Au matin du 10 novembre, à peine les nouvelles conditions du cessez-le-feu annoncées, le peuple arménien se réveillait stupéfait et totalement accablé. Jusqu’au bout, fort d’annonces rassurantes, il avait cru à la victoire, soutenu ses valeureux soldats, accueilli les familles qui fuyaient l’enfer de la guerre, refusé de laisser le doute ou la tristesse l’envahir.
Par Monique Bondolfi-Masraff, présidente de KASA
Et tout s’effondrait d’un coup, avec des conditions de reddition extrêmement douloureuses. L’émotion et le désarroi étaient à la mesure de l’espérance si longtemps entretenue. Comment faire face à ce qui n’était même pas envisagé la veille ? Entrechoc des émotions, allant de la colère à la tristesse, d’un sentiment aigu d’injustice et d’abandon à un total désarroi. Tout ça pour rien ? Et même moins que rien, pire ?
Petit à petit les uns et les autres ont tenté d’analyser la situation. N’avaient-ils pas ignoré des signaux négatifs, certes discrets, mais réels ? D’aucuns, peu écoutés car qualifiés d’oiseaux de malheur, ont rappelé qu’ils avaient mis en garde contre trop de confiance. Comment ne pas voir que David se battait contre Goliath, une petite armée de valeureux patriotes arméniens contre celle d’un pays de neuf millions d’habitants conseillé et soutenu par un autre de 90 millions, sans oublier le renfort de mercenaires djihadistes touchant une prime de 100 $ par tête d’ennemi coupée… Et, le pire, des drones de nouvelle génération rendus plus redoutables en 2020, capables de larguer avec une grande précision des balles à sous-munition - ces dernières livrées par Israël, apparemment totalement oublieux de sa communauté de destin avec les Arméniens…- qui fauchaient de jeunes soldats largement impuissants dans cette guerre quasi invisible. Et, encore plus incompréhensible certains responsables n’ont-ils pas lâchement abandonné leurs troupes ? Mais était-il imaginable de continuer les combats dans une situation aussi déséquilibrée ?
Néanmoins comment assumer cette déroute militaire ? D’aucuns nous ont dit se sentir impuissants, voire coupables : de ne pas avoir réussi à préserver leur précieux patrimoine, de ne pas avoir tenu aussi bien que leurs prédécesseurs ou ancêtres. A quoi nous aimerions leur répondre qu’Il y a certes eu une déroute militaire, dans un contexte par trop inégal. Néanmoins ne doit-on pas tout autant saluer l’héroïsme de ces soldats et de ces volontaires, et d’une population entièrement consacrée à les soutenir ? Et se persuader qu’ils vont continuer à mobiliser toute leur énergie pour ne pas baisser les bras, en refusant de laisser les fake news et les oiseaux de proie abuser de cette situation extrême pour créer le chaos et tuer la démocratie ? Et surtout qu’ils vont faire preuve d’une imagination inédite pour repérer toutes les possibilités d’amélioration et retrouver le goût de se battre, en vue d’autres combats plus pacifiques, à des niveaux multiples :
- Sur le plan humanitaire accompagner au maximum les familles d’Artsakh qui s’interrogent sur leurs possibilités de retour et les arméniennes qui ont des membres tués ou blessés.
- Sur le plan moral faire preuve de noblesse d’âme en refusant d’entretenir des sentiments de haine et de destruction, aussi justifiés soient-ils.
- Au niveau politique présenter un front uni pour continuer dans la légalité.
- En termes diplomatiques œuvrer, en lien avec les éléments les plus dynamiques du pays et de la diaspora, pour interpeller l’OCDE en rappelant le rôle que doit jouer le groupe de Minsk. N’y a-t-il pas des points apparemment mineurs dont la renégociation pourrait ouvrir des portes inattendues ?
Et au final, croire qu’à plus ou moins long terme le courage paie toujours. Peuple éminemment résiliant les Arméniens doivent continuer à surprendre les autres peuples. Car porter haut son identité se joue d’abord sur le plan éthique, en défendant des valeurs, d’honnêteté, de réflexion, de démocratie, en misant sur ce qui a toujours fait la grandeur du peuple arménien, sa capacité de création et de rebond. Dans le domaine de la réflexion, de la recherche, de l’éducation, de l’économie, de la société les Arméniens ont encore de belles cartes d’intelligence et de cœur à sortir. A vos cartes, résolument !