La Francophonie vue par l’Ambassadeur de Suisse, Lukas Rosenkranz

Arménie francophone
26.07.2024

Pour sa deuxième interview dans le Courrier, l’Ambassadeur Lukas Rosenkranz revient sur la Saison de la Francophonie, et plus largement sur le rôle de l’Organisation internationale de la Francophonie en Arménie.

Par Théotime Coutaud

 

Vous êtes Ambassadeur de Suisse en Arménie, mais aussi président du Groupe des Ambassadeurs francophones…

Effectivement, j’ai le rôle modeste de président du Groupe des ambassadeurs francophones (GAF). Le GAF regroupe les membres des ambassades présents sur place et observateurs de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF). Il coordonne les échanges entre les autres ambassadeurs des pays membres observateurs de l’OIF. Nous nous focalisons sur les questions culturelles et éducatves. Évidemment, le rôle principal revient au ministère arménien de l'Éducation, des Sciences, de la Culture et des Sports. L'Ambassade de France, de son côté, est responsable d’un grand nombre d’activités culturelles ainsi que de l’enseignement du français.

De quelle nature sont les échanges entre la Suisse et l’Arménie ?

Les relations bilatérales sont excellentes et diverses. Elles pourraient encore être intensifiées, notamment dans le domaine commercial. La Suisse reste parmi les 10 premières destinations d’exportation, même si le volume total a baissé (selon les chiffres arméniens, à 84 millions de dollars en 2023 - une diminution de 60% - et 42 millions pour les importations). Du côté de l’ambassade, nous déployons des efforts visant à une telle intensification. Par exemple, à l’occasion de la conférence de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD) à Erevan cette année, nous avons organisé des "Swiss Days" avec plusieurs entreprises suisses sur place.

La coopération au développement est un élément central des relations bilatérales. Il s’agit en principe d’un programme régional pour les trois pays du Caucase du Sud, l’Arménie, la Géorgie, et l’Azerbaïdjan. Toutefois, la mise en œuvre de la plupart des projets a lieu au niveau bilatéral. En Arménie, le volume financier de ces projets est d’environ 4-5 millions de francs suisses par an. Nous sommes tout particulièrement actifs dans les zones les moins développées, notamment les zones rurales. Quatre axes définissent le programme : protection et promotion de l’engagement civique, renforcement de la démocratie et des institutions publiques, développement économique, résilience vis-à-vis du changement climatique – bien entendu en étroite coopération avec les autorités arméniennes.

Outre le programme de coopération régulier, la Suisse a apporté plusieurs contributions sous forme d’aide humanitaire ces dernières années. Après l’incursion militaire par l’Azerbaïdjan en septembre 2022, la Suisse a soutenu les municipalités touchées près de la frontière à hauteur d’environ un million de francs suisses. Un million et demi supplémentaire a été débloqué l’année dernière dans le contexte de la crise des réfugiés. Ce printemps, après les crues dévastatrices du Debet dans le Lori, la Suisse était parmi les premiers à aider l'Arménie, en envoyant experts et ingénieurs. D’ailleurs, dans ce domaine, des passerelles seront construites sur plusieurs tronçons afin de rétablir l'accès et la circulation entre les deux rives.

Quel regard portez-vous sur la Saison de la Francophonie 2024, la deuxième depuis votre entrée en fonction en 2022 ?

Il est intéressant qu’on parle ici d’une “saison” de la Francophonie. Dans les autres pays, il s’agit plutôt d’une semaine ou d’un mois de la Francophonie. En Arménie, la saison s’étend sur au moins deux mois.

C’est une année spéciale puisqu’il y a eu le centenaire de deux grands, Charles Aznavour et Sergeï Paradjanov. C’était une chance unique pour mieux connaître l'œuvre de Paradjanov, en particulier pour la présenter aux non-Arméniens. J’ai trouvé que le spectacle de danse moderne à l’Opéra; “La couleur de la grenade”; a été un moment fort, une communion magnifique.

2024 a été une saison encore plus active que l’année dernière. Le Canada et la Belgique, deux pays qui étaient déjà actifs pendant la Francophonie, sont maintenant présents sur place.

D’ailleurs, certaines manifestations culturelles ne se sont pas déroulées en français, mais dans une autre langue, généralement européenne, et sous-titrées en français. Ce qui correspond tout à fait aux valeurs de la francophonie, car elle met généralement la diversité au premier plan. La Francophonie, c’est la langue française, mais aussi la diversité linguistique. En Arménie, malheureusement, les membres de l’OIF sont relativement peu nombreux : un seul pays africain est représenté, l’Égypte, avec une ambassadrice très active.

En dehors d’Erevan, comment la Francophonie est-elle présente en Arménie et dans le Caucase du Sud ?

Il y a eu des évènements culturels dans les régions, en particulier à Gyumri. Des écoles et universités enseignent le français et jouent un rôle clef dans ce domaine.

Outre la différenciation géographique au sein de l’Arménie, je voudrais également souligner la diversité thématique. Par exemple, cette année, l’OIF a mené une mission d’évaluation sur la lutte contre la désinformation, en coopération avec le bureau régional de l’OIF situé à Bucarest. La coopération économique joue aussi un rôle important.

Par ailleurs l’Arménie est présente sur TV5Monde, première chaîne télévisée généraliste mondiale en langue française et dont la Suisse est l'un des pays fondateurs. TV5Monde a l’ambition d’être l’expression de l’espace francophone, dans toute sa diversité. Elle a diffusé des programmes sur la Géorgie et l’Arménie, sur l’Arménie et la Francophonie.

La Géorgie, si elle fait partie du GAF, n'a toutefois que le statut d’observateur au sein de l'OIF, l’Azerbaïdjan par contre n'y tient aucun rôle.

Pour conclure, quelles sont les ambitions francophones de l’Arménie ?

En général, les autorités arméniennes seraient bien sûr mieux placées pour répondre à cette question. Les Jeux de la Francophonie 2027 auront lieu à Erevan, c’est certainement une priorité pour l’Arménie. Il s’agira d’un événement d’une toute autre envergure. Et nous nous en réjouissons.

Pour autant que je puisse commenter cela « de l’extérieur », l’Arménie apprécie l’OIF aussi comme organisation politique. Il convient de noter que l’Arménie a joué un rôle important dans l’OIF. Elle en a eu la présidence pendant le COVID. Le Sommet de la Francophonie a eu lieu à Erevan en 2018. Pour résumer cela, l’Arménie a contribué fortement à l’OIF, bien plus que la taille du pays ne le laisse deviner.

Pour l’Arménie, l’OIF représente l’une des organisations internationales dont les valeurs fondamentales sont importantes dans le contexte des tensions avec l’Azerbaïdjan. Par exemple, j’aimerais rappeler que la Secrétaire générale de l’OIF, Louise Mushikiwabo, a souligné en octobre dernier « la nécessité de protéger le patrimoine culturel et religieux arménien dans les régions du Haut-Karabakh ». Cette déclaration a été saluée en Arménie. L’OIF joue aussi un rôle de protecteur de la culture.

L'engagement francophone de l’Arménie témoigne de son désir de renforcer ses liens internationaux et de promouvoir des valeurs communes de diversité et de solidarité. Les défis à venir, tels que l'organisation des Jeux de la Francophonie 2027, sont de belles opportunités pour consolider ces efforts et démontrer l'importance de la Francophonie dans la région.