"L’Arménie apprécie hautement l’attention que porte la France à l’égard des problèmes ayant une importance vitale pour notre peuple"

Opinions
09.07.2019

L'interview de Hasmik Tolmajyan, Ambassadeur d'Arménie en France, à l'agence ARMENPRESS.

Madame l’ambassadeur, comment qualifieriez-vous les relations franco-arméniennes à l’heure actuelle ?

Je pense qu’en toute objectivité, on peut les qualifier de « privilégiées ». En témoigne le dialogue politique étroit qui existe déjà au plus haut niveau entre les deux Etats, ainsi que le développement croissant dans tous les domaines, sans exception, de la coopération bilatérale. Bien entendu, les relations d’amitié pluriséculaires entre les peuples arméniens et français ont servi d’une solide base à l’établissement de liens étroits entre les deux Etats dès l’accession de l’Arménie à l’indépendance. Je tiens également à souligner le rôle majeur que joue dans le renforcement de cette amitié la communauté de près de 600 000 Français Arméniens. 

La genèse de cette tradition d’amitié franco-arménienne se situe à l’époque du royaume arménien de Cilicie. Je voudrais, à ce titre, citer un fait historique assez éloquent qui témoigne à lui seul de la profondeur des liens unissant nos deux peuples. Le dernier roi d’Arménie, Léon VI est le seul monarque étranger dont la dépouille repose auprès des rois de France, dans la nécropole royale de la basilique cathédrale de Saint Denis. Au cours des siècles suivants, l’amitié franco-arménienne s’est constamment nourrie et enrichie des multiples échanges culturels, académiques et commerciaux qui se sont développés entre Français et Arméniens. Après le Génocide arménien, des centaines de milliers de survivants ayant trouvé refuge en France ont apporté leur contribution à la formation en France de ce capital de sympathie envers le peuple arménien, perceptible aujourd’hui dans toutes les couches de la société française.

Quelles sont les principaux piliers de la coopération bilatérale ?

Le dialogue politique étroit établi entre les hautes autorités des deux pays occupe une place significative dans la qualité privilégiée de ces relations. Ce dialogue se renforce grâce aux visites réciproques qui ont lieu régulièrement : ainsi, au cours de la seule année écoulée, le Président Macron et le Premier ministre Pashinian se sont rencontrés à 5 reprises. Les deux responsables politiques ont saisi la première occasion propice après la révolution de velours pour se rencontrer, en juillet dernier, en marge du sommet de l’OTAN qui se tenait à Bruxelles. En septembre de la même année, le premier ministre Pashinian se rendait déjà à Paris dans le cadre d’une visite de travail. Le 4 octobre, les deux chefs d’Etat se tenaient côte à côte lors de la cérémonie de l'hommage national à Charles Aznavour. La rencontre suivante a eu lieu à Erevan à l’occasion du sommet de la Francophonie, et un mois après, le Président Macron et le premier ministre Pashinian se retrouvaient de nouveau, à Paris, dans le cadre de la commémoration du centenaire de la fin de la Première guerre mondiale.

Il est à noter également que quelques jours après la révolution de velours de 2018, le premier officiel étranger s’étant rendu en Arménie était le ministre français des Affaires étrangères et européennes Jean-Yves Le Drian. Les 16-18 avril dernier c’était au ministre des Affaires étrangères arménien Zohrab Mnatsakanyan de se rendre en France et fut à nouveau l’occasion d’échanger, au niveau des ministres, sur des sujets d’actualité relevant de la coopération bilatérale.

L’Arménie apprécie hautement l’attention que porte la France à l’égard des problèmes ayant une importance vitale pour notre peuple. La France, en tant que coprésidente du Groupe de Minsk de l’OSCE, est fermement engagée dans le processus de règlement du conflit du Haut-Karabagh ainsi que dans l’établissement dans notre région d’une paix et d’une sécurité durables. La France est également un partenaire crucial pour la République d’Arménie dans ses relations avec l’Union européenne. Une excellente coopération existe entre les deux pays au sein des organisations internationales tels que l’ONU, le Conseil de l’Europe, l’OSCE. Je voudrais souligner en particulier la coopération dans le cadre de l’Organisation internationale de la Francophonie à laquelle le sommet de la Francophonie tenue à Erevan en octobre dernier a sans conteste donné un nouvel élan.

L’un des socles de ces relations privilégiées franco-arméniennes est la coopération interparlementaire, ainsi que la coopération décentralisée mise en place entre plusieurs dizaines de collectivités des deux pays. 

La coopération bilatérale se développe de manière dynamique dans les secteurs de l’éducation et universitaire. Le meilleur exemple à citer est l’Université française en Arménie qui prépare, depuis plus de deux décennies, des spécialistes de qualité et occupe une place particulière parmi les institutions d’études supérieures de notre pays. L’année dernière, une nouvelle faculté d’informatique et de mathématiques appliquées a ouvert ses portes aux étudiants qui formera ainsi des spécialisés des nouvelles technologies, secteur en plein essor en Arménie, et contribuera bien évidemment au développement de la coopération bilatérale dans ce domaine.

Plusieurs universités en France offrent des études d’arménologie ; la chaire d’arménien à l’Institut national des langues et civilisations orientales (INALCO) ayant été fondée, quant à elle, en 1799.

Un autre bel exemple de la coopération scientifique et universitaire est le superordinateur offert à l’Arménie par l’Université de Toulouse. Celui-ci sera installé à la Cité d’ingénierie et pourra être utilisé pour la recherche dans les domaines de la défense, de la santé, de l’éducation, de l’écologie et de la géologie, ainsi que dans l’industrie nucléaire, notamment dans la faisabilité des opérations du cycle du combustible, dans la programmation de réacteurs nucléaires et thermonucléaires, la création d’ordinateurs quantiques, la biologie numérique et la chimie.

L’Arménie, également, partage volontiers sa propre expérience avec ses partenaires français, et nous sommes ravis lorsque ceux-ci s’associent à nos succès. Comme vous le savez, il y a quelques mois, à l’initiative de la Maire de Paris, une antenne de l’école TUMO a été inaugurée à Paris, en présence du Maire de Erevan, du ministre arménien de l’Education nationale et du Commissaire européen à l’Innovation. L’ouverture de l’école TUMO à Paris n’est pas qu’un exemple remarquable de coopération dans le domaine de l’éducation innovante entre les deux pays, elle est chargée également d’une symbolique forte : en important cette marque de fabrique arménienne, Paris l’a ainsi internationalisée.

Quelle est votre perception de la communauté arménienne de France ainsi que de son rôle dans le rapprochement franco-arménien ?

Par l’exemplarité de son intégration, sa loyauté, par sa contribution significative au rayonnement culturel, économique et politique de la France, cette communauté, la troisième au monde par son importance après celles des Etats Unis et de la Fédération de Russie, a créé dans la société française un capital de sympathie envers le peuple arménien et constitue un pont naturel entre nos deux pays.

La célèbre formule de Charles Aznavour sur le fait d’être 100 pour cent Arménien et 100 pour cent Français, décrit remarquablement bien, à mes yeux, ces Français Arméniens profondément fidèles à leurs racines, leur identité arménienne tout en étant des citoyens français exemplaires.

Elle a réussi à créer un large réseau d’associations arméniennes représentées essentiellement au sein du Conseil de Coordination des Associations Arméniennes de France. Celui-ci organise un dîner annuel désormais traditionnel honoré par la présence du Président de la République française, ce qui à son tour traduit d’une part l’excellente intégration de la communauté arménienne et d’autre part la sympathie générale et l’estime dont elle jouit aussi bien près des autorités que la société française dans son ensemble. Je rappelle que c’est au cours de ce dîner précisément, le 5 février dernier, que le Président Emmanuel MACRON a annoncé qu’il fera du 24 avril une journée nationale de commémoration du Génocide arménien, précisant que « l’histoire des Arméniens de France est une histoire française». D’ailleurs, la participation des plus hautes autorités de la France à la cérémonie de commémoration traduit également le respect de la France pour l’histoire et la mémoire collective de ses citoyens d’origine arménienne.

Quel est votre commentaire sur l’annulation par les tribunaux français des chartes d’amitié signées avec des communes en Artsakh ?

Naturellement, toutes les questions qui touchent de près ou de loin les intérêts du peuple arménien et l’amitié entre les peuples français et arménien sont au centre de notre attention. Je m’abstiendrai de commenter les procédures judiciaires relevant des compétences internes de la France. Dans le même temps, j’estime importants la mise en place et le développement d’espaces communs d’échanges amicaux entre les peuples français et arménien dont la coopération décentralisée entre collectivités territoriales fait partie, et le conflit du Haut-Karabagh ne devrait pas constituer un obstacle à ce processus, ni faire l’objet d’instrumentalisation.

Revenons aux indices économiques. Pourriez-vous nous dire quels sont les indices d’échanges commerciaux entre les deux pays et quels en sont les principaux secteurs ? Quel est le potentiel dont dispose l’Arménie pouvant attirer les investisseurs français, quels sont les secteurs susceptibles de les intéresser ? Quelles sont les perspectives dans le domaine du tourisme notamment ?

Tolmajyan: La France continue à occuper des positions importantes en termes du volume d’investissements dans l’économie arménienne. De grandes entreprises françaises, telles que Carrefour, Véolia, Crédit Agricole, Pernod-Ricard, sont implantées en Arménie. Néanmoins, le niveau de la coopération bilatérale économique est encore inférieur à celui des relations politiques, et des mesures sont prises de part et d’autre pour exploiter au mieux le potentiel d’une coopération économique, notamment dans le domaine des hautes technologies, des énergies renouvelables, du tourisme, de l’agriculture et de l’écologie. Le PM Nikol Pashinian, en visite de travail à Paris en septembre dernier, avait rencontré les représentants du Patronat français dans le cadre d’une réunion organisée par le MEDEF, au cours de laquelle il a présenté les mesures mises en place par le gouvernement en vue d’encourager l’entrepreneuriat et de garantir la concurrence équitable. Ces mesures favoriseront, je l’espère, l’introduction dans le marché arménien de nouvelles entreprises et davantage d’investissements français. D’une part, l’adhésion de l’Arménie à l’Union économique eurasienne qui représente aujourd’hui un marché de libre-échange totalisant 170 millions de consommateurs, d’autre part le système commercial GSP+ mis en place entre l’Arménie et l’Union européenne, toutes deux associées aux réformes économiques et fiscales entreprises dans le pays, devraient offrir de nouvelles possibilités de coopération aux entreprises françaises et arméniennes.

L’un des secteurs les plus prometteurs pour une coopération bilatérale est sans doute celui des hautes technologies. Pour la première fois l’Arménie présentait son pavillon au Salon d’innovation de Paris, Vivatech 2019, il y a quelques semaines. Le pavillon arménien regroupait plus d’une dizaine de start-up qui ont pu ainsi partager leurs projets et leurs expériences dans le domaine des nouvelles technologies avec des acteurs français et internationaux importants. Présent au salon, le ministre de l’Industrie numérique de la République d’Arménie Hakob Arshakan a eu une série de rencontres avec des dirigeants d’entreprises leaders dans ce domaine pour leur présenter les opportunités d’investissement en Arménie.

Dans le secteur du tourisme, le nombre de Français visitant l’Arménie est en croissance constante au cours des dernières années. Bien entendu, les Français d’origine arménienne représentent un nombre important parmi eux, mais je dois dire que les Français non arméniens s’intéressent, eux aussi, de plus en plus de l’Arménie.

Existe-t-il des projets d’événements en France dédiés à la mémoire de Charles Aznavour ?

Il y a un mois, le 22 mai, la France a fêté le 95ème anniversaire de l’artiste. A cette occasion un panneau commémoratif a été inauguré près de l’immeuble où Aznavour a passé les premières années de sa vie à Paris. Le jour même, sur le parvis de l’Hôtel de ville de Paris a eu lieu un grand concert d’hommage au chanteur. Il est prévu prochainement d’inaugurer la statue d’Aznavour à Paris qui par ailleurs donnera son nom à l’allée prolongeant le Jardin de Erevan, situé au cœur de la capitale française. Dans un certain nombre de villes de France, comme Marseille, Clichy, Chaville, Alfortville, Issy-les-Moulineaux, et d’autres encore, des places, des salles de théâtre portent désormais le nom de Charles Aznavour.

L'Accord de partenariat global et élargi entre l'Arménie et l'UE a déjà ratifié par 15 États. A quel stade se trouve le processus de ratification de l'accord par la France?

L'Arménie apprécie hautement le soutien de la France dans le cadre de la coopération entre l'Arménie et l'UE. Nous sommes certains que cet accord deviendra une nouvelle plate-forme pour l’approfondissement de la coopération bilatérale.

Le 26 mars dernier, la Commission des affaires étrangères de l'Assemblée nationale française a approuvé à l'unanimité le projet de loi portant sur la ratification de l’accord ; sa ratification est prévue prochainement.

Le 10 avril, le Président Macron a signé un décret reconnaissant le 24 avril comme Journée nationale de commémoration du Génocide arménien. Quelle est votre appréciation des mesures prises par la France pour une reconnaissance internationale du Génocide arménien ?

La France joue un rôle crucial dans le processus de reconnaissance internationale du Génocide arménien. Elle est le premier Etat au monde qui en 2001 a donné force de loi à la reconnaissance du génocide arménien. Le Président français était présent à Erevan à la cérémonie commémorative du centenaire du Génocide. Des dizaines de monuments en France, des places, des squares, des rues, sont consacrés à la mémoire des victimes du Génocide.

L’initiative du Président Macron d’inscrire le 24 avril dans le calendrier républicain comme journée nationale de commémoration marque une étape importante dans le processus de reconnaissance internationale du Génocide arménien. Cette année, plus de 70 communes françaises ont organisé des cérémonies et diverses manifestations commémoratives, en présence de députés, sénateurs et maires. Comme vous le savez sans doute, le premier ministre français, ainsi que la maire de Paris ont honoré de leur présence la cérémonie officielle qui s’est déroulée à Paris, en présence de dizaines de ministres, parlementaires, maires, personnalités officielles et politiques. Cette journée de commémoration officielle a été largement commentée dans les médias français. Le Président Macron a adressé un message de solidarité au peuple arménien.

Madame l’ambassadeur, lors du dernier dîner du CCAF le Président Macron avait annoncé son intention de se rendre en Arménie. Avez-vous des précisions quant aux dates de cette visite ?

Le Président Macron a, en effet, annoncé qu’il avait l’intention de se rendre en Arménie en visite bilatérale. Les instances diplomatiques des deux pays travaillent pour définir ensemble les dates les plus propices à ce voyage. Et je suis convaincue que cette visite donnera un nouvel élan fort à l’amitié franco-arménienne.