Théâtre dans une valise : la vie culturelle de Chouchi en exil

Arts et culture
10.06.2021

Aujourd'hui, plusieurs mois après la catastrophe, le public continue à applaudir les comédiens de ce Théâtre, mais derrière les écrans ou dans d’autres lieux de spectacle que leur beau bâtiment de Chouchi bombardé lors de la dernière guerre. Car malgré tout ce qui leur est arrivé, au nom de la culture et des arts, l’équipe du théâtre de Chouchi a pris la situation en main et continue son activité… en tant que théâtre-valise. 

Par Lusiné Abgarian

Avec tous les déplacements opérés par la guerre - celui de la population, des artistes du théâtre et de son public, - ce théâtre a connu un vrai bouleversement. Le lieu « de spectacle » n’est plus une scène, mais une chambre peinte en blanc à Gumri, où les comédiens, dispersés dans différentes villes d’Arménie et d’Artsakh depuis septembre de l’année dernière, se réunissent pour faire des spectacles de marionnettes pour les plus petits.

Formé par la combinaison de trois théâtres : de marionnettes (au nom de Yervand Manarian), du jeune public (au nom de Sos Sargsyan) et dramatique, nés à la suite de la libération de la ville en 1992, - ce théâtre a reçu ensuite le statut du théâtre d’Etat de Chouchi au nom de Mkrtich Khandamiryan, tout en continuant à œuvrer dans les trois axes susmentionnés, avec un répertoire riche et varié.  Beaucoup de tournées figuraient également dans sa programmation, notamment avec des spectacles de marionnettes, montrés le plus souvent dans des villages frontaliers d’Artsakh. Depuis 2018, le théâtre avait même élaboré un programme pour s’ouvrir aux plus petits spectateurs dans la diaspora arménienne des Etats-Unis, de la Russie et de l’Allemagne, en intégrant le format en ligne pour certaines représentations.

La guerre a détruit le bâtiment du théâtre, a bouleversé la vie des artistes qui se sont dispersés dans les quatre coins de l’Arménie. Mais c’est surtout en ce moment crucial que la culture devait venir au secours des enfants.

« Nous avons compris que nous ne devions pas délaisser notre public, surtout les jeunes, et comme notre population a été évacuée et se trouvait dans différentes villes de l’Arménie, il fallait inventer un format adapté. Nous n’avions rien pris avec nous - ni les marionnettes, ni les décors - pour faire les représentations. Nous étions sûrs de revenir à Chouchi et de continuer notre activité. Et en attendant, nous avons décidé de faire les représentations en se servant de tout ce que nous avions sous la main, même des marionnettes non-professionnelles. Nous avons acheté des poupées et les avons transformées autant que possible en personnages de nos contes. Au début, nous avons joué uniquement pour les enfants déplacés qui se trouvaient à Gumri ; ensuite, nous nous sommes ouverts aux villages voisins. Durant la guerre, tous les spectacles n’étaient destinés qu’aux plus jeunes, nous voulions les encourager et les divertir, détourner leur attention de cette réalité », -se souvient Achkhène Haroutunian, directrice du théâtre qui réside actuellement à Gumri.  

Le 9 novembre 2020 a marqué la vie du théâtre de Chouchi comme celle de tous les Arméniens. Ses artistes, qui malgré les difficultés qu'imposaient les conditions inadaptées, continuaient leur activité en faveur des enfants, se sont tus pendant deux semaines.

C’est l’expression « Est-ce que le théâtre de Chouchi est mort ? » prononcée par l’un de leurs petits spectateurs qui a tourmenté les comédiens et leur a donné les forces de continuer à créer.

Actuellement, c’est un théâtre itinérant qui se déplace avec une valise d’une ville à l’autre. Les comédiens se rendent à chaque fois dans « le lieu du spectacle » pour faire seulement quelques filages en présentiel avant la représentation. Des initiatives personnelles soutiennent ce théâtre, en offrant des marionnettes, une scène mobile et certains équipements. Les artistes rêvent d'avoir un lieu où tous les comédiens pourraient se réunir de nouveau pour travailler dans des conditions adéquates, car, comme le souligne Achkhène « la poursuite de l’activité du théâtre de Chouchi n’est pas importante seulement pour nous, l’équipe, mais pour toute la population de Chouchi et d’Artsakh, ainsi que pour tous les Arméniens. Les Azéris détruisent notre patrimoine culturel afin d’éradiquer la mémoire, mais l’activité du théâtre est psychologiquement substantielle, c’est une motivation psychologique. Je le sais et je l’ai senti auprès de notre public pendant les tournées. Le théâtre doit poursuivre son existence, sous quel format que ce soit, jusqu’à ce qu’on retourne à nos terres ».

N.B. Une tournée à Stepanakert du Théâtre de Chouchi est prévue du 16 au 19 juin prochains, dans les écoles maternelles de la ville. 

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