Les formes alternatives de l'intégration à l'Union européenne en cours d'été à l'UFAR

Complément spécial UFAR
Date: 
31.07.2023

Le professeur Andreas Kellerhals, directeur de l'Institut Europa de l'Université de Zurich était l'invité de l'UFAR pour la deuxième session de ses cours d'été consacrés à l'intégration européenne. Avec Garine Hovsepian, son hôte, doyenne de la faculté de droit et organisatrice de la formation, les deux universitaires reviennent sur sa finalité et son déroulement. À l'heure où l'Arménie se retrouve confrontée à des choix cruciaux d'alliance, tant politiques qu'économiques, le sujet n'a pas manqué de provoquer bien des débats, et pas seulement de la part des étudiants.

Par Olivier Merlet

 

Pour la deuxième année consécutive, l'Université Française en Arménie organisait début juillet une session intensive hors cursus consacrés à l'Union européenne. Lancée pour la première fois en 2022 en partenariat avec l'Institut Europa de l'Université de Zurich, cette formation s'adresse avant tout aux étudiants de droit en dernières années de licence et aux alumnis fraichement diplômés, avec un certain nombre de places réservées pour les étudiants intéressés des autres disciplines offertes à l’UFAR (gestion, marketing, finances, informatique et mathématiques appliquées).  Les places sont en effet limitées - 24 élèves y assistaient cette année.  Sa finalité est avant tout académique : un apprentissage visant à fournir plus d'informations - et quelques armes !- aux jeunes citoyens qui s'intéressent à ces grandes unions. « Je veux que nos jeunes comprennent et réalisent ce qu'est et ce que n'est pas l'Europe et comment l'Arménie se positionne dans ce cadre. De quoi a-t-elle besoin de manière prioritaire et quelles sont les meilleures solutions pour l'obtenir – si bien entendu c’est ce qu’elle souhaitait » explique Garine Hovsepian, doyenne de la faculté de droit.

Tout comme l'an dernier, la formation s'est étalée sur trois semaines aux programmes bien distincts, trois soirs par semaine, la plupart des participants exerçant déjà une activité professionnelle dans la journée. « La première semaine est toujours introductive et consacrée à des questions générales. Cette année, le programme porte sur les formes alternatives de l'intégration à l'Union européenne », précise le professeur Andreas Kellerhals, directeur de l’Institut Europa de l’Université de Zurich, présent à Erevan pour intervenir auprès des étudiants, mais aussi lors de la conférence de lancement qui était ouvert au grand public.  «La deuxième semaine, nous abordons les questions bilatérales et de politique étrangère de l'Europe. Pour la troisième, nous choisissons un sujet spécifique dont nous pensons qu'il participe de l'intérêt de cette formation. Cette année, nous avons retenu celui du changement climatique et de la sécurité énergétique ».

« Bien sûr, nous sommes en Arménie, et l'accent est mis sur les modèles alternatifs à l'intégration stricto sensu », reprend Garine Hovsepian, « celui de l'Islande, par exemple, qui adhère à l'Association européenne de libre-échange sans être membre de l'Union, le Royaume-Uni qui entretient encore certaines relations avec l'Europe et bien sûr celui de la Suisse ».

« La Suisse ne faisant pas partie de la Communauté européenne, il  nous est de ce fait beaucoup plus facile de parler d'intégration européenne », ajoute le professeur  Kellerhals, « on ne peut pas nous accuser de vouloir faire la promotion de nos propres institutions. Nous partons de notre expérience pour tenter voir quelles pourraient être les options offertes à l'Arménie dans la perspective d'une alternative à l'intégration européenne ».

Garine Hovsepian rebondit : « Nous avons eu des discussions très intéressantes avec les étudiants sur les attentes réciproques de l'Arménie, de son gouvernement comme du simple citoyen et celles de l'Union européenne. Et ils sont bien conscients qu'entre les attentes et la réalité, il peut exister de très grandes différences.


Garine Hovsepian, doyenne de la faculté de droit de l'UFAR

L'Arménie entretient une relation très particulière avec l'Union européenne. Elle a conclu avec elle le "Comprehensive and Enhanced Partnership Agreement", un accord spécial qui à ma connaissance, n'existe avec aucun autre État non-membre. De fait, avec cet accord, l'Arménie s’est engagé envers tous les critères de valeurs issues des droits de l'homme et de démocratie édictées par l'Union européenne, sans même en faire partie ni avoir accès au marché européen. Une façon de dire : regardez, je fais de mon mieux au niveau de mon mode de gouvernance pour atteindre ces valeurs. Mais au niveau de l'économie et surtout de la sécurité, on va être clair : pour l'instant, malheureusement, les bénéfices sont maigres. L'Union européenne n'a pas d'armée, sa politique de sécurité est très limitée et en fait, ce sont ses États membres qui décident. On le voit bien avec l'Ukraine, certes il y a des fournitures d'armes, une coordination des sanctions mais aucune armée d'aucun pays européen ne vient à la rescousse de l'Ukraine. Et l'Arménie, à côté, est un pays encore plus petit et peut être encore plus menacé par l'un de ses voisins ».

Andreas Kellerhals : « Les étudiants étaient très critique vis-à-vis de l'Union européenne, dans le bon sens du terme. Ils disent à juste titre que leur premier problème, le problème de l'Arménie, c'est la sécurité. L'Europe ne peut pas nous protéger donc pourquoi est-ce que nous l'intègrerions? Effectivement, l'Union européenne n'a pas d'armée ni de réelle politique étrangère qui 'en impose", malgré tout, l'Europe entretient une coopération très étroite avec l'OTAN.

C'est une question importante et je leur ai répondu qu'ils devaient faire leurs choix. L'Europe ce n'est pas tellement les questions de sécurité mais c'est une opportunité, sociétale et économique, je pense même que c'est une nécessité. Bien que rien ne soit parfait, tout le monde est très content d'en faire partie et, l'Europe est une opportunité réelle et très intéressante pour l'Arménie ».

Garine Hovsepian : « L'Union européenne est constituée de deux éléments : l'aspect économique et celui des droits humains et de la démocratie. Pour des raisons très concrètes et réalistes, de par sa localisation géographique et stratégique, l'Arménie a décidé de rentrer dans l'Union eurasiatique, au sein d'une réalité qu'elle ne peut ni ne doit ignorer, en relation étroite avec certains pays qui sont plus grands partenaires commerciaux.

Je pense qu'avec cette relation spéciale du CEPA qu'elle entretient avec l'Union européenne, l'Arménie essaie de jouer une partition politique "multi-vectorielle", une alternative qu'elle a trouvée, créative et très intéressante à mon avis. Du point de vue de nos amis de l'Europe, il faut peut-être accepter cette réalité, composer avec et  faire attention à ne pas forcer les petits pays à affirmer un choix trop net et trop clair. Il y a des réalités politiques géographiques et géopolitiques qu'il faut prendre  en considération ».

Andreas Kellerhals : « Bien sûr, il faut tenir compte des questions de sécurité. L'Arménie doit faire attention et ménager ses grands voisins, la mésaventure géorgienne, juste à côté, en est l'illustration. Cependant, la Russie, aujourd'hui - l'alliée traditionnelle -, a démontré qu'elle n'était pas en mesure de fournir cette défense. Effectivement, depuis que la guerre en Ukraine a commencé l'Arménie se retrouve dans une situation vraiment impossible. Elle sera vraisemblablement amenée à devoir faire un choix un jour ou l'autre, elle ne peut pas rester dans cette alliance avec la Russie, l'Asie, et en même temps faire partie du même club que l'Europe.

Les étudiants Arméniens que je rencontre sont intelligents, ils ont une bonne éducation et  bénéficient d'un bon niveau de formation, de bonnes universités. Les salaires qu'on pratique dans le pays sont plus bas, l'Arménie pourrait très vite devenir un laboratoire pour l' Europe des sciences de l'informatique et des nouvelles technologies par exemple. Ça pourrait être cela, la vision arménienne. Aujourd'hui beaucoup de pays ont peur d'investir en Chine. Pour leurs entreprises, l'Arménie peut représenter une alternative. Il n'y a pas de garantie, mais si elles sentent leurs investissements sécurisés, elles iront sans hésiter et ensuite, l'Arménie pourra exporter ses technologies. Faire de l'Arménie l'usine européenne de la technologie et des outils informatiques, elle est là, l'opportunité ».


Andreas Kellerhals, directeur de l'Institut Europa de l'Université de Zurich

La session 2024 des cours d'été de l'UFAR consacrés à l'Union européenne est déjà sur les rails. Le directeur de l'Institut Europa a confirmé son intérêt pour l'organisation de la troisième saison. Un accord formel de coopération lie les deux établissements sur ce cours d’été, et des discussions sont en cours sur d’autres possibilités, par exemple offrir aux étudiants arméniens un accès privilégié au programme des bourses de l'Institut ainsi qu'à un certain nombre de possibilités.  Conjointement, l'UFAR souhaiterait élargir sa coopération à d'autres facultés et départements de l'université de Zurich. Des projets existent, d' échanges entre les étudiants suisses et arméniens notamment, pour leur montrer comment fonctionnent les gouvernements et les institutions de leur pays respectif,  pour organiser des discussions autour des cadres de la société civile, « pour qu'ils apprennent et que nous apprenions d'eux », souligne Andreas Kellerhals. Des discussions en ce sens ont d'ailleurs été engagées avec le gouvernement suisse ainsi qu'avec des fondations privées pour tenter de trouver les financements nécessaires.

Et à Garine Hovsepian de conclure : « L'Europe est très complexe, mais avec tous ses défauts, avoir 27 États membres qui prospèrent autant et dans tant de domaines, quand on regarde cela d'un peu loin et sans a priori, c'est quand même toute une réussite » !