Journalisme au Liban: entre tensions et informations

Région
16.12.2024

Depuis le début des bombardements d’Israël au Liban, en octobre dernier, le peuple libanais a été plongé dans la peur et l’inquiétude. Quant à la presse, les journalistes libanais font preuve de courage en allant sur le terrain récolter des informations malgré les risques quotidiens de nouvelles frappes.

 

Par Ralph Sammouri

L’histoire du Liban a toujours été tumultueuse et complexe, notamment parce que le pays n’a jamais eu de véritable histoire nationale commune. Les religions ont toujours été au cœur du pouvoir politique. C’est probablement le seul pays au monde dont la constitution est basée sur la multi confessionnalité.

En une soixantaine d’années, le pays est passé de celui qui avait le plus grand potentiel de la région, surnommé la ‘’Suisse du Moyen-Orient’’, à un pays qui n’a fait que régressé et finir complètement détruit, aussi bien économiquement que politiquement, sans aucune unité du peuple libanais.

La situation actuelle montre à quel point le pays est au bord du précipice, d’autant que ses ‘’alliés’’ historiques l’ont laissé tomber.

Pour mieux comprendre ce qu’il se passe sur place, nous avons interrogé Roula Douglas, professeur de l'Université Saint-Joseph de Beyrouth, représentante de l'Union internationale de la Presse francophone au Liban, qui travaille également avec l’Orient-le-Jour, sur la situation du journalisme ainsi que l’atmosphère générale dans le pays. Voici ce qu'elle nous a confié :

‘’L’accès à l’information est plutôt bon et aujourd’hui, les mesures prises par les médias sont plus respectées qu’avant. Dans le sens où la plupart d’entre eux se sont mis au diapason au niveau du matériel de protection fourni aux journalistes. Ça n’a pas toujours été le cas. Malgré cela, il y’a toujours pas mal de risques. Depuis le début de la guerre, il y’a eu pas mal de pertes (morts) et blessures graves (amputations, etc…)"  

 


Roula Douglas

 

Au sujet d’une éventuelle solidarité du peuple libanais, voici ce qu’elle dit :

‘’Oui, j’ai observé un élan de solidarité très émouvant, surtout quand on connait le contexte et les divergences internes (politiques, religieuses, etc…) Cette solidarité se matérialise sous plusieurs formes, à travers des initiatives menées par des organisations, ou créés par des jeunes. Malgré tout, une crainte de tensions ou dérapages internes reste présente’’.

 

Par rapport à l’inaction des Occidentaux :

‘’Le peuple libanais est globalement déçu de la France et de l’Occident, mais cela remonte déjà à 2020 et l’épisode de l’explosion du port de Beyrouth.’’

 

Enfin, sur une la naissance éventuelle d’une nation libanaise une fois ce conflit terminé :

‘’Je pense que c’est trop tôt pour l’envisager, car d’après mon expérience, malgré la belle solidarité du moment, cela ne suffit pas pour y arriver. Le passé du Liban étant très lourd, tant qu’il n’y aura pas une identité commune, ce sera difficile.’’

 

Le Sud Liban, lieu de tension et de peur constante pour les journalistes libanais

‘’Les Libanais ont grandi avec cette culture de la guerre et de la destruction. Tous les 2,3 ans nous vivons la guerre, tous les 2,3 ans, quelque chose arrive’’.  Lyne.S, est journaliste pour le média Ici Beyrouth. Elle s'est rendue au Sud Liban, pour y faire un reportage sur la situation chaotique dans la région. Dans le cadre d’une interview pour la télévision libanaise, elle a témoigné de ce qu’elle a vu : 

" Lorsque vous vous rendez là-bas, vous vous attendez à ce qu'il n'y ait plus aucune forme de vie, et lorsque je suis sorti de la voiture j'ai vu des gens. Pas énormément mais un nombre quand même significatif.

Des personnes qui sont restées là, malgré les bombardements, dans des villes et villages qu'ils considèrent comme étant leur maison ’’.

J'ai vu cela comme étant un symbole de comment sont les Libanais : ‘’ Ils ont grandi avec cette culture de la guerre et de la destruction. Tous les deux/trois ans nous vivons et nous voyons la guerre, tous les deux/trois ans quelque chose arrive. Et malgré tout cela, on voyait toujours une lueur d'espoir dans les yeux des gens ’’.

 
   

 

" Ce qui m'a aussi marqué c'est que lorsque je suis allé sur la côte principale, endroit que j'avais déjà visité, j'avais des flashs des gens qui allaient au restaurant, des enfants qui jouaient sur la plage.

Comme une visualisation de comment c'était avant et de ce que c'est devenu maintenant"

 


Lyne S.

Lors de ce reportage, elle a également pu échanger avec plusieurs journalistes, dont un de l'AFP, qui avait une histoire inspirante :

"Il m'a raconté à quel point la situation était tendue au Sud Liban, lorsque lui et des collègues ont été blessés par une frappe israélienne. C'est assez terrible de voir comment les journalistes vivent constamment avec la peur. Il me disait que même si le lieu où ils tournaient leur met à disposition des chambres pour dormir, c'était impossible pour lui de fermer l'œil. Il m'a montré la façon dont il a aménagé la chambre avec la caméra juste à côté du lit, de sorte à pouvoir partir le plus vite possible en cas de danger ! C'était vraiment touchant et inspirant car cela nécessite beaucoup de courage et de bravoure pour couvrir tout ça et être un journaliste de guerre"

 

Un accord de cessez-le-feu a finalement été trouvé le 28 novembre dernier. Reste à savoir si celui-ci sera durable et si la communauté internationale va faire son devoir d’aider l’armée libanaise à se renforcer au Sud Liban.

 

Et la communauté arménienne dans tout ça?

Actuellement, un regain d’optimisme commence à se dessiner. On espère que la paix sera rétablie et que la vie reprendra son cours.

Pour comprendre le point de vue des Arméniens du Liban, nous avons interrogé Shahan Kandaharian, rédacteur en chef du journal arménien Azdag à Beyrouth :

‘’La communauté arménienne dans son ensemble se trouve loin du sud du Liban et de la banlieue sud de Beyrouth, donc loin de la zone de guerre. Dans le temps, il existait bien une communauté arménienne organisée dans le sud, cependant aujourd’hui elle n’existe pas. Mais, il y a certes toujours quelques Arméniens qui vivent et travaillent là-bas. 

La communauté dispose de plusieurs organisations caritatives. Ces dernières ont tenu des réunions conjointes et coordonné leurs travaux pendant la guerre. Chaque confession dispose également de sa propre organisation caritative. Ces organisations caritatives arméniennes aidaient déjà les membres de la communauté compte tenu de la situation économique difficile du pays.

 

Actuellement, un regain d’optimisme commence à se dessiner. On espère que la paix sera rétablie et que la vie reprendra son cours.

 

Par exemple, au vu de la situation il semble se former une position unifiée concernant l’élection présidentielle. Tout le monde est d’accord qu’il faut élire un président. Reste à se mettre d’accord sur un nom. 

La communauté arménienne comme toutes les autres communautés espérait un cessez-le-feu. Je pense qu’il y aura des incidents et des violations, mais qu’une nouvelle guerre sera évitée. Enfin, pour cette période en tout cas."