serge Avédikian avait posé les jalons du projet avec son premier atelier au théâtre Stanislavsky. 27 jeunes artistes arméniens y avaient participé venus de Stépanakert, de Chouchi, de Gumri, de Spitak, de Vanadzor et d’Erevan. La synergie du groupe entre les jeunes participants et des artistes français venus chaque mois transmettre les outils de l’art dramatique, a créé une atmosphère extraordinaire, où se marient les sensibilités linguistiques, entre le français et l’arménien, entre le russe et l’anglais parfois aussi, les méthodes de travail et les approches de la création théâtrale.
Comique, avec l'atelier de Pierre Pradinas en novembre, tragique, un mois plus tard, à travers l'incarnation de héros shakespeariens dirigés par Simon Abkarian et Catherine Schaub-Abkarian, costumée, lorsqu'Ariane Ascaride, en janvier, faisait parler aux jeunes artistes la langue de Marivaux, analytique enfin grâce à l'interprétation sur le plateau de l’Atelier des personnages tchékhoviens de Stéphane Braunschweig et Chloé Réjon.
La session animée par Océane Mozas et Igor Skreblin, clôt officiellement cette première saison de l’Atelier, la deuxième est déjà en cours d'élaboration. Le Courrier d’Erevan, partenaire du projet qui assure sa couverture médiatique, a rencontré les derniers artistes invités de cette édition et a recueilli leurs impressions de travail et leur ressenti sur ce premier séjour en Arménie.
Quels ont été vos débuts en tant qu’artistes ?
Océane Mozas : J’ai un parcours plus institutionnel qu’Igor. J’ai suivi un chemin plus classique en France, au conservatoire de Bordeaux. J'ai aussi été admise au conservatoire de Paris, mais je ne l’ai pas fait, parce que j’avais déjà commencé à travailler dans le théâtre public. Mon parcours est essentiellement lié au théâtre. J’ai fait peu d’image, c’est un choix personnel, j’aime profondément la scène.
Igor Skreblin : Moi, j’ai travaillé avec différentes compagnies, celle de Jean Négroni tout d'abord. Il m’avait conseillé de prendre contact avec le "Théâtre du Soleil". J’y ai fait plusieurs stages avant de le rejoindre officiellement pour un spectacle avec Ariane Mnouchkine, "Le Dernier Caravansérail ", grace auquel nous sommes partis en tournée mondiale. C’est là que j’ai rencontré ma « famille de théâtre ». J’ai travaillé avec Christophe Rauck, maintenant directeur de Nanterre-Amandiers, avec Simon Abkarian, lui-aussi sorti du Théâtre du Soleil. Nous avons joué des spectacles ensemble, avec sa compagnie, c’est ainsi que j’ai forgé mon travail d’acteur et de comédien, sur les bases que j’avais acquises là-bas. Notre deuxième maman c’est Ariane Mnouchkine.
Vous aviez déjà travaillé avec des acteurs arméniens comme Serge Avédikian et Simon Abkarian. C'était une évidence de venir travailler en Arménie, un pays que vous ne connaissiez pourtant pas ?
O.M. Oui, bien sûr. C’était avant tout le goût de l’aventure mais également le souhait de se confronter à d’autres approches du théâtre. Ce qu’on a pu percevoir dans les personnalités de Simon et de Serge, je le retrouve ici et après cette expérience je comprends beaucoup mieux. Je trouve que le peuple arménien est un peuple fantasque, un peuple poète, fantaisiste, créatif. J’ai retrouvé tout cela chez les élèves qu’on a pu côtoyer.
I.S. Quand il y a eu cette proposition, on a tout de suite eu envie de venir. Se posait donc la question sur la manière d’appréhender le travail, la langue, cette distance avec la langue. De par cette distance linguistique, pour nous aussi l'expérience a été forte. Cela nous a demandé beaucoup d’effort et de concentration, nous sortions plus fatigués de quatre heures de travail à l’Atelier qu'après une journée de répétition en France.
O.M. On était dans l'effort permanent de se faire comprendre. Il fallait qu’on soit très clairs et limpides, encore plus face à un étranger qui ne pratique pas notre langue.
Vous aviez choisi de travailler les pièces de Shakespeare, un auteur universel.
O.M. Oui, on a choisi trois pièces de Shakespeare. On a réalisé que les comédiennes et les comédiens arméniens connaissent très bien Shakespeare. On aurait aussi pu choisir des auteurs français, mais je trouve que nous avons bien fait d’opter pour cet auteur universel. Cela aurait peut-être été plus compliqué avec cette barrière de la langue si nous avions choisi Lagarce par exemple.
I.S. Shakespeare produit du jeu et instinctivement, je savais que cela conviendrait par rapport à l’histoire de l’Arménie. Je trouve que tout a très bien fonctionné. Les élèves comprenaient tout de suite quand je parlais par image. Je voulais aussi travailler sur les tragédies grecques, ce sera peut-être pour une prochaine édition. C’est quelque chose de très formateur et de même très parlant.
Est-ce que la sensibilité des acteurs évolue en fonction de la langue qu’ils pratiquent pendant le jeu ?
O.M. Bien sûr. Tous les acteurs disent qu’ils se sentent libre de jouer dans une langue étrangère ou avec un accent. Par contre, c’est vrai que quand ils sont dans la précision de la langue française, on sent que c’est un véritable effort. Mais je pense qu’avec l’effort de parler une autre langue, ils ont aussi appris quelque chose.
I.S. J’espère que cela leur a donné envie de travailler la langue française pour pouvoir se retrouver à Paris et peut-être même travailler là-bas. Par ailleurs, j’ai réalisé hier que l’arménien est une langue analytique et cela se sentait dans le jeu aussi.
O.M. On n’a pas la même vitesse de langue en français, d'expression orale. Cela agit sur le tempo intérieur et le jeu également.
Quels ont été vos impressions au début et à la fin de ce travail ?
O.M. Le choc s’est fait petit à petit. Au début on essayait de comprendre et le dernier jour du travail on s’est vraiment dit à quel point on avait pu identifier les ressemblances et les différences entre nous. C’est vrai qu’ici on trouve des gens très inventifs, très créatifs. Leur imaginaire est lié à une certaine innocence en quelque sorte, innocence que nous avons peut-être perdue en France.
I.S. Ils ont un rapport à l’enfance qui est parfois très naïf. Chez les jeunes acteurs français on ne le retrouve pas, ils sont très blasés. Cette naïveté, cette fraicheur, c’est tout ce qu’on demande au théâtre.
O.M. Ils proposaient beaucoup avec le corps et cela devenait plus compliqué parfois quand on passait à la parole. Ils se cachaient derrière un voile d’inhibition, de pudeur. Mais on a trouvé ces jeunes gens très proposants, très libres dans leurs corps, très imaginatifs, très fantaisistes et originaux. Ils ont une grande faculté d’expression corporelle. Les jeunes artistes français sont plus coincés, cela vient plus tardivement.
I.S. Ce que j’ai constaté aussi, c’est la soif d’apprendre. La faculté et même la facilité d'apprendre. Ce sont de véritables "buvards", ils absorbent tout et tout de suite. Nous avons noté une différence notable entre le premier et le dernier jour. C’était flagrant. Ils se sont appropriés les outils qui leur ont été proposés. C’etait le plus important et beau à voir.
Vous avez finalement découvert l’Arménie à travers sa jeunesse. Est-ce qu’eux vous ont transmis quelque chose pendant ces quelques jours ?
O.M. Oui, on réalisera sûrement plus tard les fresques qui nous ont percuté. Nous sommes sous l'émotion.
Il y a quelque chose de mélancolique ici, liée à l’histoire, à la guerre récente. Je sens la différence avec la jeunesse française que je trouve plus brutale, plus dure, plus angoissée, plus revendicative.
I.S. Pour conclure, on a été très heureux et très touchés. On a senti beaucoup de reconnaissance et d’amour. Il y a beaucoup d’ingratitude parmi les élèves en France. Ici c’est le contraire. C’est lié à la culture. Je pense qu’ici les gens sont profondément reconnaissants, gentils et respectueux.